La Grande Bouffe

  • Publié dans A Table
Mercredi 7 janvier 2015, 20h
La grande bouffe  / La grande abbuffata
Marco Ferreri (France/Italie - 1973)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
" Nous tendions un miroir aux gens et ils n'ont pas aimé se voir dedans.
C'est révélateur d'une grande connerie
." Philippe Noiret.

Car le paradoxe a voulu que Ferreri finisse par être un cinéaste sous-estimé. Alors qu'avec Fassbinder et Oshima, il aura sans doute été, depuis trois decennies, le cinéaste le plus intimement lié au battement du coeur du monde contemporain. La force de son cinéma n'est justement jamais liée à une vision théorique de l'homme, mais à une capacité intuitive de l'inventer, d'en saisir la pulsation intime, la mélancolie et la solitude. Sans dramatisation, complaisance ni emphase, sans avoir recours à des dispositifs (ce mot si galvaudé aujourd'hui qui, à sa manière, dit tout le contraire de ce qu'est le cinéma de Ferreri), il aura capté le désenchantement de la civilisation contemporaine, la crise de valeurs collectives et le manque d'amour. Avec toujours une belle croyance dans l'homme, évidente, sereine.
Serge Toubiana [Cahiers du cinéma, n° 515 (Juillet-Août 1997), p. 21].

La projection de La Grande Bouffe, au cœur du week-end, marque le quarantième anniversaire du scandale qui avait secoué la Croisette en 1973, un des derniers vrais grains à s'être abattu sur les marches cannoises. « J'étais toute naïve, se souvient Andréa Ferréol, mon père était assis derrière moi et il m'a fait un petit signe – pouce levé – quand le film s'est achevé. Je ne m'attendais pas du tout à ce qui nous attendait dehors. J'ai été secouée, physiquement prise à partie, les gens hurlaient, une femme m'a agrippée pour me dire : " Madame, j'ai honte d'être française " et ça ne s'est pas arrêté à Cannes. Quand nous sommes rentrés à Paris, certains restaurants refusaient de nous servir. Un soir, dans un restaurant italien, un femme est venue me voir et m'a dit : " Madame, puisque vous êtes là, je pars! " » Michel Piccoli se souvient, lui, d'un employé de la SNCF qui lui avait dit dans une gare : « Mon pauvre monsieur, c'est terrible votre métier ! Dire que maintenant vous n'aurez plus de travail... »
L’année précédente, en 1972, le cru cannois avait été jugé si faible que le comité de sélection du Festival décide de réagir. Les trois films de la compétition qui concourent pour la France créent, de fait, l’événement : La Planète sauvage, de Topor et Laloux, La Maman et la putain, de Jean Eustache, lui aussi objet de scandale, mais qui divise moins la critique. Et cette fameuse Grande Bouffe, projetée le 21 mai. Dès la mi-séance, les pets et les geysers scato à l’écran commencent à susciter des huées. Andréa Ferréol se souvient qu’à l’orchestre un homme hurlait : « Vous n’avez plus qu’à nous pisser dessus maintenant ! » Qu’est-ce qui, alors, choque tant ? La chair et la graisse, le vomi et le caca. Des montagnes de chair englouties, des hommes dégoûtés par la vie qui se gavent comme des oies, rotent et forniquent. L’homme est réduit à une mécanique physiologique, la société de consommation, exhibée dans toute son obscénité. De quoi exciter les gardiens du bon goût, qui trouvent là matière à s’étrangler d’indignation.
Le film sert, d’ailleurs, de révélateur. Qui aurait pu penser qu’Ingrid Bergman, présidente du jury, juge La Grande Bouffeet La Maman et la putain comme les films « les plus sordides et les plus vulgaires du Festival » ? C’est dans la presse que la violence est le plus marquante. En replongeant dans les articles de l’époque, on est stupéfait. Florilège : « Honte pour les producteurs […], honte pour les comédiens qui ont accepté de se vautrer en fouinant du groin […] dans pareille boue qui n’en finira pas de coller à leur peau » (Jean Cau). « On éprouve une répugnance physique et morale à parler de La Grande Bouffe » (Louis Chauvet, du Figaro). « Le Festival a connu sa journée la plus dégradante et la France sa plus sinistre humiliation » (François Chalais, d'Europe 1). « La Grande Bouffe relève plus de la psychiatrie que de la critique » (André Brincourt, du Figaro). Dans les colonnes de Télérama aussi, on se lâche en s’écharpant. Un « pour/contre » ne suffit plus, la bombance de Ferreri réclame trois critiques dont une, historiquement viscérale, de Claude-Marie Trémois : « Ce que l’on blasphème ici, c’est l’homme, le partage fraternel du pain et la notion même de fête. Ce qu’on sacralise, c’est l’excrément. » Gilbert Salachas est plus narquois dans son verdict négatif, tandis qu’Alain Rémond défend le film avec un certain calme.
Samedi soir, si l'on oublie quelques fauteuils qui claquent, le film est projeté dans un climat d'adhésion rieur et unanime. Même le roumain Cristian Mungiu, réalisateur d'Au delà des collines, et membre du jury de Steven Spielberg, rit à gorge déployée aux dialogues de Francis Blanche. « On nous a reproché d'être grossiers et vulgaires, dit Michel Piccoli, mais c'est tout le contraire, La Grande Bouffe est un film d'amour. Amour des gens, amour des hommes et amour de la femme. » Un seul regret. Des tempêtes comme ça, on n'en connait plus. 
« Chaque année, dit Thierry Fremaux, en ouverture de la séance, on me demande : " Alors quel film fera scandale cette année ?" » Avant d'aller s'asseoir, Andréa Ferréol dit : « Ca serait bien qu'il y ait encore du scandale ce soir. » Il n'y en a pas eu.
Laurent Rogoulet [Télérama, 19 mai 2013]

 
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Le Festin de Babette

  • Publié dans A Table
Mercredi 14 janvier 20145, 20h
Le festin de Babette  / Babettes Gaestebud
Gabriel Axel (Danemark - 1987)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
 
Un film beau, simple, pur, où passent l'amour des êtresl'innocence des humbles, le mystère de la création artistitque, où souffle le vent de l'esprit. [...]
La mise en scène de Gabriel Axel, sa mise en images où le noir, le blanc, toutes les nuances du gris, disent, au fil des saisons, les couleurs du temps, de la religion, épousent les cheminements narratifs de Karen Blixen.
Jacques Siclier [Le Monde, 27-28 mars 1988].
 
Le film de Gabriel Axel rejoint The Dead de John Huston, le repas y suit le même mouvement de la résurgence du passé, pour aboutir à la même révélation d'une histoire d'amour impossible et morte. Plus qu'un oeuvre d'atmosphère pointilliste, Le Festin de Babette reste, avant tout une belle histoire, un conte moderne où le merveilleux n'a d'autre pouvoir sur la vie que de rendre les échecs, les regrets et la mort plus doux. Avec ce film poétique, Gabriel Axel prend place parmi les cinéastes conteurs, qui aiment leur histoire, mais aussi leurs personnages et leurs acteurs: ils sont tous ici magnifiques.
Frédéric Strauss [Cahiers du cinéma, n° 405 (Mars 1988), p. 43-45].
 
... Autour de beaux visages
"J'ai eu cinquante-quatre jours de tournage, ce qui est confortable mais nécessaire à cause d'acteurs âgés qui jouaient au théâtre le soir. L'aîné (le pasteur) a quatre-vingt-quatre ans. Il y a sept comédiens ayant travaillé avec Carl Th. Dreyer principalement dans Ordet, Gertrud, Jour de colère. Je n'ai pas voulu faire un hommage à Dreyer, cela s'est produit presque par hasard. J'ai retrouvé ces beaux visages tous différents qui font passer par le regard, l'intensité, la présence. Ils se complètent. Le général est interprété par Jarl Kulle, le grand comédien de Bergman, notamment de Fanny et Alexandre."

Entretien avec Gabriel Axel [La Revue du cinéma, n° 437 (Avril 1988), p. 20-26]

L'esprit et la matière
" Les problèmes évoqués dans le film sont loin de nous, seulement en apparence. Il parle de la communication empêchée ici par la religion dogmatique. Le repas préparé par Babette provoque la communication entre les êtres, c'est le miracle, il entraîne l'union de l'esprit et la matière. Conte métaphysique, ce film ne s'adresse pas à notre esprit, à notre sens esthétique ou à nos sentiments, mais à notre âme."

Entretien avec Stéphane Audran [La Revue du cinéma, n° 437 (Avril 1988), p. 20-26]

Un conte de Karen Blixen fournit le savoureux scénario de ce film, qui connut une carrière étonnante. En 1871, une Française chassée par la Commune trouve refuge au Danemark, dans un village très pieux. Les deux filles du défunt et vénéré pasteur prennent Babette à leur service, mais, au bout de quatorze ans, elle s'apprête à les quitter en leur préparant un inoubliable festin... Il y aura douze personnes à table, autant que d'apôtres. Et Babette offre avec ce repas la part la plus belle de son histoire : « Prenez, ceci est ma vie », semble-t-elle dire...
La symbolique religieuse rencontre ici celle de la chair fraîche : les mets, diablement sophistiqués, ont le goût de toutes les tentations. C'est soupe de tortue contre cantiques, nourritures terrestres contre nourritures spirituelles... Le duel se joue cependant dans la douceur et la subtilité. La nostalgie rassemble les personnages, qui ont tous le regret d'un amour qu'ils ont laissé passer. Dans la communauté priant pour l'éternité, le festin rappelle que les bonheurs éphémères, qui font tant souffrir, peuvent aussi être des miracles. Gabriel Axel met en scène cette histoire avec un fin plaisir, tout comme Stéphane Audran l'interprète : elle est divine.
Frédéric Strauss [Télérama, 26 décembre 2009]

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Taxi Blues

  • Publié dans Droujba
Mercredi 25 février 2015, 20h
En partenariat avec DROUJBA 38 - Amitié France Russie
Taxi Blues
Pavel Lounguine (France / URSS - 1989)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

« Lorsqu'il y a dix ans tout le monde était euphorique sur la Pétrestroïka,
j'ai réalisé
Taxi Blues, un film sur la tragédie de cette liberté,
sur les maux qui pouvaient survenir.
Les dix années écoulées ont prouvé que je n'avais pas tort. »
Pavel Lounguine.

Pavel Lounguine est né le 12 juillet 1949 à Moscou, d'un père scénariste et d'une mère traductrice. Il est de nationalité russe et française. Il s'établit en France en 1990 et tourne, avec des producteurs français, des films sur la Russie. Après des études de mathématiques et de linguistique à l'Université entre 1965 et 1971, Pavel Lounguine intègre la VGIK, l'école de cinéma de Moscou. En 1990, son premier film, Taxi Blues, sur l'amitié entre un chauffeur de taxi et un saxophoniste en déboires, est très bien accueilli par la critique et remporte le prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Dix ans plus tard, La Noce obtient une mention spéciale décernée à l’ensemble des acteurs à Cannes. Pavel Lounguine s'intéresse aux changements radicaux de son pays à la suite de la chute du communisme, ce qu'il veut communiquer dans ses films.

Pavel Lounguine à propos de Taxi Blues
Quand je regarde votre film, je suis très proche du cinéma soviétique par mes origines et aussi par goût. Vos personnages me font penser à des personnages de Dostoievsky. Peut-être allez-vous rire de moi?

— P. Lounguine: Je vais plutôt rire de moi, en me comparant à Dostoievsky. Vous savez, Dostoïewsky est devenu un archétype. Quand il y a quelque chose de bon dans la littérature russe, on dit que c'est du Tolstoï. Quand il y a quelque chose de dur, de mélangé, d'un peu psychopathe, on dit que c'est dostoïevskien. C'est vrai que, dans mon chauffeur de taxi, il y a quelque chose des frères Karamazov, c'est-à-dire un être illogique. Toutefois, je ne pense pas que ce soit des personnages qui relèvent de Dostoievsky, mais plutôt de la réalité de notre vie. Il faut savoir que Dostoievsky refléchit aussi la réalité qui l'entourait. Il faut dire que cette réalité n'a pas beaucoup changé. Plus on voit le chemin historique de la Russie, plus on voit que la révolution d'Octobre, qui a massacré et tué beaucoup de gens innocents, était dévorée par cette tradition russe à laquelle on n'échappe pas. On a fini par reproduire de nouveau ce régime étrange, un peu asiatique, un peu européen, où tout est mélangé et demeure traditionnellement russe.
Vous sentez-vous profondément russe? Si oui, qu'est-ce que cela veut dire? 

— P. Lounguine: Il faut que je me démasque, parce que je suis un Juif russe ou bien un Russe juif, je ne sais pas. Je suis Juif, mais je ne suis pas religieux. Je ne parle pas la langue. J'ai été élevé dans la culture et la langue russes, mais en même temps il ne faut pas oublier que l'antisémitisme existe toujours. Maintenant, il redevient de plus en plus fort. En Russie, on n'oublie pas que je suis Juif. En fait, je suis Juif par la force de l'antisémitisme. Alors je me sens fort et absolument Russe. Dans mon film, je voulais faire sentir comment tout est mélangé, confondu. Qui je suis? Je ne le sais pas réellement. Je ne suis pas du tout nationaliste. La culture d'Amérique et du Canada m'est très proche. Ce n'est pas une question de sang. Ce qui est important, c'est de savoir qui tu es et qui tu veux devenir. Mon musicien juif, c'est quelqu'un qui fait des choses à la Russe: il boit, il vend des fringues, il oublie tout, mais c'est aussi un Russe qui aime l'argent. En fait, toutes les idées et clichés que les gens ont dans la tête pour définir les Russes ne reflètent plus rien et ne sont donc plus cohérents. Qui suis-je? J'ai fini par me dire que je suis Pavel Lounguine avec tous ses complexes, sa folie, ses raisons et ses idées.
                   Minou Petrowski [Séquences : la revue de cinéma, n° 149, 1990, p. 34-35].

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Les Amours Imaginaires

Mercredi 11 mars 2015, 20h
les Amours imaginaires
Xavier Dolan (Canada - 2010)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Xavier Dolan n'est pas un génie. Ce n'est pas non plus un fumiste ni une saveur du mois. C'est un réalisateur, un vrai, un cinéaste jeune qui fait des films de son âge une qualité plus rare qu'il n'y paraît dans une industrie nord-américaine où des quinquagénaires font, en série, des films prétendument pour ados. Réglons la question de l'âge : Truffaut avait 26 ans lorsqu'il écrivit Les 400 coups, Carax en avait 23 lors du tournage de Boy Meets Girl et Forcier, également 23, lorsqu'il conçut Le retour de l'immaculée conception. Il est curieux qu'à notre époque où le jeunisme fait loi, on s'étonne de ce qu'un créateur de moins de 30 ans ait quelque chose à dire et sache comment le dire. Avec ses intuitions flamboyantes et ses maniérismes agaçants, avec sa fausse désinvolture et sa sincérité maquillée, Les Amours imaginaires confirme que Dolan est un cinéaste affirmé qui a un univers, une voix, un vrai regard sur le monde. C'est déjà beaucoup, à n'importe quel âge.[...]
Nous sommes ici au cinéma, pas dans la littérature filmée, ni dans la sociologie en images. Les personnages des Amours imaginaires n'existent qu'à l'écran, et seulement dans le contexte de cette histoire de triangle amoureux. Leur travail, leur famille, leurs amis, leur passé, leur avenir n'ont aucune importance. Ne compte que ce flux amoureux qui circule et l'univers dans lequel il s'inscrit qui, bien avant d'être à Montréal, en 2010, est celui de la planète cinéma. Musset, Dalida, Koltès, Michel-Ange, le Bauhaus sont appelés, mais ce sont les citations au 7e art qui forment le coeur de cet opus créé par un enfant de l'image. Né en 1989, Dolan n'est pas seulement un enfant de Musique Plus et du web, il est le fruit d'un siècle d'images qui, de Man Ray à Gus Van Sant, en passant par Audrey Hepburn, James Dean et Cocteau, trouve ici une expression aussi tendance qu'assumée. Les citations abondent, mais elles sont porteuses de sens. [...]
Cinéaste d'aujourd'hui, il sait filmer l'attente, le désir, la frustration, mais aussi les arbres, les ombres et les nuques. On zyeute ces dernières, on les caresse, on les gratte, on les tend : sous l'oeil amoureux de la caméra, la nuque devient une métaphore du désir. Ce n'est pas l'idée du siècle (on se souviendra, entre autres, de celle de Vanessa Paradis dans Noce Blanche, et de celle de Paul Newman, dans tous ses films), mais c'est une idée de cinéma qui atteint son but. Ceci dit, les « défauts » du cinéaste ne sont pas ceux qu'on retrouve souvent dans le cinéma québécois (images léchées, message appuyé, récit laminé par le rouleau compresseur des institutions). Ce ne sont pas non plus ceux du cinéma français ou ceux du cinéma américain, indépendant ou non. Nord-américain de sensibilité européenne (comme dit l'autre!), Dolan a des défauts qui lui appartiennent et le définissent. Si ce n'est pas la marque d'un créateur... Tout en jouant à fond la carte de la séduction, fût-elle à rebrousse-poil, il n'essaye pas de plaire à tout le monde et à son voisin. Et l'urgence palpable dans Les Amours imaginaires (tout comme dans J'ai tué ma mère) apporte un vent de fraîcheur salutaire dans un cinéma national trop souvent consensuel. Avis aux intéressés, ce film-ci ne fera pas l'unanimité, et c'est tant mieux.
[Extraits de l'article d'Eric Fourlanty qu'on peut lire dans son intégralité dans le fichier en attaché].

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La Fièvre dans le Sang

Mercredi 25 mars 2015, 20h
La Fièvre dans le sang / Splendor in the Grass
Elia Kazan (USA - 1961)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

« Je crois que, de tous mes films, c'est le film qui a le plus de maturité dans son dénouement.
Quand elle lui rend visite chez lui et qu'il est marié - il y a quelque chose là qui est beau.
Je ne le comprends pas vraiment. Cela va plus loin que tout ce que j'ai fait - c'est venu comme ça."
Elia Kazan, Le plaisir de mettre en scène, G3J (2010), p. 227]

Elia Kazan vu par ses pairs
Pour Stanley Kubrick, dans les années 50 il [Elia Kazan] était « le meilleur metteur en scène que nous ayons en Amérique ». Robert Aldrich le considérait alors comme « le plus audacieux de nous tous dans les choix de ses sujets ». Nicholas Ray, en écho à la majorité de ses confrères, voyait en lui le plus grand directeur d’acteurs aux Etats-Unis ; et John Cassavetes, au milieu des années 70, n’aurait accepté de jouer que sous sa direction. La jeune critique française n’était pas en reste : François Truffaut louait Baby Doll, Robert Benayoun A l’Est d’Eden, Roger Tailleur Le Fleuve sauvage, et Jacques Rivette La Fièvre dans le sang. Elia Kazan n’a cessé, depuis, d’exercer son pouvoir magnétique, suscitant l’admiration de cinéastes aussi divers que Marguerite Duras ou Catherine Breuillat, et influençant la génération des indépendants américains dans les années 70. Ce sont Martin Scorsese et Robert De Niro, ses héritiers, qui lui remirent son Oscar d’honneur à Hollywood en 1999.
Dossier Elia Kazan, Positif, n° 518 (avril 2004).

Le cinéma d'Elia Kazan
Savoir gré à Kazan d’avoir découvert Brando et James Dean, deux acteurs de légende qui ont déplacé un temps l’imaginaire d’Hollywood, ce qui n’est pas rien. Se rappeler que c’est Kazan qui leur a permis, à l’un comme à l’autre, de signer au moins un bon film : Un tramway nommé désir, avec sa belle théâtralité, et A l’est d’Eden, le seul James Dean où passe un souffle de vérité, et qui vaut bien l’interminable slogan d’images de Nicholas Ray, La Fureur de vivre. Kazan était aussi amateur de femmes, de jolies femmes. Dans Splendor in the Grass (La Fièvre dans le sang), il suffit de quitter l’attachante Natalie Wood, la fiancée d’amour de Warren Beatty, de s’attarder plutôt sur les deux autres filles du film pour s’en convaincre. Quand le jeune Beatty abandonne sa fiancée par lâcheté de classe, il épouse une belle Italienne, jouée par la ravissante et sensuelle Zohra Lampert. Mais c’est la sœur de Warren Beatty qu’il faut regarder. Dans le film, elle se suicide. Dans la vraie vie, le cancer l’a emportée. C’est Barbara Loden, l’une des nombreuses épouses de Kazan, et l’auteur de Wanda, l’un des seuls vrais autoportraits de femme du siècle dernier (avec Deux fois de Jackie Raynal et Je, tu, il elle, de Chantal Akerman). Louis Skorecki, Libération (Mardi 17 décembre 2002).

Délicat et cruel, un des plus beaux films d’Elia Kazan
Placé entre Le Fleuve sauvage et America America, La Fièvre dans le sang appartient à la meilleure période, éperdue et vigoureuse, de Kazan. Dans les années 30, un jeune homme et une jeune fille voient leur histoire d’amour entravée par la morale puritaine qui interdit jalousement l’assouvissement des désirs. Les effets maladifs du puritanisme, lorsque l’oppression provoque une honte de soi qui mènera la jeune fille à la dépression et le jeune homme à la rage, sont ici poussés à leur comble, sous un versant étonnamment intime dans le cadre d’un cinéma encore hollywoodien. Natalie Wood offre ses traits impétueux à cette jeune fille, tandis que le physique de jeune premier blanc-bec de Warren Beatty se prête génialement à la souillure. Le système de l’Actors Studio est utilisé de manière paradoxale, à la fois magnifié et délaissé : il sert l’intensité de la représentation de la névrose tout en étant tenu à distance par la critique du système social qui a créé ces souffrances juvéniles. La vraie cruauté n’est pas celle de la stagnation névrotique, mais celle du changement d’époque. Autrement dit, les décors naturels et le temps qui passe imposent à la fois une réelle cruauté et une réelle liberté à des personnages qui seraient artificiellement condamnés dans le système du huis clos (du type, disons, d’Un tramway nommé désir). La mise en scène associe la maîtrise olympienne du temps, qui périme sans pitié les croyances morales d’une époque, et le sens du détail calamiteux, qui sanctionne les thuriféraires de cette même époque (le suicide miteux du père magnat). L’épilogue, qui déploie main dans la main le tact et la cruauté, met face à face, des années plus tard, Warren Beatty et Natalie Wood. Elle, encore convalescente, est sortie victorieuse de l’épreuve, lui, amoindri. La commune compréhension de ce qui fut le sacrifice de leur jeunesse les unit avant que la commune compréhension d’une issue opposée ne les sépare, cette fois définitivement.
Axelle Ropert, Les Inrockuptibles, n° 594 (16 août 1970).

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Le Baiser de la femme araignée

Mercredi 8 avril 2015, 20h
Le baiser de la femme araignée / Kiss of the Spider Woman
Hector Babenco (Brésil - 1984)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec le 15è Festival " Vues d'en face "

« Ce film possède, du début à la fin, l'étoffe des grands chefs-d'oeuvres. C'est une toile de celluloïd. »
The New York Times.
« Hector Babenco a réalisé une oeuvre curieuse, intelligente, étonnante, déroutante, digne et poignante.» 
Excessif.com.

William Hurt: Oscar du Meilleur acteur
et Prix d'Interprétation masculine au Festival de Cannes 1985.

Le Baiser de la femme araignée est de la trempe de ces films cultes qui font partie de notre mémoire collective, de notre histoire, de notre identité, au même titre que des chefs-d’œuvre comme Théorème, Querelle ou Torch Song Trilogy.
Dans une prison d’un pays d’Amérique latine, Valentino, militant politique (Raoul Julia) et Molina, un homosexuel travesti (époustouflant William Hurt), deux personnages isolés dans leurs idéaux, vivant deux réalités différentes, sont enfermés dans la même cellule. Les longues heures de la journée sont rythmées par les cris des détenus passés sous la torture des gardiens. Pour fuir la peur et l’ennui, Molina s’évade par les songes et rêve de l’âge d’or du cinéma. Tous les jours, il raconte en détail à son codétenu l’histoire d’un film d’espionnage romantique de l’époque de l’UFA qui avait bercé son enfance. Molina se la joue Zarah Leander et semble s’identifier à l’héroïne de cette histoire d’amour, de trahison et de mort.
Molina n’est-il pas en train d’inventer cette histoire ? N’est-il pas en réalité en train de la vivre et de la construire ? Cette histoire de femme araignée n’est-elle pas tout simplement sa propre histoire ? Prisonniers de leurs conditions, de leurs désirs, en dépit des tentatives de manipulation des gardiens, le révolutionnaire marxiste et l’homosexuel efféminé vont apprendre à se connaître, s’apprivoiser, s’entraider, s’aimer. Mais tout cela n’est–il pas un jeu de dupes ? Chacun ne voit-il pas à travers l’autre le moyen de s’assurer la liberté ?
Film carcéral onirique et labyrinthique (on pense souvent à Brazil de Terry Gilliam ou à Birdy d’Allan Parker), mais aussi vrai film politique, théâtre de la tragédie humaine à l’ambiguïté vénéneuse, Le Baiser de la femme araignée tutoie plus d’une fois le sublime. Adapté brillamment par le Brésilien Hector Babenco du roman éponyme de l’Argentin Manuel Puig, spécialiste des techniques littéraires expérimentales, le film est présenté pour la première fois à Cannes dans la sélection officielle en 1985. William Hurt y obtient le prix de la meilleure interprétation masculine. Le film est revenu à Cannes en 2010 dans la sélection Cannes Classics, vingt-cinq ans tout juste après sa première présentation au Festival, dans une copie flambant neuve. Une reconnaissance méritée pour un film désormais classique.
Ivan Mitifiot, 5 février 2015.
[http://www.heteroclite.org/2015/02/le-baiser-de-la-femme-araignee-babenco/]

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Les trois jours du Condor

Mercredi 22 avril 2015, 20h
Théorie du complot ? (1)
Les trois jours du Condor / The Three days of the Condor
[Sydney Pollack (USA - 1975)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

"Je fais des films pour essayer d’explorer les deux côtés d’une question dont j’ignore la réponse.
Et parce que je peux essayer de découvrir la vérité de ce qui devrait être.
Et quand ça marche bien, les deux vérités sont là
." Sydney Pollack.

Ce thriller a une étonnante résonance aujourd'hui. A l'époque, c'est l'engagement politique personnel de Robert Redford, notamment dans la lutte contre le pouvoir des compagnies pétrolières, qui le fit s'intéresser au scénario des Trois Jours du Condor. Il y joue un romancier embauché par la CIA pour décrypter des romans contenant des messages secrets, jusqu'au jour où une de ses découvertes referme sur lui une machination mortelle. Laquelle est commanditée par... la CIA, pour protéger la politique étrangère américaine. 

Accrochez-vous à votre siège : dès les premières images, l'ennemi est partout, invisible, aux aguets. La traque a déjà commencé ! Juste après l'excellent thriller Yakusa avec Robert Mitchum, Sydney Pollack fait monter la tension d'un cran avec ce film d'espionnage à la sauce seventies. Musique funky de série policière, sexe décomplexé, plus tous les ingrédients du genre : suspense haletant, agents troubles, retournements de situation et séduction à la dure. En jouant sur le thème du complot en haut lieu, le film touche une corde sensible chez les Américains au milieu des années 70, quelque peu méfiants à l'égard des autorités depuis le Watergate. Dans le rôle du (beau) grain de sable qui grippe la machine, Robert Redford est l'homme à abattre. Certes, il n'est pas forcément crédible en rat de bibliothèque qui se transforme un peu vite en grand maître de l'espionnage. Mais on se gardera bien de le lui reprocher, histoire de ne pas se gâcher le plaisir de le voir manoeuvrer et démasquer les méchants. Des méchants qui, comme dans tout bon film d'espionnage, sont parfois difficiles à distinguer des gentils... Les trois jours du Condor fut nominé en 1975 pour l'Oscar du meilleur montage mais fut devancé par Les dents de la mer. Sydney Pollack se rattrapa dix ans plus tard avec Out of Africa, toujours avec Robert Redford, qui en rafla sept.
Présentation du film par la Chaîne ARTE (24 janvie 2010).
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A cause d'un assassinat

Mercredi 6 mai 2015, 20h
Théorie du complot ? (3)
A cause d'un assassinat / The Parallax View
[Alan J. Pakula (USA - 1974)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Un sénateur est assassiné lors d’un meeting. Les conclusions de l’enquête désignent un déséquilibré, mort après son acte, comme seul responsable. Mais trois ans plus tard, les témoins du drame meurent un à un dans des circonstances mystérieuses.
Les investigations d’un petit journaliste pugnace l’amènent à découvrir l’existence d’une société secrète, Parallax, qui recrute et conditionne des tueurs pour des crimes politiques. Chef-d’œuvre d’Alan J. Pakula et d’un sous-genre important du cinéma américain des années 70, le thriller paranoïaque, À cause d’un assassinat (The Parallax View, 1974) fait partie des nombreux films directement inspirés par l’assassinat du président Kennedy à Dallas et de son frère Robert à Los Angeles. Alan J. Pakula a réalisé À cause d’un assassinat entre Klute et Les Hommes du président. Ces trois films remarquables sont autant de variations autour du thème du complot, criminel, politique, imaginaire ou réel. Tandis que Les Hommes du président relate sur le mode journalistique le scandale du Watergate, et que Klute privilégie la piste psychologique et l’étude de caractères, À cause d’un assassinat choisit l’option de la science-fiction et du fantastique, qui évoque même les premiers « gialli » de Dario Argento. Ce film froid et désespéré est un modèle de fiction hitchcockienne (La Mort aux trousses, avec sa prolifération de décors), usant de rebondissements feuilletonesques et de virtuosité maniériste pour dresser un constat implacable sur le désarroi moral des États-Unis.
La mise en scène est magnifique et Warren Beatty, grand acteur sous-estimé, absolument génial. Pakula réussit un film dissonant à l’extrême stylisation de la mise en scène et de la photographie (signée Gordon Willis), objet abstrait et désenchanté qui dialogue avec Conversation secrète de Coppola, sorti la même année. Le film forme d’ailleurs avec Conversation secrète et Blow Out de De Palma un triptyque idéal sur l’obsession du complot. Pakula qui avait commencé sa carrière comme producteur associé sur sept films avec le cinéaste Robert Mulligan n’a jamais retrouvé une telle inspiration pour la suite de sa filmographie.
OLIVIER PÈRE. Présentation du film sur la chaîne ARTE.

De tout temps, les cinéastes de la patrie de l’Oncle Sam n’ont jamais eu d’égal pour oser s’attaquer à la critique de leur propre gouvernement, et plus spécifiquement, dès que le film d’investigation et le thriller parano, valeurs sûres par excellence, osaient travailler ensemble. Reste que deux cinéastes emblématiques, récemment disparus, ont su élever l’association de ces deux genres vers des cimes encore infranchissables. D’une part, le brillant Sydney Pollack, à travers une flopée de thrillers marquants (Les trois jours du Condor, L’interprète, La Firme…) qui auront offert au film politique ses plus belles heures de gloire. D’autre part, et peut-être de façon plus éclatante, le trop méconnu Alan J. Pakula, que le succès de Klute et des Hommes du Président aura définitivement intronisé comme cinéaste majeur et engagé. Formant avec les deux films précités un ensemble qu’il est permis de surnommer la « trilogie de la conspiration », où la recherche d’une vérité souterraine et cachée ouvrait la voie à un hallucinant vertige scénaristique, A cause d’un assassinat est sans aucun doute l’œuvre qui aura le mieux formulé cette description d’un hypothétique complot secret et invisible, mis en place par des puissances politiques aussi incertaines qu’occultes. Plus que jamais, mieux que quiconque, Pakula est resté imbattable dans l’approche du non-dit et la mise en scène de l’indicible.
GUILLAUME GAS [http://www.courte-focale.fr/cinema/analyses/a-cause-dun-assassinat/]

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Dolls

Mercredi 20 mai 2015, 20h
En partenariat avec " Voyage au pays de Chihiro "
Dolls [Takeshi Kitano (Japon - 2002)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Avec la participation de Stephanie Thuery, pianiste diplômée du Conservatoire de Grenoble,
qui nous parlera de la musique de Joe Hisaishi, compositeur attitré de Takeshi Kitano et Hayao Miyazaki.

LES AMANTS DU BOUT DU MONDE
Les plus beaux films sont souvent des miracles. La naïveté de Dolls serait confondante si elle n’était sublimée par la beauté des images. On se laisse submerger par l’émotion simple et poignante qui se dégage du destin des personnages. Toucher en plein cœur par des scènes d’une tendresse inouïe. Deux vieux amants se retrouvant sur un banc, trop émus pour déclarer leur flamme. Une jeune femme qui s’épuise à souffler dans un jouet pour enfant. Une larme qui coule enfin sur un visage longtemps fermé. Le geste désespéré d’un homme qui a consacré sa vie à une chimère. Tel un peintre, Takeshi Kitano se sert des couleurs de la nature et de ses nuances pour créer une infinité de sentiments et d'humeurs. Il compose des plans magnifiques qu’il étire jusqu’à l’hypnose et refuse tout sentimentalisme, en préférant la suggestion à l'artifice. Même la musique de Joe Hisaichi, insistante dans les films du cinéaste, se fait ici plus discrète. Par son absence, elle renforce le spleen diffus qui naît de ces trois histoires d’amour immortel. La dernière demi-heure confine à la magie. Vêtus d’amples costumes traditionnels recréés à l'occasion par Yohji Yamamoto, Matsumoto et Sawako terminent leur voyage, enfin apaisés. Le rideau peut alors se lever sur la portée symbolique du plus beau film de l’année.
Yannick Vély [http://www.filmdeculte.com/cinema/film/Dolls-530.html].

Takeshi Kitano, évoquant les deux amants reliés par leur corde rouge :
« Lorsque j'étais encore un aspirant comédien à Asakusa, j'ai vu un jour un homme et une femme attachés l'un à l'autre par une corde. Les habitants du quartier les appelaient 'les mendiants errants'. Il y avait beaucoup de rumeurs à leur sujet, mais personne ne savait vraiment comment ils étaient devenus vagabonds. La vision des mendiants errants est restée gravée dans ma mémoire et j'ai toujours voulu réaliser un film avec des personnages comme eux
Takeshi Kitano sur les costumes de Yohji Yamamoto :
« Aussi étrange que cela puisse paraître, j'ai laissé faire Yohji Yamamoto sans aucune concertation. Je lui ai laissé une totale liberté de création, un peu comme s'il créait son propre défilé dans le film. Lors de la première session d'essayage, Yohji nous a présenté les costumes de l'automne et ceux des mendiants errants. Miho, l'actrice principale, portait une robe rouge vraiment très loin des vêtements que portent les mendiants ! Quand je l'ai vu, j'ai failli tomber à la renverse. J'ai vraiment paniqué pendant un instant. Puis je me suis calmé et j'ai dit : 'Leurs costumes ne doivent pas nécessairement être réalistes puisque c'est l'histoire de marionnettes humaines'. Nous étions devant un phénomène inverse : normalement, les costumes s'adaptent au film. En fait, il est arrivé que nous ayons à changer de lieu de tournage pour mieux s'accorder aux costumes.»
Takeshi KItano sur les couleurs intenses du film :
« On m'a dit que mes films avaient tendance à avoir une teinte bleuâtre. Alors j'ai pensé que ça vaudrait le coup de réaliser un film avec une grande variété de couleurs, celles-là même que j'avais toujours évitée dans mes films précédents par peur de décevoir. Puisque le film devait se dérouler au Japon, il était évident pour moi que je devais néanmoins filmer les quatre saisons. Au printemps les cerisiers du Japon sont en fleur, en été la mer est très calme et lumineuse, en automne les feuilles sont très rouges et nous avons de la belle neige en hiver. Ces paysages sont peut-être un peu clichés, mais j'ai osé les filmer et en faire la ligne conductrice de Dolls.»

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Tueurs de dames

Mercredi 10 juin 2015, 20h
Alexander Mackendrick (1)
Tueurs de dames / The Ladykillers
[Alexander Mackendrick (GB - 1955)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Pour terminer notre saison cinématographique dans la bonne humeur,
rien ne vaut un retour aux sources: deux comédies d'Alexander Mackendrick 

Alexander Mackendrick, le représentant le plus brillant de l’humour anglais.
Après la Seconde Guerre mondiale débute l’histoire légendaire de la comédie made in Ealing. Elle suppose un arrière-plan réaliste, une situation logique poussée jusqu’à l’absurde, la peinture d’une petite communauté, et enfin une bonne dose d’humour pince-sans-rire. « Nous prenions un personnage – ou un groupe – et nous le laissions foncer tête baissée sur un problème apparemment insoluble », écrira Michael Bacon [un des producteurs des studios Ealing]. De nombreux films illustrent parfaitement ces propos : avec notre complicité amusée, les îliens écossais de Whisky à gogo (1949) bernent la douane anglaise ; le charmant Louis Mazzini (Dennis Price) de Noblesse oblige (1949), trucide méthodiquement une famille d’aristocrates, dont tous les membres sont interprétés par Alec Guinness ; l’équipe de De L’or en barre (1951) vide les coffres de la  Banque d’Angleterre, et, dans une fable sur la mutation industrielle de l’après-guerre, L’Homme au complet blanc (1951), le génial et inventeur Sidney Stratton (Alec Guiness) affronte d’un même mouvement patrons et syndicats de l’industrie textiles. Dernier petit chef-d’œuvre made in Ealing, Tueurs de dames (1955), dans lequel, sur un air de Boccherini, un groupe de malfrats conduit par le Dr Marcus (Alec Guiness) bute sur la candeur d’une petite vieille dame, Mrs Wilberforce (Katie Johnson).
                                                                          Philippe Pilard, « La comédie à l’anglaise », in N.T. Binh et Philippe Pilard (dir.)
                                                       Typiquement British, Le cinéma britannique, Editions du Centre Pompidou, 2000, p. 67-68.

Tueurs de dames / The Ladykillers
                     " Vous avez six personnages, et à la fin, cinq d'etre eux sont morts. Et vous me dites que c'est une comédie ? "
                                                                                                                                                                              Michael Bacon.
La conduite du récit comique de Tueurs de dames est implacable, et fait oublier que le film est entièrement construit sur une seule idée : comment l’innocence simplette d’une vieille dame peut venir à bout de la plus élaborée des machinations criminelles. Mackendrick oppose savoureusement l’hystérie croisante de la bande d’escrocs (où se distingue particulièrement Alec Guiness, Peter Sellers et Herbert Lom) au calme posé et méthodique de l‘incroyable Mrs Wilberforce (Katie Johnson). Là encore, il importe our susciter l’adhésion des spectateurs que le personnages ne soient pas de simples pantins. Selon une tactique héritée de Hitchcock de la période anglaise, ou des films de Launder et Gilliat, le réalisateur procède à une identification du public aux différents personnages pour faire monter le suspence. Alternativement, il est important que nous trouvions cette petite vieille exaspérante dans ses tentatives involontaires à faire échouer l’ingénieux hold-up, et attachante pour qu’il nous soit insupportable de la voir assassinée par nos maladroits gangsters.
Les couleurs chatoyantes du film contrastent avec sa cruauté macablre (mise en valeur, dans sa seconde partie, par de spectaculaires clairs-obcurs), ce qui ajoute à sa force comique. De même l’astucieuse styllisation des décors de studios lui donnent une allure de contes de fées qui « déréalise » le parfum d’exaspération croissante des Tueurs de dames. Et l’amoralisme de l’épilogue n’en acquiert que plus de saveur : la charmante madame Wilberforce, que personne ne croit, profitera seule du pactole volé et pourra enfin s’acheter un nouveau parapluie. Entre-temps, Mackendrick aura une fois de plus brossé un tableau peu reluisant de la société britannique : une vieille demeurée, des escrocs pitoyables, des autorités incompétentes sont le protagonistes révélateurs de la dernière comédie anglaise du cinéaste, qui s’engagera bientôt dans d’autres voies sans jamais cesser de nous surprendre.
                                                                                                                         Yann Tobin, Positif (Février 1992), p. 85-86.

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