Tueurs en série

Tueurs en série (3)

Le 29/03/2017 Monsieur Verdoux

Mercredi 29 mars 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle " Tueurs en série " (3/3)

Monsieur Verdoux

(Charles Chaplin, États-Unis - 1960)

 " C'est le plus grand, le seul cinéaste en tout cas qui peut supporter le qualificatif d'humain."
Jean-Luc Godard
" C’est une réussite prodigieuse. La construction du scénario, le dialogue, le rythme,
le jeu de tous ses partenaires, tout est génial dans ce film et d’un génie nouveau."

François Truffaut 
« Le plus intrigant des films de Chaplin ; son caractère énigmatique – nul ne pouvant
se vanter d’en avoir exactement sondé le sens – l’a gardé intact et préservé du vieillissement. »

Jacques Lourcelles

Verdoux dans le film :
   " Le monde n'encourage t-il pas l'assassinat collectif ? Il construit des armes, extermine des femmes et des enfants innocents
      avec toutes les ressources de la science, mais je suis un amateur en comparaison.
"
   " Un meurtre et vous êtes un bandit, des millions et vous êtes un héros ".

En 1941, Orson Welles souhaite tourner un documentaire dramatique sur le meurtrier Henri-Désiré Landru. Il propose le rôle à Charles Chaplin qui décline l’offre car il voue une fascination à Landru depuis bien avant la guerre et il désire réaliser lui-même le film. Chaplin paya 5.000 $ à Welles pour son idée, avec garantie que le générique mentionne "sur une idée de Orson Welles". Un accord est signé, il faudra quatre ans à Chaplin pour boucler son scénario. Le climat est tendu, Chaplin est ralenti dans son travail suite aux procès dont il fait l’objet. Le Breen Office, fidèle à son rôle de censeur, rejeta la première mouture du scénario écrite en 1946. Chaplin s’en sortit en effectuant quelques coupes. Le tournage fut bouclé en moins de trois mois. Un record pour Chaplin qui adore travailler à l’expérimentation, refaisant scène sur scène afin d’arriver au résultat escompté. 

Charlie Chaplin étonne le monde en 1947 avec Monsieur Verdoux.
Boudé par le public et la critique, ce film dérange. Des années plus tard, il garde son mystère et son opacité.
Chaplin a 58 ans quand il décide de mener à bien ce projet signé Orson Welles: adapter au cinéma la vie de Landru et interpréter lui-même le rôle. Il se vieillit, s'invente des cheveux blancs, s'imagine en séducteur cynique qui tue des femmes d'un certain âge pour entretenir son épouse et son fils.
Dès le début, aucune ambiguïté, monsieur Verdoux est bien un tueur. Mais une drôle de sympathie s'installe entre lui et le spectateur. Elle durera jusqu'à sa mort. On le voit, jardinier attentionné, qui sauve de justesse une chenille sur laquelle il allait marcher, alors que ses voisines parlent de l'odeur épouvantable qui se dégage de son four. Entre horreur et drôlerie, l'histoire se déroule à son rythme inéluctable.[...]
Comment ménager les gags dans un climat aussi sinistre? Chaplin n'est plus Charlot, il doit inventer un humour décalé et complice. Quand il a volé de l'argent à l'une de ses victimes, il compte les billets avec la froide dextérité du caissier qu'il était avant qu'on ne le licencie. Mais il veille aussi à inventer parallèlement d'horribles portraits de femmes, acariâtres et antipathiques, dont on ne regrette finalement pas la mort. D'autant que Verdoux est un adorable mari et père de famille qui quitte son masque dès qu'il est chez lui. Il n'oublie pas de donner à manger au chat et de veiller sur son épouse adorable et infirme.
La séquence la plus caractéristique est celle où Verdoux s'est mis en tête de tester un poison. Un curieux travelling accompagné de violons le montre qui choisit une pauvre jeune fille dans la rue. Il l'invite chez lui et mélange la mixture à du vin. Elle sort de prison, elle est seule. La caméra suit ses lèvres qui hésitent plusieurs fois à boire. Suspense affreux que Chaplin annule en décidant, intérieurement, que la jeune femme doit être sauvée et en substituant un verre de vin ordinaire au vin empoisonné.
[Louis SKORECKI, Libération, 8 novembre 1996]

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Le 22/03/2017 Le Voyeur

Mercredi 22 mars 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle " Tueurs en série " (2/3)

Le voyeur / Peeping Tom

(Michael Powell, GB - 1960)

« Powell a été rayé de la carte, mis sur une liste noire depuis "Le Voyeur", tant avait été violent
et injurieux l'accueil critique : "abject", " ignoble" sont les qualificatifs les plus mesurés. (...)
Cela brisa sa carrière. »

Bertrand Tavernier, Michael Powell, Une vie dans le cinéma.

Le cinéma de Michael Powell est réputé pour sa flamboyance souvent mélodramatique, son chromatisme débridé, ses audaces dramatiques, ses effusions graphiques. L’art s’y fait total, témoignant de l’ambition démiurgique de reconfigurer le monde à sa (dé)mesure. Au-delà de la sidération subie par le spectateur ou de l’enchantement ressenti à la vue de ces fantaisies, s’avoue cependant une crainte, qui concerne la capacité du film à représenter le réel. Sa reproduction se heurte à la complexité de son objet, à l’indicible de son modèle. Dans ces moments où s’expose l’impuissance de l’image à rendre compte de ce qu’elle vise, explose dans le même temps le dispositif qui prenait en charge son témoignage: le miroir, trop petit pour refléter le trop-plein des affects, vole en éclats, livré aux projections soumises à la défiguration. Cette poétique de l’excès et du débordement se traduit de diverses manières dans les films des années 40, avant de mettre à nu ses traumatismes dans Le Voyeur (Peeping Tom, 1960), et révéler l’envers horrifique de ses visions. 
Pierre Jailloux [Éclipses, n° 53 (2013]

Extrait de la critique de Jacques Lourcelles
Toute la morbidité latente de l‘univers de Powell éclate au grand jour dans ce Peeping Tom qui fit scandale à sa sortie. « Cela fait longtemps qu’un film ne m’avait autant dégoûté » écrit dans « L’Observer » C.A. Lejeune, critique de l’establishment britannique, tandis qu’un de ses confrères (Derek Hill) proclame que le film est à jeter dans égout le plus proche. Les années passant, Peeping Tom sera reconnu pour ce qu’il, non une œuvre complaisante, mais un chef-d’œuvre à l’originalité et à l’étrangeté expérimentale. Peeping Tom, note les auteurs du volume « "Horror" [Aurum Presss, Londres 1985], reste une des réussites suprêmes du cinéma britannique – et du cinéma en général. Le héros, Mark Lewis, ressemble à un croisement entre un avatar de Jack l’Éventreur et une réincarnation de M le Maudit (Carl Boehm a même parfois la voix et des accents de son compatriote Peter Lorre). […]
[Dictionnaire du cinéma, Les films, Bouquins, Robert Laffont, 1992, p. 1588-1589]

Mise en abyme visuelle et sonore dans "Le voyeur"
Michael Powell et Mark Lewis ont un point commun essentiel : ils sont tous deux obsédés par l'image. C'est sans doute la raison pour laquelle Powell filme continuellement la caméra de Mark elle- même filmant Powell, et le spectateur, chacun devenant voyeur et s'identifiant à l'autre. Nous voyons même, parfois, ce que filme le tueur, en caméra subjective. Le premier plan du film est le gros plan d'un oeil qui dénote une certaine démence, mais ce n'est pas un "regard" (Powell ne filme qu'un seul oeil, celui sans doute utilisé pour le viseur d'une caméra ou d'un appareil photo). D'entrée, Powell nous prévient qu'il va mettre en scène un protagoniste déséquilibré et "coupé en deux" (qui n'a, symboliquement, pas deux yeux, mais un seul oeil), qui ne peut exister et être ému qu'à travers cet oeil-là. Un oeil spectateur de son propre voyeurisme.
"Le Voyeur" est un film qui s'attache donc à mettre en lumière une déchirure ou disons une malformation. Mark Lewis a bien deux yeux comme n'importe qui, mais il est, dans l'abstrait, ni plus ni moins qu'un cyclope. Sa toute première apparition dans le champ de la caméra (celle de Powell) est en fait la caméra de Mark qui cache son visage derrière, puis à la suite d'une question d'un homme dans la rue (en hors-champ), Mark décolle son oeil du viseur, baisse sa caméra et son visage apparaît enfin : il a un visage presque doux qui n'a rien d'un tueur. L'image qu'on se faisait de lui n'était pas la bonne : Powell nous avertit que les images à venir, ou l'Image plus généralement, sont trompeuses et manipulatrices. La caméra de Mark, donc, se substitue à Mark lui-même au long de l'histoire et notamment lors des scènes de meurtre où le pied de la caméra (qui sert de lame) est un authentique substitut phallique (utiliser ce pied de caméra est la seule pénétration dont il est capable).[...]
"Le Voyeur" est pour moi un film essentiel du Cinéma de par son traitement de la dichotomie même du cinéma : le son et l'image. Il traite aussi, et avec sincérité je trouve, de la place du cinéaste dans le monde et les frustrations que cela implique. Ce film est, encore une fois, très peu connu et il n'existe quasiment pas de critiques ou de documents le concernant. Cela dit, vous pouvez trouver, et nous finirons là-dessus, ces quelques mots de Michael Powell à propos de son film :
"Je comprenais très bien ce technicien de l'émotion, qui ne peut approcher la vie que comme metteur en scène et en souffre atrocement, moi qui découpe et monte tout ce que je vois dans la rue."
Alexandre Tylski [lumiere.org]

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Le 8/03/2017 L'Etrangleur de Boston

Mercredi 8 mars 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle " Tueurs en série " (1/3)

L'étrangleur de Boston / The Boston Strangler

(Richard Fleischer, États-Unis - 1968)

« Il y a pas mal d’effets visuels dans le film dont les gens ne s’aperçoivent pas et
qu’ils ne sont pas d’ailleurs censés remarquer.
Les effets doivent « travailler » votre inconscient, ainsi dans la dernière partie,
petit à petit au fil des séquences, j’enlevais toute couleur au film.
Les dernières séquences du film sont presque entièrement blanches »

Richard Fleischer [in Stéphane Bourgoin, Richard Fleischer, Edilig, 1986, p. 99].

La présentation du film par Olivier Père [arte.tv, 13 avril 2013]
Ce film célèbre et célébré – à juste titre – du grand Richard Fleischer compte parmi les classiques du cinéma criminel américain, original et audacieux dans son traitement d’un cas réel de tueur en série, Albert de Salvo, qui assassina treize femmes entre 1962 et 1964 à Boston. Fleischer opte pour une approche semi documentaire.
La première partie du film suit les investigations minutieuses de la police qui ne parviennent pas à enrayer l’accumulation effrayante de meurtres de femmes agressées, violées et étranglées chez elles (d’abord des personnes âgées, puis des victimes de tous les âges et conditions). L’Etrangleur de Boston opère la transition entre certains films d’Otto Preminger par sa façon d’aborder sans compromission un sujet adulte et dérangeant (l’enquête dans un bar homosexuel rappelle une scène de Tempête à Washington) et les thrillers à venir de William Friedkin qui souhaita avant Fleischer porter à l’écran l’affaire de Salvo et se souviendra sans aucun doute de L’Etrangleur de Boston en réalisant Cruising.[...]
Ces effets modernistes [le « split screen »] un peu tape-à-l’œil ont paradoxalement tendance à dater le film, tandis que L’Etrangleur de Boston reste moderne et fascinant grâce à son style réaliste puis à sa plongée dans les tréfonds d’un esprit malade. On s’approche alors d’un pur cinéma mental et devant les dernières scènes montrant l’interrogatoire de de Salvo vêtu de blanc dans une cellule entièrement blanche je ne peux m’empêcher de penser à un autre grand « film cerveau » sorti la même année : 2001, l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick.
Tout le monde l’a dit mais il faut le répéter : dans le rôle à contre-emploi de de Salvo Tony Curtis est prodigieux, et confirme qu’il était un acteur sous-estimé qui n’a pas eu la carrière qu’il méritait, même si on oublie trop souvent qu’il a joué dans plusieurs grands films et pas seulement des comédies (Le Grand Chantage, par exemple).
Ce classique de Fleischer nous rappelle que le cinéaste étudia la psychiatrie et qu’il donna le meilleur de lui-même dans ses études de cas criminels : avant L’Etrangleur de Boston il y avait La Fille sur la balançoire (The Girl in the Red Velvet Swing, 1955) et après, le génial, expérimental et encore plus glaçant L’Etrangleur de la place Rillington (Ten Rillington Place, 1971.

Et n'oubliez les 50 ans de votre Ciné-club :
Michelangelo Antonioni, John Frankenheimer, Mel Brook,
Cecil B. de Mille et Arthur Penn
vous donnent rendez-vous du Mardi 14 au Samedi 18 mars.

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