Le fleuve

Le fleuve

Mercredi 9 décembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Fin du cycle "Quittter l'enfance"

Le Fleuve / The River
Jean Renoir (France, GB, Inde, USA - 1951)
Prix de la critique internationale à la Mostra de Venise 1951

« Le Fleuve, un des plus beaux films qui soit !
Mon père m’a emmené le voir quand j’avais 8-9 ans.
C’est un film qui s’est imprégné en moi et ne m’a jamais quitté depuis. »
Martin Scorsese
« J’ai tendance à penser à ce film comme un film expérimental.
C’est une oeuvre de peintre, une explosion de couleurs. »
Arnaud Despléchin

Fils de Pierre-Auguste Renoir, l'un des peintres les plus prolifiques du mouvement impressionniste, Jean Renoir va marquer non seulement le cinéma français mais le monde cinématographique de son empreinte. A tel point qu'il sera adopté par les frondeurs de la Nouvelle Vague qui en feront leur symbole, François Truffaut allant même jusqu'à le surnommer "le patron".

Jean Renoir à propos du Fleuve
J'ai retrouvé une certitude semblable avec Le Fleuve. J'ai senti monter en moi ce désir de toucher du doigt mon prochain que je crois être vaguement celui du monde entier aujourd'hui. Des forces mauvaises détournent peut-être le cours des évènements. Mais je sens dans le coeur des hommes un désir, je ne dirai pas de fraternité, mais plus simplement d'investigation. Cette curiosité reste encore à la surface, comme dans mon film. Mais c'est mieux que rien. Les hommes sont bien fatigués par les guerres, les privations, la peur et le doute. Nous ne sommes pas arrivés à la période des grands élans. Mais nous entrons dans la période de la bienveillance. Mes camarades et moi sentions cela dans les Indes même dans les mauvais jours où Hindous et Mahométans s'entretuaient. La fumée des maisons incendiées n'étouffait pas notre confiance. Nous pensions seulement que ces hommes étaient en retard sur leur temps.
                                                                                          On me demande... [Cahiers du cinéma, n° 8 (janvier 1952), p. 5-6].

Marguerite Duras sur Le Fleuve
Il y  un film que j'aime particuièrement parce qu'il me rappelle très fort les postes de brousse de mon enfance. C'est Le Fleuve. Je n'aime pas la fille qui érit des poèmes mais j'aime cet enfant qui veut le serpent. J'aime ces rampes qui donnent sur le Gange, ces vérandas, les siestes, les jardins. Je n'aime pas les Indiens qui sont dans le film. Ça ne sert à rien de les montrer. Je n'aime pas non plus cette gentillesse partout. L'amour est trop joué dans Renoir. La Règle du jeu illustre ça pour moi, le désir remplacé par sa pavane. Au mieux par sa défiguration - chez les domestiques, non ? Je me souviens mal.
                                                               [in Marguerite Duras et le cinéma, Les yeux verts, Cahiers du Cinéma (2014), p. 52].

Préentation du Fleuve par Olivier Père
C’est Le Fleuve (The River, 1951) de Jean Renoir qui fut le premier film projeté sur l’écran de la salle Henri Langlois lors de l’inauguration de la Cinémathèque française à Bercy. Martin Scorsese avait présenté la séance, il y avait de nombreux cinéastes du monde entier dans la salle. L’émotion était palpable. [...]. L’occasion de revoir l’un des films (en Technicolor) les plus sublimes jamais réalisés, mis en scène par l’un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma.
Par un heureux hasard de calendrier Le Fleuve est distribué en salles le même jour que Tabou de Miguel Gomes (qui a trouvé son public dès les premières séances de son exploitation commerciale, excellente nouvelle.
Les deux films, au-delà de leur beauté, partagent plusieurs points communs : l’exotisme, l’évocation de souvenirs enfouis, et le mélodrame. Le bovarysme aussi, avec dans Le Fleuve de magnifiques portraits de jeunes femmes qui quittent l’adolescence, expérimentent l’ennui provincial (ici l’ennui colonial) et découvrent en même temps que l’attrait des hommes la société, cruelle et hypocrite, des adultes. Et plus profondément il y a chez Renoir et Gomes une conception voisine du cinéma et de la manière de faire des films, une vision cosmique de la vie, de l’amour et la mort. Production américaine tournée en Inde par un cinéaste français, d’après un roman et avec des interprètes anglais, Le Fleuve est sans doute le sommet de l’œuvre de Renoir, le film où s’exprime avec le plus de sérénité et d’universalité sa philosophie de la vie, au-delà du simple choc des cultures.
De Boudu sauvé des eaux au Déjeuner sur l’herbe et passant par Partie de campagne, Renoir a toujours associé le motif aquatique à celui du destin. Les êtres humains sont selon sa fameuse formule des bouchons charriés au gré du courant.
Dans Le Fleuve, film d’une richesse et d’une profondeur inouïes, on retiendra surtout l’acceptation de la mort, même sous sa forme la plus scandaleuse – celle d’un enfant – comme partie intégrante de la vie. Cette sagesse, Renoir la devra pour une grande part à sa découverte fascinée de l’Inde, sans négliger l’importance du roman de Rumer Godden dont est adapté le film. La biographie remarquable de Pascal Mérigeau nous confirme que Renoir a souvent dit tout et son contraire sur son travail et celui des autres, mais cette citation du cinéaste définit parfaitement la force et l’évidence de ce film génial :
« Le Fleuve qui semble être un de mes films les plus apprêtés, est en réalité le plus proche de la nature. S’il n’y avait une histoire basée sur des forces immuables, l’enfance, l’amour, la mort, ce serait un documentaire. »
                                                                                                                                        Olivier Père [Arte.tv, 01 janvier 2002].

Dès lors, quel rôle joue cette beauté chromatique dans l’émotion discrète, croissante qui étreint le spectateur ? Comme toutes les grandes œuvres de cinéma, Le Fleuve est un film sur le regard. Et s’affirme, plus encore qu’un hommage à la culture indienne, comme un hymne à la splendeur des apparences. Dans la philosophie hindoue, toute chose est sacrée. Tout doit être regardé, respecté : les moindres roches, brins d’herbe, flaques d’eau ; le flamboiement d’un sari comme l’éclat timide d’un sourire. La caméra les saisit avec une précision, une sérénité incomparables. Le personnage discret et pudique de Mélanie semble incarner un tel regard, elle qui ne juge rien, ni personne (sauf elle-même, et sévèrement, dans un moment de désarroi sentimental). Au fond, sous les fugaces soubresauts des trajectoires individuelles, tout est éternité. Tout est harmonie.
Pour mieux évoquer le délicat cheminement des uns et des autres vers cette harmonie, Renoir s’attache à peindre des personnages mal dans leur peau, des êtres sensibles et généreux mais qui se sentent exilés du monde – notamment la jeune Harriet, vilain petit canard qui se rêverait cygne, et le capitaine John, qui a perdu une jambe à la guerre (ce qui avait failli arriver à Renoir lui-même). Si une certaine réconciliation avec les autres, soi-même et le monde s’opère enfin, c’est moins au nom de la résignation ou de l’abdication que du consentement («consent to everything», dit Mélanie). Mot très beau, qui dit à la fois l’intimité du soi (le sentiment) et son alliance avec l’autre – sous les auspices d’un ordre cosmique qui tous nous unirait. Alors seulement, par-delà les drames (mort d’un jeune frère, déchirements de l’exilé, désespoirs amoureux…) peut se développer la conscience que nous sommes des voyageurs dans le monde : tous en transit; emportés dans l’irréversible écoulement du temps (métaphore transparente du Gange, placide et multimillénaire). En filmant cet assentiment au monde, Renoir semble exalter l’amour, tant celui des choses que des êtres. Et derrière l’amour : une mystique de la vie, simple et humble, prenant acte à la fois de la beauté et de la précarité de toutes choses. D’où cette phrase saisissante, prononcée par le capitaine John à l’issue de la tentative de suicide d’Harriet : « A chaque chose qui vous arrive, à chaque personne que vous rencontrez qui a de l’importance à vos yeux, ou bien vous mourez un peu, ou bien vous renaissez ». Sous les inévitables drames : la modeste mais nécessaire contribution de chaque être au fil de l’éternité. Un bouleversant appel à vivre.
                                                                                                                                     Antoine Benderitter [5 décembre 2012].

On trouvera, en fichiers téléchargeables, un dossier d'étude sur le film proposé par l'association Cinépage, une critique du film (en Anglais), ainsi que la fiche et l'affiche du film conçues par le Ciné-club de Grenoble.

Dernière modification lemardi, 08 décembre 2015 18:25

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