Au fil de l'eau

Au fil de l'eau (4)

Le 5/04/2017 Delivrance

Mercredi 5 avril 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle " Au fil de l'eau " (1/3)

Délivrance / Delivrance

(John Boorman, États-Unis - 1960)

Il est des films qui marquent durablement la mémoire des cinéphiles.
Délivrance de John Boorman a conservé le même pouvoir de fascination
et la force de son propos plus de quarante années plus tard."

John Boorman, Le mythe et le monde
 " Dans leur éditorial, À la recherche du Graal, Yann Calvet et Jérôme Lauté écrivent : "Cinéaste visuel fasciné par les mythes, l'imaginaire et les rêves, John Boorman s’est brillamment illustré dans les genres cinématographiques les plus divers : le film noir (Le point de non-retour, 1967), le survival (Délivrance, 1972), la science-fiction (Zardoz, 1974), le fantastique (L’Exorciste 2 : l’hérétique, 1977), la fantasy (Excalibur, 1981), le film d’aventures (La Forêt d’émeraude, 1985), le film d’espionnage (Le tailleur de Panama, 2001)… Mais si varié que soit le cadre des intrigues, l’action engagée relève invariablement du domaine de la quête. Chaque film de Boorman est en effet l’histoire d’un périple accompli par un héros qui, à la suite d’une série de passages et d’épreuves, se trouve changé. Comme chez Jung, dont l’influence est fondamentale, le héros symbolise l’élan évolutif, la puissance de l’esprit, et sa première victoire – parfois la seule – est celle qu’il remporte sur lui-même." [Eclipses, n° 55, 2015].

Délivrance (1972) de John Boorman
Apprenant que la construction d’un barrage va entraîner la disparation d’une rivière de montagne, quatre citadins en mal d’aventures décident de la descendre en canoë. C’est à leurs yeux un hommage à la nature sauvage… Délivrance est tiré d’un roman de James Dickey qui en a écrit lui-même l’adaptation. Boorman en fait un film puissant qui met à mal le mythe de la nature bienveillante : ces quatre citadins en quête de nature vont se heurter durement à son caractère hostile et primitif et découvrir, bien malgré eux, sa capacité à révéler les instincts. Nous sommes donc loin de l’image du paradis perdu. En outre, Boorman souligne de manière appuyée l’impossibilité de communication entre le monde urbain et le monde rural, y compris au niveau des hommes. La seule passerelle, bien fugitive, entre les deux mondes ne se fait qu’à un instant, grâce à un dialogue musical. Délivrance est un film assez dérangeant par son caractère brut et sa violence bestiale. Il n’y a toutefois aucun excès, le film est admirablement construit et maitrisé. Le budget fut pourtant assez réduit, forçant les acteurs à accomplir eux-mêmes beaucoup des scènes périlleuses et à pagayer longuement… Le film est, au final, d’une force peu commune. [films.blog.lemonde.fr].

La destruction de la nature et la faillite de la civilisation
Dès l'ouverture du film, les enjeux sont clairement posés. En effet, pendant que l'on découvre les images de la nature puis des bulldozers la détruisant et des explosions, on entend, on ne le sait pas encore à ce moment là, Lewis, incarné par Burt Reynolds, expliquer à ses compagnons son projet de descente de la rivière en canoë avant qu'un barrage ne la transforme en lac. Lewis critique la violation de la nature dans le seul but de produire de l'électricité, la destruction de la nature au nom du progrès. [...]
Chef d’œuvre du cinéma, Délivrance de Boorman est sans doute une des meilleures critiques de la civilisation américaine qui a oublié la nature et ses origines. Ce film reste 40 ans après un véritable choc par la violence qui s'en dégage mais aussi par la puissance du récit. La musique qui revient tout le long du film, duelling banjos, et la scène qui s'y réfère aura marqué l'histoire du cinéma. Et que dire de cette atmosphère bestiale, suffocante qui nous prend du début à la fin et scotche le spectateur.  Jamais l'Amérique sauvage n'aura été aussi bien filmée. [odysséeducinema.fr]

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Le 12/04/2017 Le Fleuve Sauvage

Mercredi 12 avril 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle " Au fil de l'eau " (2/3)

Le fleuve sauvage / Wild River

(Elia Kazan, États-Unis - 1960)

ELIA KAZAN
Pour Stanley Kubrick, dans les années 50 il était « le meilleur metteur en scène que nous ayons en Amérique ». Robert Aldrich le considérait alors comme « le plus audacieux de nous tous dans les choix de ses sujets ». Nicholas Ray, en écho à la majorité de ses confrères, voyait en lui le plus grand directeur d’acteurs aux Etats-Unis ; et John Cassavetes, au milieu des années 70, n’aurait accepté de jouer que sous sa direction. La jeune critique française n’était pas en reste : François Truffaut louait Baby Doll, Robert Benayoun A l’est d’Eden, Roger Tailleur Le Fleuve sauvage, et Jacques Rivette La Fièvre dans le sang. Elia Kazan n’a cessé, depuis, d’exercer son pouvoir magnétique, suscitant l’admiration de cinéastes aussi divers que Marguerite Duras ou Catherine Breuillat, et influençant la génération des indépendants américains dans les années 70. Ce sont Martin Scorsese et Robert De Niro, ses héritiers, qui lui remirent son Oscar d’honneur à Hollywood en 1999.
Dossier Elia Kazan, [Positif, n° 518, avril 2004]

LE FLEUVE SAUVAGE : UN FILM MÉTAPHYSIQUE
Situant son film dans le Sud des États-Unis, Kazan reprend des motifs traditionnels de la représentation de celui-ci: la moiteur des lieux, l'omniprésence de la sexualité et de son refoulement, le rejet de l’État fédéral et de ses fonctionnaires, le racisme et la ségrégation institutionnalisés (par exemple, un Noir ne peut recevoir le même salaire qu'un Blanc pour le même travail). Toutefois, c'est dans une direction différente, assez originale dans son œuvre, que Kazan déploie son propos. Le recours à la couleur, magnifiant les paysages agrestes grâce à une remarquable photographie d'Ellsworth Fredericks, est comme le signe que c'est le rapport de la nature et de l'homme, plus que les relations entre humains dont il va s'agir ici. Si Glover apparaît d'abord comme un pur représentant de l’État fédéral, jusque dans son apparence (costume et gilet, chemise blanche et cravate sombre), Kazan nous fait assister à la transformation subtile du personnage. Sa première rencontre avec Ella Garth, qui refuse définitivement de vendre son île, adopte encore la forme d'une incompréhension insurmontable entre l'ancien et le nouveau, entre l'enracinement et le progrès. Néanmoins, c'est une tournure métaphysique, celle de la lutte entre deux éléments cosmiques, que prend peu à peu le film. Foncièrement, Ella Garth est la femme de la Terre, au sens exact d'une expression élémentale.
Dans l’une des plus belles scènes du film, la vieille femme, devant la tombe de son mari, raconte à Glover leur arrivée sur l'île. Comment M. Garth a abattu des arbres, débroussaillé une quasi-jungle, créé des terres cultivables, et cultivées. Tout le rapport entre la nature sauvage et l'homme est ici en jeu. En effet, les Garth, quoique domestiquant la nature, n'ont jamais cherché à s'en rendre « maîtres et possesseurs » (selon la célèbre formule de Descartes). Bien au contraire, le couple, raconte Ella, accompagné de leurs ouvriers noirs, sont parvenus à une profonde harmonie entre les hommes et la nature. Si l'île n'est plus le règne de la wilderness, elle n'est pas non plus celui de la civilisation, dont Glover est le représentant, presque caricatural. Une fusion s'est opérée, de telle sorte que la Terre s'est emparée des habitants de l'île, tout autant que ces derniers ont travaillé celle-ci. La maison d'Ella Garth, vaste demeure ancienne, typique du gothique sudiste, dénuée d'électricité, est le véritable symbole de cette étrange alchimie qui unit, sur cette île, la nature et les hommes. En effet, la maison semble comme surgie du sol, véritable émanation de la Terre plus que domination de cette dernière. Mme Garth, la plupart du temps assise sous sa véranda, n'est rien d'autre que l'incarnation humaine de cet élément cosmique. Le rapport de la vieille femme avec les ouvriers, tous noirs, est lui-même exemplaire. Si Mme Garth a trois fils, ces derniers sont stupides et paresseux, si bien que ce sont les Noirs qui font vivre l'île par leur travail. Ella n'est ni raciste comme la quasi totalité des habitants de la ville située sur le continent, ni antiraciste comme Glover, l'homme du Nord. C'est tout simplement qu'elle est elle-même une minorité, une exclue, tout comme ses ouvriers. Il y a là comme une quasi nécessité : seuls ceux qui sont minoritaires, rejetés par les brutes stupides de la ville, peuvent accéder à un rapport authentique avec la nature. Il faut être habitant de l'île, y vivre et y travailler pour devenir une émanation de la Terre (les fils d'Ella habitent aussi sur l'île, mais comme ils ne font rien, ils ne valent guère mieux que les habitants de la ville).[...]
Lors de sa première visite dans l'île, Glover, dans une scène presque comique, est jeté dans l'eau par un des fils Garth. Mais ce n'est pas un hasard, car, on l'aura compris, Glover se révèle comme l'homme de l'Eau. Subtilement, sans aucun effet appuyé, la sobriété de la mise en scène et du jeu de Montgomery Clift montrent la transformation d'un représentant de l'Etat fédéral, arrivant dans un Sud dont il ne sait rien, en un individu dont s'emparent les forces archaïques qui habitent le monde. Pris dans un devenir-élémental, il incarne peu à peu, sans le vouloir, l'élément liquide. Des déterminations empiriques l'indiquent : il est, en tant qu'ingénieur, le maître du barrage, décideur de l'ouverture des vannes libérant les flots qui vont engloutir l'île. Plus que de simples données factuelles, ce sont-là des indices de la véritable lutte que présente le film. Le personnage interprété par Montgomery Clift, n'est pas seulement l'homme de la modernité contre la tradition, du progrès contre le passé. En réalité, il devient lui-même aussi archaïque qu'Ella Garth. Si bien que l'enjeu profond du film est la lutte à mort entre la Terre et l'Eau. Comme l'écrit Gilles Deleuze dans « Causes et raisons des îles désertes » : « Reconnaissons que les éléments se détestent en général, ils ont horreur les uns des autres […]. L'homme ne peut bien vivre, et en sécurité, qu'en supposant fini (du moins dominé) le conflit vivant de la terre et de l'eau » (in L'Île déserte et autres textes, Textes et entretiens, 1953-1974, édition préparée par David Lapoujade, Paris, éditions de Minuit, 2002, p.11). Le troisième personnage essentiel du film est Carol Garth Baldwin, la petite fille de Mme Garth, interprétée par une Lee Remick resplendissante de beauté. Son mari mort, mère de trois enfants, elle habite dans sa maison sur le continent, mais semble passer le plus clair de son temps dans l'île, auprès de sa grand-mère. Si Ella Garth est la femme de la Terre, et Chuck Glover l'homme de l'eau, Carol n'est ni Terre, ni Eau : elle est la ligne qui traverse les forces élémentales. Et si elle tombe amoureuse, et épouse, Chuck Glover, elle reste jusqu'au bout fidèle à son aïeul. Ambivalente, il est difficile de savoir si, en choisissant Glover, elle a pris parti pour l'élément liquide.
Pascal Couté [Éclipses, 01 août 2016]
On trouvera ci-dessous, en fichiers téléchargeables, la fiche du film ainsi que la totalité de l'article de Pascal Couté de la revue Eclipses.

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Le 3/05/2017 La captive aux yeux clairs

Mercredi 3 mai 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

La captive aux yeux clairs / The Big Sky

(Howard Hawks, États-Unis - 1952)

" L’eau de la rivière, les rochers de la montagne, la profondeur des forêts
composent le décor classique du western le plus vigoureusement sain,
 celui qui sait être lyrique sans prétention et laisse la métaphysique à l’ancre."

Jean-Louis Rieupeyrout (Ramsay Poche Cinéma, 1964).

 
La Captive aux yeux clairs (titre français de The Big sky, pour une fois très inspiré) est avec Ligne rouge 7000 le plus beau film d’Howard Hawks. Un de ceux où l’auteur de Rio Bravo parvint à s’affranchir de ses obsessions adolescentes pour mieux les surmonter, s’interroger sur leur nature et exprimer une certaine incomplétude, lui, le cinéaste de l’évidence (selon la formule de Rivette), de l’exaltation de la pure fonctionnalité du monde et de la souveraineté d’une action qui n’a de compte à rendre qu’à elle-même. Jean-François Rauger [Les Inrocks, 02 août 2006] 
La captive aux yeux clairs fait partie de ces quelques films, dans la carrière de Hawks, empreint d’une merveilleuse liberté, à la réalisation transparente et modeste, dont le point culminant sera Hatari, expérience jusqu’auboutiste de fausse roublardise et de vraie modernité. Hawks se soucie ici moins d’une progression dramatique de son intrigue que du parfait fonctionnement de chacune des scènes indépendamment les unes des autres. Déjà avec Le grand sommeil il avait réussi cet exploit : même si l’histoire demeure toujours aussi peu compréhensible (y compris pour l’auteur et le réalisateur), on peut regarder chaque scène hors contexte et se délecter de chacune d’elle sans avoir besoin de regarder le film dans son intégralité. C’est là que réside la modernité du réalisateur, dans son approche de la narration, assez anti-hollywoodienne de ne plus proposer d’intrigue millimétrée, mais au contraire de nous faire partager l’existence d’un groupe d’hommes et d’essayer de nous le rendre le plus humain possible en n’ayant pas peur de prendre son temps à le regarder vivre à son propre rythme : cette démarche donnera également des séquences à la limite du documentaire dignes d’un Robert Flaherty. On comprend alors mieux pourquoi ce cinéaste a été l’un des chouchous de la nouvelle vague et des "Cahiers du cinéma". [...]
L’un des thèmes principaux, typiquement hawksien, de ce film est la description d’une très forte amitié qui devra résister à l’amour que portent les deux hommes pour la même femme. Cette expédition servira de voyage initiatique qui transformera ces grands enfants bagarreurs, susceptibles et chahuteurs en hommes mûrs et sensés, sachant gérer leur vie sans que ce soit au détriment de cette formidable amitié. "Deux hommes sont amis, une fille arrive et bientôt ils ne sont plus amis du tout. L’un s’en va en laissant ce que l’autre aurait donné son bras droit pour garder et je me demande ce qu’ils vont faire pour pouvoir arranger ça" prononce Arthur Hunnicutt en résumant la situation juste avant le final. Final qui, dans un autre film aurait pu se résoudre par un affrontement dramatique, nous dévoile au contraire un Howard Hawks profondément intelligent et d’une grande maturité. La décision respective des deux amis clôt le film en beauté. Beaucoup de critiques ont voulu voir dans cette description de l’amitié virile, une homosexualité latente : Hawks a du être le premier étonné. Cette mode qui cherche à trouver des traces d’homosexualité dans un film dès qu’il aborde le sujet de fortes amitiés peut se révéler parfois ridicule et c’est le cas ici.
Erick Maurel, 14 décembre 2002 [dvdclassik.com]

N'oubliez pas:
MARDI 9 MAI à 20h
ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DU
CINÉ-CLUB DE GRENOBLE

dans les locaux de l'association:
4 rue Hector-Berlioz (3è étage)
(en face du cinéma Juliet-Berto)
Un pot convivial clôturera l'assemblée.
NOUS VOUS ATTENDONS TRÈS NOMBREUX !

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Le 10/05/2017 L'Atalante

Mercredi 10 mai 2017 à 20h
Cinéma Juliet Berto
Place Saint-André, Grenoble

Cycle "Au fil de l'eau (3/3)
L'Atalante

(Jean Vigo, France - 1934)

" Jean Vigo, le Rimbaud du cinéma. " Henri Langlois.

 « Le but sera atteint si l’on parvient à révéler la raison cachée d’un geste, à extraire d’une personne banale et de hasard sa beauté intérieure ou sa caricature, si l’on parvient à révéler l’esprit d’une collectivité d’après une de ses manifestations purement physiques. Et cela avec une force telle que désormais le monde qu’autrefois nous côtoyons avec indifférence s’offre à nous malgré lui au-delà de ses apparences. »
Jean Vigo [in Pierre Lherminier, Jean Vigo, Editions Pierre Lherminier/Filméditions, Paris, 1984, p. 47]. 

« Plusieurs tentatives de reconstitution furent menées à partir de 1950. Mais c’est ce dimanche 13 mai 1990 que le film maudit vient de renaître dans toute sa beauté, son originalité d’écriture, son réalisme social et poétique, son exaltation de l’amour fou, son aspect onirique, son esprit anarchiste, son rythme narratif auquel s’accorde la musique de Maurice Jaubert, qui a parfois des accents à la Kurt Weill, et ses merveilleux interprètes : Dita Parlo, Jean Dasté, Michel Simon, Gilles Margaritis… Un choc, un éblouissement, même pour les cinéphiles. Et pour celle qui, à peine plus âgée que le film, se tenait, les larmes aux yeux, à la sortie de la salle : Luce Vigo, fille de Jean. »
Jacques Siclier, Le Monde [15 mai 1990].

« On envie ceux qui vont découvrir aujourd'hui ce film sublime. Son auteur, le surdoué Jean Vigo, mourut en 1934, à 29 ans, en plein montage. Évidemment, les distributeurs en profitèrent pour l'affubler d'un titre plus commercial, Le Chaland qui passe, titre d'une rengaine de l'époque. L'intrigue, apportée par le producteur Jacques-Louis Nounez à Vigo, est typique du cinéma réaliste des années 30 : la jeune femme d'un marinier, lassée de sa vie monotone et médiocre, se laisse séduire par les tentations de la ville, mais elle reviendra à son mari. Vigo l'avait même d'abord qualifiée de "scénario pour patronage". Mais il n'avait plus trop le choix, sa réputation d'anticonformiste freinant déjà sa carrière. Il décide alors de s'approprier ce scénario comme un point de départ, et à l'arrivée, en fait son film, transcendé par une poésie hors du commun : poésie dans le bouquet de la mariée qui flotte au fil de l'eau, poésie dans le bric-à-brac du père Jules (Michel Simon en clodo rabelaisien), poésie dans la course de Jean vers la mer, etc. Il faut y ajouter la dimension subversive, qui est la marque de Vigo (Zéro de conduite, son précédent film, venait d'être victime de la censure) : ici, il ridiculise par exemple la cérémonie du mariage. Cette insurrection permanente contre la société bourgeoise et cette liaison de l'idée d'amour fou avec celle de révolution font de Jean Vigo l'un des rares cinéastes surréalistes. " La fantaisie, disait-il, est la seule chose intéressante de la vie. Je voudrais la pousser jusqu'à la loufoquerie." »
Olivier Nicklaus, Les Inrockuptibles [lecinematographe.com]

Si les interprètes effectuent une composition légendaire, l’essentiel est ailleurs, à commencer par ces prises de vue inédites montrant l’avancée de la péniche et ses environs. Bien épaulé par le chef opérateur Boris Kaufman, Jean Vigo filme avec bonheur un vieux port désaffecté près d’un réseau ferré ou reconstitue une guinguette populaire qui semble sortir d’une toile de maître. Il y a dans L’Atalante une imagination foisonnante, qui culmine avec le rêve de Jean imaginant sa jeune épouse nager dans les profondeurs de la mer, en robe de mariée. Mais on pourrait citer de nombreux passages cultes de cette merveille visuelle et sonore, des boniments du camelot incarné par un acteur qui semble improviser (Gilles Margaritis), aux exhibitions du père Jules, dont le burlesque cinématographique est digne des frères Marx. Surnommé le « Rimbaud du cinéma » par Henri Langlois, Jean Vigo nous laisse avec L’Atalante l’une de ces œuvres uniques et magiques qui ont fait la réputation du 7e art.

On trouvera en fichiers téléchargeables, deux dossiers d'étude du CNC sur le film, ainsi que la fiche du film F170510.

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