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LES RÉGUGIÉS DE SAINT-JOUIN
Ariane DOUBLET (France, 2017 - 58 min)
En présence de la réalisatrice
Quand un village français accueille une famille de réfugiés syriens
Par Siegfried Forster [FIPA, 25janvier 2018]
« Les réfugiés de Saint-Jouin », documentaire de Anne Doublet, présenté au Festival de la création audiovisuelle internationale (FIPA) à Biarritz.
Lorsque les images de millions de réfugiés sur la route passent en 2015 sur les chaînes de télévision françaises, un petit village en Normandie décide d’accueillir une famille de réfugiés. Présenté au Festival de la création audiovisuelle internationale (FIPA) à Biarritz dans la nouvelle catégorie Documentaire national, « Les réfugiés de Saint-Jouin » montre la bonne volonté des bénévoles face aux craintes de certains habitants et à la mauvaise volonté de l’État français. La réalisatrice Ariane Doublet, habituée à filmer sa Normandie natale, pointe avec subtilité les inquiétudes et les incohérences par rapport à l’accueil des réfugiés, avec une caméra plein d’humanité et de compréhension. Édifiant.
Entretien avec Ariane DOUBLET
RFI : Votre documentaire commence avec un discours du président français François Hollande en automne 2015 sur les réfugiés et des images où le conseil municipal du village de Saint-Jouin-Bruneval décide d’accueillir une famille de réfugiés avec les mots : « on a un rôle à jouer ». Quel rôle ?
Ariane Doublet : C’est le rôle de mettre une petite graine, d’accueillir une famille en difficulté. À l’époque où ils proposent cet accueil, ils ne savent pas si cela sera une famille syrienne, irakienne ou soudanaise. Ils ont un logement municipal vacant, donc ils proposent ce logement au ministère de l’Intérieur et à la préfecture. Mais, finalement, cela n’a pas été simple et cela a duré très long [plus qu’un an] avant de pouvoir accueillir une famille.
Il y avait donc un village de bonne volonté et un État de mauvaise volonté ?
Voilà, l’État français a fait beaucoup d’effets d’annonce. Et même à la fin du mandat de François Hollande qui avait dit qu’on accueillerait 24 000 personnes dans le quota européen – ce qui n’était déjà pas beaucoup - à la fin de son mandat, par ce biais-là, seulement 6 000 personnes étaient arrivées. En même temps, il y avait beaucoup de bonne volonté, pas seulement dans ce village, mais en France, de maires qui ont proposé des logements, mais beaucoup sont restés vides. Dans le film, on voit que pour réussir à accueillir une famille de réfugiés, le maire de Saint-Jouin devait même sortir des clous et plus passer par le biais de l’État et de la préfecture, mais par une association. Du coup, il n’est plus soutenu par l’État. Seulement comme ça une famille syrienne a finalement pu arriver dans ce village.
Pourquoi avez-vous fait ce choix de vous vous concentrer sur une famille et un village ?
Je me suis mise surtout au niveau d’un village. Mon travail de documentariste est un travail au long cours et je travaille beaucoup sur les territoires ruraux. Quand une famille arrive dans un village, les gens peuvent la rencontrer tout de suite, il n’y a pas l’anonymat qui règne dans une grande ville. Cela m’intéressait comment les liens allaient se tisser entre les gens du village et la famille qui allait arriver.
Il y a les bénévoles, mais aussi ceux habités par des craintes très concrètes : « On ne veut pas que les réfugiés soient privilégiés par rapport aux habitants. » Vous abordez aussi comment les villageois s’imaginent les Syriens.
Dans le film, on entend les préjugés et les stéréotypes, même chez les gens de très bonne volonté. Par exemple, quand ils pensent de mettre des tapis dans l’appartement, parce qu’ils imaginent que les Syriens mangent par terre. C’est un peu par ignorance. Lors d’une balade sur la côte, même le maire demande au père syrien: « est-ce que tu sais nager ? ». Et celui répond : « en Syrie, on avait une grande maison avec piscine ». Cela va à l’encontre des stéréotypes qu’on porte envers des gens exilés. Dans la première partie du film, je suis vraiment dans le point de vue des villageois, ceux qui attendent avec impatience l’arrivée de la famille syrienne, et les autres qui y sont opposés. Il y a même un tag sur la porte de l’appartement : « Syriens, Non ». L’arrivée de la famille m’a permis de changer mon point de vue, de comprendre ce que signifie être en exil et ce qui se passe quand on arrive dans un village et quand on ne parle pas la langue française.
L’accueil de cette famille fait aussi ressurgir le sens même d’un village.
Oui, et les gens sont identifiables. Il y a le garde champêtre, le maire, des figures assez fascinantes et identifiables dans le village. Et puis, je me suis dit aussi qu’en France, il y a 36 000 communes. Et si chaque village accueillait une famille… Ce sont souvent des territoires où il n’y a pas du tout une population étrangère exilée. En ville, les gens sont habitués d’avoir des voisins venus de pays qui n’est pas le leur. Dans le village, c’était quelque chose de nouveau pour eux. Donc, je voulais voir comment la rencontre se fait. Et finalement, c’était très simple. C’est aussi cela que je voulais montrer. Avant qu’ils arrivent, les gens se posaient beaucoup de questions, mais une fois qu’ils étaient là, tout paraît simple.
Est-ce que ces réfugiés syriens persécutés par le régime de Bachar el-Assad sont aujourd’hui devenus des villageois normands ?
Oui, c’est ce que l’un des fils de la famille syrienne raconte. Quand il y avait un accident mortel d’un jeune du village avec son scooter, ils se sentaient complètement concernés. Ils étaient tristes et allaient naturellement aux obsèques. Ils se sentent, petit à petit, chez eux. Le petit garçon qui a aujourd’hui deux ans et demi va à la halte-garderie avec les autres enfants du village. Ce qui permet à Fatima et à ses parents de rencontrer les autres parents du village.