Noirs du monde

Noirs du monde (3)

Le Doulos

Mercredi 25 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Noir du Monde" (3/3)

Le Doulos
Jean-Pierre Melville (France - 1962)

« La tragédie, c'est la mort toute prête que l'on rencontre dans le monde des gangsters ou dans une période particulière, comme la guerre.»
Jean-Pierre Melville [in Rui Nogueira, Le Cinéma selon Jean-Pierre Melville, Editions de l'Etoile, 1996].

« [...] La construction du film est très importante. Elle n'est pas faite pour des gens distraits qui s'absentent de l'écran.

Au mot fin, il subsiste encore un point d'interrogation. Il faut que les gens réfléchissent, car tout  ne leur a pas été expliqué
Jean-Pierre Melville, [Propos recueillis pas Claude-Marie Trémois, Télérama, 12 novembre 1967].

Le cinéma de Melville
Grand admirateur de Robert Wise (Le Coup de l'escalier), de Welles (La Splendeur des Amberson) et de Huston (Quand la ville dort), Melville nourrissait une passion sans limite pour le cinéma américain. Le western, genre par essence fondateur de ce cinéma, l'a particulièrement marqué. A tel point que l'on peut, en observant attentivement, décrypter en chacun de ses films un western transposé. L'action se situe à Paris et non plus dans l'Ouest, à notre époque et non pas après la guerre de Sécession, et les automobiles ont pris la place des chevaux. Un modèle d'ailleurs maintes et maintes fois suivi par quelques-uns des plus talentueux metteurs en scène contemporains, aussi variés que prestigieux: Michael Mann avec Le Solitaire et Heat, John Woo avec The Killer, mais aussi Quentin Tarantino, Aki Kaurismäki et bien d'autres. De tous ces illustres suiveurs est née une expression, un mot; "melvillien", épithète fondateur d'une cinéphilie complète et essentielle.
Philippe Labro s'exprimait admirablement sur ce point: " Est melvillien ce qui se conte dans la nuit, dans le bleu de la nuit, entre hommes de loi et hommes du désordre, à coups de regards et de gestes, de trahisons et d'amitiés données sans paroles, dans un luxe glacé qui n'exclut pas la tendresse, ou dans un anonymat grisâtre qui ne rejette pas la poésie. [...] Est melvillien ce qui traduit la solitude, la violence, le mystère, la passion du risque et l'âpre goût de l'imprévisible et de l'inéluctable, ce qui met aux prises des hommes enfoncés dans leurs manies, prisonniers de leurs obsessions et serviteurs de leurs codes. Derrière l'apparente convention d'une histoire dite policière, l'auteur s'est livré tout entier, avec ses fantasmes et ses rêves, ses goûts et ses nostalgies, sa pudeur, ses déchirements ". A lire ces mots, on ne sait plus très bien si Labro parle de Mann, Woo ou Melville. C'est à cela que l'on reconnaît les artistes fondateurs, lorsqu'ils sont indissociables de leur art.
Peter Dourountzis [Filmdeculte]

Le Doulos dans l'oeuvre de Melville
Après Bob le flambeur et Deux hommes dans Manhattan, Jean-Pierre Melville revient au policier avec ce Doulos, bénéficiant d’un budget plus important, d’un casting de premier choix et d’une grande liberté artistique que lui confère la création de ses propres studios. Dans ce film qui ouvre son grand cycle criminel, on trouve tous les ingrédients qui feront du Samouraï, du Deuxième souffle ou du Cercle rouge des chefs-d'œuvre du genre. Maîtrisant parfaitement les codes du cinéma noir américain, il parvient à les utiliser si finement que jamais on n’a l’impression d’assister à un quelconque décalque francisé. On trouve ainsi toute la panoplie du film noir (les ruelles désertes, les virées nocturnes, les imperméables, les chapeaux de feutre…) ; et même si Melville rejette toute forme de naturalisme, préférant utiliser les icônes, les mythes et l’abstraction, l’univers qu’il dépeint semble si naturel, si vrai que l’on a l’impression d’être plongé dans le monde la pègre parisienne. Rien ici n’est appuyé, tout semble couler de source à l’image d’une mise en scène si fluide et si évidente qu’elle masque la méticulosité et la précision constante dont fait preuve le cinéaste.
Tout l’univers de Melville est donc là. Un univers masculin où l’amitié, la dignité et la droiture priment sur tout le reste (la réussite ou l’échec d’un casse par exemple) et doivent se retrouver dans chacun des gestes, chacun des actes des personnages. Ceux-ci sont profondément "melvillien" dans leur allure, leurs codes vestimentaires, leur façon de se tenir, l’apparence physique et les actes allant toujours de pair dans son cinéma. La précision et le calme des gestes reflètent ainsi la rigueur des personnages, leur nécessaire détachement, leur attention constante. Des personnages toujours ambigus, dont on ne sait s’ils sont des traîtres ou de fidèles compagnons. La pègre selon Melville est un fantasme, et il ne faut pas chercher une quelconque vérité sociologique dans ses films. Il rêve d’un monde criminel pur qui serait le seul endroit où l’honneur primerait sur l’argent et le pouvoir. S’ils font des casses, ils n’ont cure du gain : c’est pour le jeu, pour la beauté du geste, c’est un moyen de tester leur courage, leur loyauté, leur amitié. Mais même dans ce rêve de pègre, la cupidité, le goût du pouvoir ou la peur de certains obligent les héros "melvilliens" à naviguer dans des eaux troubles où rien n’est jamais acquis. L’intrigue du Doulos exprime parfaitement cette vision d’un monde clos visant à un idéal, mais qui se trouve être corrompu par certains de ses acteurs. Chaque personnage est ainsi ambivalent et le doute imprègne chaque minute du film. Avec ce jeu du chat et de la souris surprenant, ludique et cérébral, Jean-Pierre Melville trouve une expression parfaite de sa vision fantasmée du monde et de ses questionnements moraux qui s’écartent de la traditionnelle séparation entre le bien et le mal. Magistral
[Cinephare.com]

Notre prochain rendez-vous: Mercredi 1er juin
Partenariat avec l'association " Dolce Cinema "
Parlons femmes / Se permettete di donne (Ettore Scola / Italie - 1964)

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Mort d’un cycliste

Mercredi 18 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Noir du Monde" (2/3)

Mort d'un cycliste / Muerte de un ciclista
Juan Antonio Bardem (Espagne/Italie - 1955)

« Dans Mort d’un cycliste, le raffinement de la photographie et d’un montage
en contrepoint fut lié à l’audace d’un sujet opposant l’égoïsme de la hautesociété madrilène
et le dénuement des quartiers populaires. » Georges Sadoul.

Juan Antonio Bardem sur son Cinéma
« Il faut montrer en termes de lumière, d’images et de sons, la réalité de notre entourage, ici et aujourd’hui. Rendre témoignage du moment présent. Le cinéma sera avant tout témoignage ou bien ne sera pas.»

« Nous voulons lutter pour un cinéma national, avec amour, sincérité et honneur. L’Espagne est ici, au bord de notre cœur. A travers notre cinéma nous voulons entrer en contact avec les hommes et les régions d’Espagne. Avec les hommes et les régions du monde entier. » 

Juan Antonio Bardem.

 

« Ce remarquable film a marqué une date importante dans la renaissance du cinéma espagnol : Bardem y fait œuvre de critique sociale en dénonçant l’égoïsme de la grande bourgeoisie et le désarroi de certains intellectuels, et en suggérant que les étudiants incarnent le réveil moral des nouvelles générations. Le réalisateur conduit son récit avec une grande efficacité dramaturgique (le parallélisme entre la corruption bourgeoise et la misère ouvrière) et dans un style visuel extrêmement raffiné (la composition très étudiée des images), affirmant ainsi un professionnalisme qui a fait de lui, durant une décennie, le meilleur représentant du nouveau cinéma espagnol. La performance de l’ensorcelante Lucia Bosè et son personnage de femme fatale ont suscité des rapprochements avec Chronique d’un amour d’Antonioni. » Larousse du Cinéma.

Extrait d'un article de Georges Sadoul
Il est bien vrai que Bardem fut un élève de l’lnstituto de Investigaçiones y Experienças Cinématograficas qui est l’I.D.H.E.C. espagnole. Il est aussi vrai que ne trouvant pas de maîtres et de traditions artistiques dans le désert cinématographique qu’était son pays, Bardem apprit son art dans les films de divers cinéastes américains (Orson Welles notamment), français (René Clair), soviétiques (Poudovkine et Eisenstein), et surtout chez les néo-réalistes italiens de la première génération (Lattuada, De Sica, Visconti) et de la seconde (Antonioni, Fellini, De Santis).

Mais comme le dit avec violence Marcel Oms, est-ce une raison pour « la critique de jouer la flicaille » ou « les bureaucratiques nostalgiques de la Société des Droits d’Auteurs ». Pour devenir ce qu’il est Orson Welles n’eut-il pas besoin de la leçon des expressionnistes (et de beaucoup d’autres) ? René Clair, de Chaplin, de Labiche, de Feuillade, des comiques français 1910 ? Visconti, du réalisme poétique français, de Jean Renoir, de Marcel Carné ?...
Il n’y a pas en art de génération spontanée. El ceux qui, parlant de Mort d’un Cycliste, s’exclament triomphalement : « c’est un plagiat pur et simple de Chronique d’un Amour », se réfèrent surtout (comme le premier « fan » venu) à Ia présence de Lucia Bose. S’ils étaient logiques, ils accuseraient aussi Luis Buñuel d’avoir plagié Antonioni, pour avoir donné un emploi analogue à la même actrice, dans Cela s’appelle l’aurore (film que la critique méprisa injustement).
Il est vrai que Lucia Bose est une grande bourgeoise égoïste dans le film de Bardem, comme dans celui, antérieur, d’Antonioni. Mais Renoir ou Carné plagièrent-ils en 1937-1938 Duvivier pour avoir employé dans leurs films Jean Gabin, même personnage de La Bandera ou de Pépé le Moko.
[On peut lire l'intégrale de l'article dans le très intéressant dossier de presse en fichier téléchargeable ci-dessous].

Attention notre prochain rendez-vous sera le SAMEDI 21 MAI
avec l'évènement de notre saison: NSK Rendez-vous Grenoble
(Voir le dossier téléchargeable ci-dessous, ainsi que le site web dédié à cet évènement :
http://www.nsk.ccc-grenoble.fr/predictions-of-fire/projection.html)

Le Mark XIII (8, rue Lakanal, Grenoble)
Jeudi 19 mai - 18h : Vernissage de l'exposition : Kamarade.A en présence de l'artiste
Vendredi 20 mai de 21 à 2h: We come in peace - Soirée mix/projection NSK
Samedi 21 mai - 16h à 18h: Les Goûters du NKS - Rencontre artistique et citoyenne du NSK State

Samedi 21 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Predictions of Fire / Prerokbe ognja
Michael Benson (Slovénie / Etats-Unis - 1996)

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Double énigme

Mercredi 11 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Noir du Monde" (1/3)

Double enigme / The Dark Mirror
Robert Siomak (USA - 1946)

Double Énigme (The Dark Mirror, 1946) de Robert Siodmak est moins connu que certains des autres classiques du film noir de ce cinéaste comme Les Tueurs ou Deux mains, la nuit. La Double Énigme est pourtant l’un des meilleurs titres de Robert Siodmak, petit maître à la carrière internationale responsable d’excellents thrillers psychologiques tournés à Hollywood, héritier de l’expressionnisme allemand fasciné par l’ombre et le grotesque.
Né en Allemagne, Siodmak fait ses débuts au cinéma en 1929 avec Les Hommes le dimanche au générique duquel on retrouve aussi Edgar G. Ulmer, Billy Wilder et Fred Zinnemann. L’avènement du nazisme pousse Siodmak à poursuivre sa carrière en France où il signe quelques très bons films dans les années 30 comme Pièges ou Mollenard. Au début des années 40 Siodmak s’embarque pour les Etats-Unis avec là encore de nombreuses réussites tournées pour la Universal. La rétrospective de la Cinémathèque française à l’occasion du centenaire du studio a d’ailleurs permis de revoir plusieurs films américains de Siodmak. La Double Énigme, une histoire de sœurs jumelles accusées du même meurtre permet à Olivia de Havilland d’accéder enfin au premier (double) rôle dramatique dont elle rêvait et à Siodmak d’explorer à nouveau les méandres d’un scénario psychanalytique plutôt convaincant. Les nombreux trucages optiques qui permettent à l’actrice de figurer deux fois dans le même plan sont particulièrement réussis.
Olivier Père [Arte, 5 fev. 2013].

En cette année 1946 Robert Siodmak s'installe au sommet d'Hollywood en réalisant coup sur coup Les Tueurs et Double Enigme. Les deux films le pose en nouveau maître du film noir (Phantom Lady en 1944 avait déjà annoncé cette progression) où pour le premier il contribue à cet onirisme tortueux associé au genre, à cette fatalité dans sa narration en flashback tout en créant la femme fatale ultime (Ava Gardner) et pour le second il introduit (avec d'autres œuvres comme le Spellbound d'Hitchcock) cette dimension la psychanalyse qui inondera le film criminel dans les années à venir. Le scénario de Nunnaly Johnson adapte d'une histoire de l'écrivain français réfugié à Hollywood Vladimir Pozner, Johnson exploitant à son tour cette veine psychanalytique quelques années plus tard une fois passé à la réalisation sur Les Trois Visages d'Ève.
Dark Mirror est avec Sœurs de sang de Brian de Palma et Faux-semblants de David Cronenberg le film le plus abouti sur le thème de la gémellité. L'argument criminel et le suspense est bien sûr le meilleur moyen d'exploiter et de rendre excitant les problématiques et les troubles associés à cet état et Siodmak en joue à plein dès son introduction nocturne où l'on découvre ce cadavre poignardé en plein cœur, puis l'impasse de l'enquête jusqu'à la découverte des deux suspectes en la personne des jumelles Ruth et Terry Collins (Olivia De Havilland). Finalement hormis cette entrée en matière et la conclusion, Siodmak se déleste de tous les effets de mise en scène les plus marqués du film noir (photo ténébreuse, narration alambiquées, plan-séquences, ambiance urbaine oppressante soit tout ce qui fait le sel des Tueurs justement) pour une sobriété visuelle et narrative surprenante.
A l'image des deux imperturbables jumelles dissimulant une criminelle, la réalité du film doit sembler tout aussi normale et sobre, le dérèglement n'intervenant progressivement que par touches savamment dosées. L'urgence du film policier laisse donc place à une approche essentiellement psychologique où le psychiatre incarné par Lew Ayres apprivoise les deux sœurs le temps d'une série de test, les manipule plus ou moins volontairement en séduisant l'une et éveillant la jalousie de l'autre pour découvrir laquelle dissimule la folie meurtrière.
[http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2012/10/double-enigme-dark-mirror-robert.html]

Notre prochain rendez-vous: Mercredi 18 mai prochain
Suite du Cycle " Noirs du monde " avec
Mort d'un cycliste / Muerte de un ciclista (Juan Antonio Bardem (Espagne / Italie - 1955)

 

 

 

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