Masculin, Féminin
Masculin féminin est " un film qui invente le reportage imaginaire dans la réalité
ou le reportage réel dans l'imagination: quelque chose qui serait au
cinéma narratif ce que Nadja de Breton est au roman."
Alain Jouffroy [Dossier de presse du film].
Jean-Luc Godard sur son film
" Je suis un enfant de la décolonisation. Je n’ai plus aucun rapport avec mes aînés qui sont les enfants de la Libération, ni avec mes cadets qui sont les enfants de Marx et de Coca-Cola. C’est le nom que je leur donne dans le film. Ils sont influencés par le socialisme, pris dans un sens économique très moderne, et par la vie américaine. La lutte des classes n’est plus telle qu’on nous l’a apprise dans les livres. Autrefois Mme Marx ne pouvait pas être mariée avec M. Coca-Cola, aujourd’hui on voit beaucoup de ménages comme ça."
[JLG, Le Monde, 22 avril 1966].
Edgar Morin surMasculin féminin
Jusqu'à là, on pensait que l'au-delà de la fiction était le documentaire, et que l'au-delà du documentaire était le film de fiction. Ici, avec Masculin féminin, nous sommes en même temps au-delà du réalisme de fiction et du cinéma-vérité documentaire, c'est pour moi la première réussite de ce cinéma-essai qui depuis des années se cherche.
Antoine de Baecque, Godard, Biographie [Pluriel, 2011, p. 308].
La présentation du film par Antoine de Baecque
Si Masculin féminin est juste, c’est qu’il parvient à saisir les signes éphémères du contemporain à travers le prisme de l’enquête. L’enquête est présente à l’image, mais elle est également source d’information, objet de critiques, et méthode de travail, puisque le cinéaste a réuni l’essentiel de sa matière et de ses dialogues en interviewant lui-même les cinq acteurs principaux de son film :
J’ai parlé avec eux, avec elles, et c’est le texte des interviews qui sert souvent de dialogues. Il est plus facile de parler avec les jeunes qu’avec les adultes, qui ont trop de problèmes personnels à résoudre. Ce qui m’a frappé, c’est leur manque de précision sur les sujets graves, le refuge permanent dans les généralités. Les filles d’aujourd’hui parlent toujours par généralités, sauf si on leur demande quelle marque de bas elles portent, ou quel genre de soutien-gorge. Mon film pourrait s’appeler À la recherche des enfants des années 60. Masculin féminin inaugure en ce sens une nouvelle série chez Godard, l’enquête sociologique. Mais celle-ci finit toujours par être un échec, même si elle parvient à souligner des vérités profondes, sans pour autant atteindre à la description « objective » d’un groupe social ou d’une situation donnée. C’est là une façon de filmer l’enquête en même temps que sa critique. Alain Jouffroy, critique d’art qui écrit un texte sur Masculin féminin à la demande de Godard, pour le dossier de presse, parle « d’un film qui invente le reportage imaginaire dans la réalité ou le reportage réel dans l’imagination : quelque chose qui serait au cinéma narratif ce que Nadja de Breton est au roman ». Ainsi Jean-Pierre Léaud mène-t-il l’enquête, après avoir été vaguement journaliste et écrivain. Il travaille pour l’IFOP et fait parler : « À quoi rêvent les filles à Paris ? » Il rencontre « mademoiselle 19 ans », Elsa Leroy, jeune femme qui vient d’être élue la plus représentative par le magazine Mademoiselle âge tendre, et l’interroge. « Dialogue avec un produit de consommation », dit le carton, impitoyable.
[On peut lire l'article d'Antoine de Baecque dans le fichier en attaché].
- Publié dans Amours de Jeunesse
- Écrit par Krishna
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