Cinéduc

Cinéduc (2)

Un temps pour l'ivresse des chevaux

Mercredi 10 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec CINEDUC 2016: "Cinéma d'ici et d'ailleurs"

Un temps pour l'ivresse des chevaux
Zamani baraye masti-ye asbha 
Bahmam Ghobadi (Iran - 2000)
Caméra d'or - Festival de Cannes 2000

Bahmam Ghobadi :
« Je me suis inspiré d'une histoire vraie. Il y a deux ans, lors des repérages de Vivre dans le brouillard, j'ai rencontré des jeunes qui faisaient de la contrebande entre le Kurdistan iranien et le Kurdistan irakien. Et j'ai décidé de travailler avec eux. Les gens du village où a été tournée l'histoire n'avaient jamais vu de caméra avant et n'avaient même pas l'électricité. Ils ne jouaient pas, mais vivaient simplement leur propre vie. Madi, le jeune handicapé, a encore une espérance de vie de deux ans. Il existe en Allemagne un endroit où on pourrait l'opérer mais il faudrait trouver de l'argent.»

La critique des Inrocks
Cinéaste kurde iranien, Barman Ghobadi a été premier assistant de Kiarostami sur Le Vent nous emportera, il a joué dans Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf, et a déjà à son actif une dizaine de courts métrages. Un temps pour l’ivresse des chevaux, Caméra d’or 2000, est un film d’endurance et d’état d’urgence, un film épuisant, projeté à toute vitesse, dans lequel les protagonistes n’arrêtent jamais de courir d’un point à un autre, de se battre contre les éléments et la tragédie omniprésente, et sont cependant profondément concentrés sur leur objectif unique, la défense de leurs proches.
Le cœur du film : une poignée de frères et sœurs, orphelins, livrés à leur sort dans un petit village du Kurdistan iranien. Ayoub, le fils aîné qui n’a guère plus de 12-13 ans, se démène pour nourrir les siens, au milieu d’essaims d’enfants de son âge qui se battent pour n’importe quelle embauche à l’heure. Il se fait engager par des contrebandiers pour passer des cargaisons en fraude à dos de mules à la frontière irakienne. Nous sommes ici dans la logique d’une économie de survie. Mais avant tout, Ayoub veut sauver la vie menacée de son petit frère atteint d’une grave malformation physique, que seule une opération peut sauver. Pour cela, il a besoin d’une certaine somme d’argent.
Le film ne raconte que cela, la folle volonté d’un enfant tendu tout entier vers la survie de ce frère martyr, Madi, au corps atrophié par la maladie. D’ailleurs ici, tous les corps sont, à un degré divers, suppliciés. Celui de Rojine sera vendu à un Irakien en échange du financement de l’opération de Madi, les carcasses des mulets soûlés à la gnôle pour tromper le froid s’effondrent sous l’effet des charges, des coups et de l’ivresse, et celui d’Ayoub, infatigable, arpente les terres truffées de mines en état de résistance permanente. Ces enfants ne sont plus que des corps-marchandises, exploités par les adultes.
Et pourtant, sous l’amoncellement des catastrophes, aucun des cinq ne s’effondre. Chacun cherche l’autre en permanence, et chacun rive son existence à celle de Madi, devenue la condition sine qua non de la leur. Les espaces géographiques chevauchent les espaces mentaux. Les lignes d’ascension horizontales, tracées le long des montagnes enneigées par les cortèges de contrebandiers, sont autant de lignes de fuite vers la frontière, c’est-à-dire vers la guérison possible de Madi, malgré les embuscades mortelles toujours possibles. La mise en scène de Bahman Ghobadi, à la fois nerveuse et sur la retenue, tenant du documentaire et admirablement composée, donne à ce combat intime une intensité qui nous vrille les tripes, et un caractère universel.
                                                                                                          Sophie Bonnet [Les Inrocks, 30 novembre 1999].

On trouvera en fichier téléchargeable un dossier rédigé par Christine Fillette.

 

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Les Enfants de la belle ville

 

Mardi 9 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec CINEDUC 2016: "Cinéma d'ici et d'ailleurs"

Les enfants de belle ville / Shah-re ziba 
Asghar Farhadi (Iran - 2012)

Ala et la fureur de vivre
En juin 2011, comme pour mieux contourner le rance et insidieux embrouillamini franco-français sur l’islam et la laïcité, notre société se ruait dans les salles d’art et d’essai voir un film iranien, Une séparation. Depuis cette déflagration, Farhadi en France, c’est l’œuvre à l’envers. Après un film inégal de 2006, La Fête du feu, et l’inégalé À propos d’Elly en 2009, le distributeur Memento Films expie sa frilosité passée en nous présentant aujourd’hui un opus du cinéaste daté de 2004, Les Enfants de Belle Ville. Le public y retrouvera l’écheveau complexe qui a fait le succès des films suivants. Au milieu des couleurs, il fera surtout une rencontre restée orpheline dans sa filmographie, d’une passion-obsession plus grande que la mort : Ala et sa fureur de vie.
Farhadi a dit : « La tragédie moderne n’est pas le combat du bien et du mal, mais du bien et du bien. » Quand ce combat se condense dans l’esprit malmené d’un seul personnage, on appelle ça un dilemme ; quand tous les personnages d’un écheveau en portent un avec les contraintes, le passé et les désirs qui leur sont propres, on obtient une situation. Enfin, quand chacune des branches des alternatives n’obligent pas seulement les vies et l’honneur des concernés, mais force toute une société à constater que les lois des hommes ne sont pas à l’image de celles du Dieu dont ils se réclament, on appelle ça un film de Farhadi. Ajoutez un plan ou un personnage manquant, et la recette est complète. Certes, cela pourrait bien finir par lasser. Mais Farhadi n’a rien de l’aventurier, de l’homme des lointains. Quand certains nomades arpentent le champ formel des possibles cinématographiques (Kiarostami, Panahi), Farhadi, démiurge casanier, reste l’esprit bien planté dans son sol, à triturer les matériaux jadis rencontrés sur son infime parcelle.[...]
Voir Les Enfants de Belle Ville, c’est regarder opérer sous nos yeux la mutation d’un schéma actanciel en course passionnelle. À côté de la passion d’Ala, de sa force qui va, le reste du film n’est plus qu’une affaire de vis et de boulons. À rebours, mais encore une fois, Farhadi nous prouve qu’il est un cinéaste de l’éthique, jamais un moraliste. En ces temps de discours populistes, une telle intelligence de la formulation plutôt que de la solution, une foi inconditionnée dans le principe plutôt que l’action du cynique, deviennent libérateurs. Dans un film de Farhadi, l’esprit respire.
                                                                                                                                                      Matthieu Bareyre [critikat.com]


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