Le 22/03/2017 Le Voyeur

Mercredi 22 mars 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle " Tueurs en série " (2/3)

Le voyeur / Peeping Tom

(Michael Powell, GB - 1960)

« Powell a été rayé de la carte, mis sur une liste noire depuis "Le Voyeur", tant avait été violent
et injurieux l'accueil critique : "abject", " ignoble" sont les qualificatifs les plus mesurés. (...)
Cela brisa sa carrière. »

Bertrand Tavernier, Michael Powell, Une vie dans le cinéma.

Le cinéma de Michael Powell est réputé pour sa flamboyance souvent mélodramatique, son chromatisme débridé, ses audaces dramatiques, ses effusions graphiques. L’art s’y fait total, témoignant de l’ambition démiurgique de reconfigurer le monde à sa (dé)mesure. Au-delà de la sidération subie par le spectateur ou de l’enchantement ressenti à la vue de ces fantaisies, s’avoue cependant une crainte, qui concerne la capacité du film à représenter le réel. Sa reproduction se heurte à la complexité de son objet, à l’indicible de son modèle. Dans ces moments où s’expose l’impuissance de l’image à rendre compte de ce qu’elle vise, explose dans le même temps le dispositif qui prenait en charge son témoignage: le miroir, trop petit pour refléter le trop-plein des affects, vole en éclats, livré aux projections soumises à la défiguration. Cette poétique de l’excès et du débordement se traduit de diverses manières dans les films des années 40, avant de mettre à nu ses traumatismes dans Le Voyeur (Peeping Tom, 1960), et révéler l’envers horrifique de ses visions. 
Pierre Jailloux [Éclipses, n° 53 (2013]

Extrait de la critique de Jacques Lourcelles
Toute la morbidité latente de l‘univers de Powell éclate au grand jour dans ce Peeping Tom qui fit scandale à sa sortie. « Cela fait longtemps qu’un film ne m’avait autant dégoûté » écrit dans « L’Observer » C.A. Lejeune, critique de l’establishment britannique, tandis qu’un de ses confrères (Derek Hill) proclame que le film est à jeter dans égout le plus proche. Les années passant, Peeping Tom sera reconnu pour ce qu’il, non une œuvre complaisante, mais un chef-d’œuvre à l’originalité et à l’étrangeté expérimentale. Peeping Tom, note les auteurs du volume « "Horror" [Aurum Presss, Londres 1985], reste une des réussites suprêmes du cinéma britannique – et du cinéma en général. Le héros, Mark Lewis, ressemble à un croisement entre un avatar de Jack l’Éventreur et une réincarnation de M le Maudit (Carl Boehm a même parfois la voix et des accents de son compatriote Peter Lorre). […]
[Dictionnaire du cinéma, Les films, Bouquins, Robert Laffont, 1992, p. 1588-1589]

Mise en abyme visuelle et sonore dans "Le voyeur"
Michael Powell et Mark Lewis ont un point commun essentiel : ils sont tous deux obsédés par l'image. C'est sans doute la raison pour laquelle Powell filme continuellement la caméra de Mark elle- même filmant Powell, et le spectateur, chacun devenant voyeur et s'identifiant à l'autre. Nous voyons même, parfois, ce que filme le tueur, en caméra subjective. Le premier plan du film est le gros plan d'un oeil qui dénote une certaine démence, mais ce n'est pas un "regard" (Powell ne filme qu'un seul oeil, celui sans doute utilisé pour le viseur d'une caméra ou d'un appareil photo). D'entrée, Powell nous prévient qu'il va mettre en scène un protagoniste déséquilibré et "coupé en deux" (qui n'a, symboliquement, pas deux yeux, mais un seul oeil), qui ne peut exister et être ému qu'à travers cet oeil-là. Un oeil spectateur de son propre voyeurisme.
"Le Voyeur" est un film qui s'attache donc à mettre en lumière une déchirure ou disons une malformation. Mark Lewis a bien deux yeux comme n'importe qui, mais il est, dans l'abstrait, ni plus ni moins qu'un cyclope. Sa toute première apparition dans le champ de la caméra (celle de Powell) est en fait la caméra de Mark qui cache son visage derrière, puis à la suite d'une question d'un homme dans la rue (en hors-champ), Mark décolle son oeil du viseur, baisse sa caméra et son visage apparaît enfin : il a un visage presque doux qui n'a rien d'un tueur. L'image qu'on se faisait de lui n'était pas la bonne : Powell nous avertit que les images à venir, ou l'Image plus généralement, sont trompeuses et manipulatrices. La caméra de Mark, donc, se substitue à Mark lui-même au long de l'histoire et notamment lors des scènes de meurtre où le pied de la caméra (qui sert de lame) est un authentique substitut phallique (utiliser ce pied de caméra est la seule pénétration dont il est capable).[...]
"Le Voyeur" est pour moi un film essentiel du Cinéma de par son traitement de la dichotomie même du cinéma : le son et l'image. Il traite aussi, et avec sincérité je trouve, de la place du cinéaste dans le monde et les frustrations que cela implique. Ce film est, encore une fois, très peu connu et il n'existe quasiment pas de critiques ou de documents le concernant. Cela dit, vous pouvez trouver, et nous finirons là-dessus, ces quelques mots de Michael Powell à propos de son film :
"Je comprenais très bien ce technicien de l'émotion, qui ne peut approcher la vie que comme metteur en scène et en souffre atrocement, moi qui découpe et monte tout ce que je vois dans la rue."
Alexandre Tylski [lumiere.org]

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