Regards sur l'Est

Regards sur l'Est (3)

Chat Noir, Chat Blanc

Mercredi 3 juin 2015, 20h
Regards vers l'Est (3)
Chat noir, chat blanc / Cma macka, beli macorhe
[Emir Kusturica (Yougoslavie, France, etc. - 2004)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

" On aime bien Emir, on en ferait bien son pote. Il est assez rock'n roll sans se la jouer,
il a le sens de la fête, du partage. Cool sans être dandy. "

Une tempête, un ouragan, que dis-je, un tourbillon !
Chat noir, chat blanc est une comédie délirante qui vous donnera envie de vivre.
Alors qu’il vient de recevoir la Palme d’or au festival de Cannes en 1995 pour Underground, Emir Kusturica se retrouve au coeur d’une polémique initiée par l’intellectuel Alain Finkielkraut qui l’accuse de propagande pro-serbe à travers un article incendiaire [Alain Finkielkraut, Le Monde, 2 juin 1995]. Blessé par ces propos ridicules, le cinéaste annonce qu’il arrête définitivement le cinéma. Tandis que son pays se déchire dans une guerre civile sanglante, Kusturica est au plus bas. En dépit d’un état plutôt dépressif, il opte pour un radical retour aux sources et revient à ses premières amours : l’écriture d’un scénario sur les gitans. Retrouvant son compère Gordan Mihic, déjà auteur du Temps des gitans, l’ogre yougoslave reprend la plupart des thèmes présents dans son chef d’oeuvre de 1988 en les tournant cette fois-ci en dérision. Comme pour conjurer le sort s’acharnant sur lui, il signe alors son film le plus ouvertement optimiste, un délire visuel sans précédent qui lui vaut le Lion d’argent au festival de Venise.
Virgile Dumez [http://www.avoir-alire.com/chat-noir-chat-blanc]

Dualité et antagonisme
Comme le titre l’indique, Chat noir, chat blanc s’articule autour du thème de la dualité et de l’antagonisme. Le chat noir symbolise le malheur, le mal tandis que le chat blanc représente la pureté, le bien. Ce sont ces deux animaux métaphoriques qui rythment l’histoire. Ils invitent à percevoir le film comme un croisement continuel de doubles et de duels. Tout y passe. Des relations familiales (pères-fils, grands-pères-petits-fils, frères-sœurs…) aux relations amoureuses (Zare-Ida, Grga-Afrodita… le chat noir et le chat blanc !) en passant par les relations d’antagonisme (Mitko et Dadan) qui aboutissent à de l’amitié, à l’image de celle des deux grands-pères. Kusturica décrit le chaos avec insistance pour mieux recourir à l’harmonie au final (explicitement soulignée par la formule « Happy End » qui s’inscrit sur l’ultime plan.).
Et si, dans son histoire faussement naïve, personne ne meurt jamais vraiment bien longtemps (bien que la mort soit « éternelle alors peu importe quand elle commence » comme l’ironise Dadan), l’œuvre de Kusturica, derrière sa façade idéaliste, est éminemment politique. Décrire la guerre pour mieux recréer la paix, voilà qui nous rappelle que fin 90, dans la vraie vie rien n’est moins impossible que la paix dans les Balkans par exemple… Alors profitons encore un peu de cette chimère où la fausse mort côtoie la vie, ou le mal se fond avec le bien et où les géants épousent des naines !
Laurence Gramard [http://www.iletaitunefoislecinema.com/critique/1390/chat-noir-chat-blanc].
[On peut lire l'intégraité de l'article de Laurence Gramard dans le fichier téléchargeable ci-dessous].

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Les Aventures Fantastiques

Mercredi 27 mai 2015, 20h
Regards vers l'Est (2)
Les Aventures fantastiques / Vynalez zkazy
[Karel Zeman (Tchécoslovaquie - 1958)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

" Digne héritier de Meliès, Zeman surprend, intrigue, enchante, brouille les cartes,
traverse le monde des apparences pour rejoindre celui de l’onirisme."
Jean-Loup Passek (dir.) Dictionnaire du cinéma [Larousse (2001)  p. 842].

Présenté lors de l’Exposition universelle, Les Aventures fantastiques reçoit le Grand Prix du Festival de Bruxelles en 1958. Le film apporte à son réalisateur une consécration internationale. Les Aventures fantastiques (aussi connu sous le titre L’invention diabolique), deuxième long-métrage de Karel Zeman, est sa première adaptation de l’œuvre de Jules Verne.
Mêlant images en prises de vue réelles, effets spéciaux et décors directement issus des célèbres gravures des éditions Hetzel, le film reste un chef d’œuvre de féérie, attirant la curiosité pour un cinéma évoquant Méliès et ayant influencé ce que le cinéma contemporain compte de plus créatif. Il fut un réalisateur de génie qui inspira des grands noms du cinéma - Steven Spielberg, George Lucas, Peter Jackson ou Terry Gilliam - bien avant l’ère de la technologie numérique !

Les Aventures fantastiques, une adaptation de Face au drapeau, roman peu connu de Verne, est un maillon essentiel du travail de Karel Zeman. Il eut un énorme retentissement dans le monde entier et marque la véritable naissance du « style Zeman ». Il fait évoluer des acteurs en chair et en os dans des décors irréels inspirés des gravures des éditions originales des romans de Jules Verne. L’image gravée composée en fins réseaux de striures et hachures permet au réalisateur d’inventer un espace cinématographique homogène dont le spectateur se sent partie intégrante : Zeman n’hésite pas à peindre le décor, à fabriquer des costumes à « rayures graphiques », à créer des accessoires « gravés » au pinceau en noir et blanc. Le tournage est l’occasion de déployer un véritable feu d’artifice d’ingéniosité artisanale dans les trucages et la combinaison des techniques : maquettes, marionnettes, trompe-l’œil, surimpressions... Zeman souhaite arriver à une symbiose parfaite entre narration et effets spéciaux, et fait pour cela appel pour l’écriture du scénario au poète Hrubín et à l’écrivain et scénariste Jiří Brdečka.
Note : Face au drapeau paraît en 1886. Il appartient à la « période sombre » de Jules Verne, plus prudent envers le progrès technologique. « Le fulgurateur », arme de destruction massive qui attise la convoitise du comte d’Artigas, est le symbole de cette désillusion. Néanmoins, le livre concentre beaucoup de thèmes et de motifs majeurs de l’auteur (les machines, les îles et cratères, le sous- marin, la puissance de destruction de l’être humain) en s’inscrivant dans l’atmosphère de la défaite de la guerre contre l’Allemagne en 1870 (Le savant du livre a pour modèle le chimiste français Eugène Turpin, inventeur des canons gyroscopiques, qui vendit justement son invention à l’Allemagne – d’où le titre patriotique du roman).

Karel Zeman sur les romans de Jules Verne :
« J’ai toujours été attiré par Jules Verne, d’abord comme lecteur enthousiaste puis comme cinéaste qui aime à expérimenter jusqu’où peut aller la frontière des trucages cinématographiques. Chaque image de mon film rappelle une gravure célèbre des romans de Verne. Il s’agit naturellement d’un drame cinématographique et non d’un dessin. C’est pourquoi il était important, malgré la différence de matière et de surface des éléments, d’obtenir une unité dans la réalisation, afin que les spectateurs n’aient pas conscience, depuis la première image jusqu’à la dernière, de la complexité de la technique et de sa diversité ».

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Le couteau dans l'eau

Mercredi 13 mai 2015, 20h
Regards vers l'Est (1)
Le couteau dans l'eau / Noz w wodzie
[Roman Polanski (Pologne - 1962)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

ROMAN POLANSKI, principes d’incertitude
1962, Roman Polanski a 29 ans. Quinze longs-métrages de cinéma l’attendent…au minimum. Le premier d'entre eux affiche sa modernité, aussi désinvolte que construite, aussi spontanée que composée. Le couteau dans l'eau, co-écrit par Skolimowski, frère de Lodz, frappe par son économie de moyens. Deux hommes et une femme sur un bateau, un couteau passant de main en main pour aiguiser le suspens, et le tour est joué. Photo en noir et blanc, inventivité constante du cadre, maîtrise de l'espace clos (et extérieur), la rigueur de Polanski impressionne d'autant plus qu'elle ne se prend jamais au sérieux. Le couteau dans l'eau introduit dans son intrigue un troisième larron pour tendre encore davantage les rapports humains. Un étudiant auto-stoppeur libre comme l'air s'immisce dans la cage dorée d'un couple embourgeoisé. Sans le faire imploser, il le déstabilise et le remet en question. Pour dépeindre la violence ou la sexualité, Polanski use du même procédé. L'une et l'autre sont pratiquement élidés, pour mieux être mis en valeur. L'érotisme des corps semi-nus débouche pendant les deux-tiers du film sur une frustration (pas de passage à l'acte !) qui finit par prendre forme…hors-champ. Polanski n'a pas besoin de montrer Krisztina faisant l'amour avec son amant tant l'intensité sensuelle qui prévalait jusque-là, a décuplé l'effet attendu.[…]
Dans ce contexte réaliste, le fantastique s'immisce naturellement. C'est l'une des caractéristiques majeures du cinéma de Roman Polanski.
L’insistance sur un détail visuel ou sonore peut déboucher sur l’étrange : des enfants jouant en bas d'un immeuble, un orchestre de rue, le bruit d'un frigidaire ou l'eau qui goutte d'un robinet, tous ces éléments banals paraissent soudain transfigurés dans le contexte du film. Ils inquiètent.
Bernard PAYEN, rédacteur en chef d'Objectif Cinéma. [http://www.roman-polanski.net]

Un huis clos initiatique.
Pologne, début des années 60. Un couple de bourgeois invite un jeune auto-stoppeur à passer le week-end sur son yacht... Ce premier long métrage de Roman Polanski est l'oeuvre d'un cinéphile passionné. Deux hommes, une femme et un bateau lui suffisent pour faire sourdre une menace hitchcockienne sur une eau dormante. Et pour retrouver, par la sophistication de ses plans, la violence sexuelle latente d'un Mankiewicz ou d'un Kazan adaptant Tennessee Williams. Cette virtuosité sert des intentions multiples. Il y a la critique transparente d'un régime socialiste favorisant les privilèges qu'il était censé abolir. Et, au-delà, celle de l'embourgeoisement, que ce soit dans le couple ou dans le confort matériel. C'est, avant 68, le procès de la société de consommation. C'est, avant Pierre Bourdieu, celui de la domination masculine. Sauf que Polanski, lui, semble déjà sans illusions. Le jeune rebelle qu'il met en scène est fasciné par la puissance de l'homme arrivé. L'incartade féminine restera sans lendemain, et l'ordre conjugal et bourgeois, indépassable. En ce sens, le film rend compte d'un terrible processus de dressage.
Louis Guichard [Télérama, 15 janvier 2011]

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