Le 02/05/2018 Main basse sur la ville
- Écrit par Krishna
- Taille de police Réduire la taille de la police Augmenter la taille de police
- Publié dans Corruption
- Lu 7056 fois
- Imprimer
Mercredi 2 mai 2018 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Corruption " (2/4)
Main basse sur la ville / Le Mani sulla città
Lion d’or, Venise 1963
Francesco ROSI (Italie, 1963 - 103 mn)
En 1995, Francesco Rosi déclarait à propos de son œuvre cinématographique :
" Avec mes films, j’ai cherché avant tout à comprendre mon pays et à le raconter à travers un instrument, le cinéma qui, parmi les moyens de communication et de connaissance dont nous disposons, est celui qui nous permet, dans les ombres qui prennent vie sur l’écran, de reconnaître nos espoirs, nos échecs et nos victoires, d’accentuer nos doutes et de réfléchir à la façon de transformer ces doutes en force pour la conquête du mieux par le moyen de la raison. J’ai toujours cru en la fonction du cinéma en tant que dénonciateur et témoin de la réalité, et en tant que support d’histoires dans lesquelles les enfants puissent connaître leur pères et en tirer un enseignement afin de se former un jugement dont l’Histoire serait la référence. Le cinéma est Histoire et en tant que tel il devrait devenir dans toutes les écoles du monde un complément indispensable de l’enseignement. "
Né en 1922, Rosi quitte sa Naples natale pour tenter sa chance dans le cinéma. Le jeune étudiant monte à Rome où rapidement, il devient assistant de Luchino Visconti. Pour La terre tremble en 1948, puis Bellissima (1951) et Senso (1954). Sur le plateau, Rosi fait tout : script, story-boarder, assistant à la mise en scène, directeur de casting, décorateur... tout en aidant d'autres réalisateurs sur leurs plateaux, tels que Monicelli, Matarazzo ou Antonioni. De fil en aiguille, le napolitain co-réalise Kean avec Vitorrio Gassman puis met en scène, enfin seul, ses deux premiers films en 1958 : Le défiet Profession magliari. Dès ses premières oeuvres se dessine une évidence : l'exigence, née de la fréquentation assidue des salles et d'une passion pour les films noirs américains, ceux de Jules Dassin, de Robert Siodmak, de John Huston ou d'Elia Kazan. Soit des oeuvres populaires aux forts accents sociaux, dont le rythme nerveux n'occulte jamais la société qui les entoure. De cette passion, Rosi gardera un vrai sens du spectacle, même dans ses films les plus politiques. Ainsi, Main basse sur la ville, plongée documentaire dans la technocratie napolitaine, n'en oublie jamais son but premier : parler aux foules, saisir le spectateur pour ne le lâcher qu'à la fin de son enquête. Tourné dans un magnifique format large noir et blanc, le quatrième long-métrage de Francesco Rosi emprunte d'ailleurs au cinéma américain un faste et un sens du rythme digne des meilleurs thrillers : le montage énergique et la science du cadre en imposent d'emblée dans une scène de conseil municipal qui n'est pas sans rappeler les plus belles heures du film de procès américain. Là, dans un décor confiné de salle de mairie, Rosi multiplie les changements d'axes, d'échelles de plans, alternant plongées et contre-plongées pour mieux épouser la frénésie des débats. Même maestria dans une des scènes clé du film, qui voit un taudis s'effondrer sur ses habitants. En trois minutes, Rosi combine tout le spectaculaire du cinéma américain avec le néo-réalisme italien. Fils spirituel de Visconti, Rosi a hérité de son maître une approche formelle éblouissante et un sens aigu de l'Histoire. A Rosseliini, qu'il admire et qui a tant compté pour le cinéma italien d'après-guerre, il emprunte la perspicacité de l'artiste sur son pays d'origine, mélange de pédagogie documentaire et d'acuité politique. [Ronny Chester, dvdclassik.com].
Main basse sur la villeprend fréquemment des allures de film noir, avec une musique à la Melville, un montage très rapide, et une caméra qui change en permanence de perspective et de point de vue. Rythmé par des réunions en sous-main filmées dans une obscurité angoissante (comme la plupart du film), Rosi donne la mesure d’une impossibilité de transparence : comme le dit de Vita, « Tout est en règle mais c’est la règle qui ne va pas ! » Terrifiant, effrayant à plusieurs titres, le film de Francesco Rosi fonctionne sur l’opposition constante : opposition entre le peuple qui refuse de s’en aller face aux constructeurs, opposition entre Nottola et De Vita lors d’une scène particulièrement réussie de confrontation. Nottola montre à son collègue député la modernité de ses immeubles, il est devant lui, mais la caméra prend le point de vue de De Vita, contemplant Nottola au-dessus de la ville, dans une position de régnant sur un balcon, position aussi de l’accusé dans un tribunal.
Mêlant une atmosphère policière et une profonde réflexion sur la responsabilité en politique, Francesco Rosi est l’héritier du néo-réalisme de Rossellini dans la volonté de faire des films comme on commet un acte politique. Mais, comme Rossellini, il dépasse la simple description en la sublimant, en jouant des cadres dramatiques : il utilise le cinéma et ses possibilités pour se faire l’écho d’une réalité sociale, réalité qui n’a pas tellement bougé depuis. [Ariane Beauvillard, critikat.com]