Soyons fous !

Soyons fous ! (4)

Faux Semblant

Mercredi 19 novembre 2014, 20h
Dernier film du cycle "Folies ordinaires"
Faux-semblants / Dead Ringers
(David Cronenberg, Canada - 1988)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

« Faux Semblants relève de préjugés sur le cinéma de genre.
Faux Semblants n’est pas un film de science-fiction ni un film d’horreur,
même s’il emprunte aux deux genres. Mais pour le spectateur normal,
c’est une espèce de drame naturaliste, encore qu’étrange, fondée sur
une histoire vraie – peut-être ce dernier détail a-t-il joué dans l’accueil réservé au film »
.

David Cronenberg
[
in David Cronenberg, Entretiens avec Serge Grünberg (Cahiers du cinéma, 2000, p. 113)].

Faux-semblants est, en soi, tellement « fantastique » que son auteur n’a pas cru devoir le parsemer d’images violentes ou choquantes ; le simple cours du film, l’énoncé des situations suffisent à faire naître des images mentales parfois si difficiles à admettre, qu’elles nous transpercent avec encore plus de facilité. Est-ce pour cette raison que, une fois de plus, certains milieux féministes rebondirent sur le film pour accuser Cronenberg des pires intentions ? Probablement oui ; certaines attaques sont presque un hommage à son talent. Et, indubitablement, on ne peut peut sortir indemne du film, quelle que soit l’hypothèse narrative qu’on a choisie ? La composition ironique et désespérée de Jeremy Irons n’y est pas pour rien. Et Cronenberg qu’on avait soupçonné de ne pas s’intéresser aux acteurs, devint, à partir de là, un des réalisateurs de référence pour les comédiens qui ont le désir de se surpasser. Faux-semblants est l’un des films les plus « purs » de Cronenberg ; il ne se passe nulle part ailleurs ni à aucune époque particulière ; c’est ce qui s’approche le plus d’une tragédie moderne, presque mythologique, lourde d’un secret trop difficile à découvrir, caché sous le malaise existentiel des frères Mantle.
David Cronenberg, Entretiens avec Serge Grünberg(Cahiers du cinéma, 2000, p. 102).

Rappelons que le Dr Patrice Baro, psychiatre au CHU de Grenoble, interviendra après la projection en co-animation avec le C.C.C. offrant ainsi deux axes de lecture et d’échange,
le cinéma et la médecine.

 

 

 
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El

Mercredi 12 novembre 2014, 20h
Suite du cycle "Folies ordinaires"
El (Luis Buñuel, Mexique - 1952)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

« Peut-être est-ce le film où j’ai mis le plus de moi-même.
Il y a quelque chose de moi dans le protagoniste »
.

Luis Buñuel [in Tomas Pérez Turrent, José de La Colina, Conversations avec Luis Buñuel,
(Petite Bibliothèque des Cahiers du cinéma, 2008, p. 173)]
"Il m’apparaît parfaitement justifié de considérer El comme une sorte d’équivalent cinématographique des trompe-l’œil surréalistes. La psychologie et la morale bourgeoise y jouent le rôle de la perspective et de la netteté photographique mais cet univers poli et ordonné, merveilleusement lisible, se craquèle avec netteté sur l’intolérable".
André Bazin [France Observateur, 10 juin 1954].

Selon les déclarations de Buñuel, El est un de ses films préférés à cause de sa précision documentaire : une apparence de mélodrame mondain sert de contexte à la genèse et à la progression de la paranoïa. Jacques Lacan utilisa El dans un de ses cours à l'hôpital Sainte-Anne, pour illustrer l'étude d'un cas de paranoïa à partir des signes décrits par Buñuel : l'hypertrophie de l'orgueil, l'obsession de la justice, la jalousie démesurée et la fameuse marche en S qui clôt le film. On y trouve aussi une variante personnelle de Buñuel avec le fétichisme du pied.
Comme à son habitude, Buñuel en profite pour fustiger avec humour une certaine bourgeoisie cléricale. Francesco est un malade mental et sa femme, peu renseignée sur les pratiques sexuelles est la seule à faire les frais de sa manie. Soumise au pouvoir marital, celle-ci est persécutée, menacée de mort et de sévices, comme une de ces héroïnes, vertueuses et donc condamnées, du marquis de Sade.

Sous les apparences d’une bombe glacée, El est bel et bien une bombe explosive. Buñuel a chargé (volontairement ou non, peu nous importe !) son œuvre d’une lave corrosive qui n’épargne rien sur son passage. Nous sommes loin ici des plaisanteries surréalistes du Chien Andalou. Nous sommes plus près, en revanche (d’autres l’ont dit avant nous), de L’Age d’or, où s’amorçaient derrière une symbolique facile la plupart des thèmes qui se dissimulent dans El sous le damas des conventions bourgeoises". Jean de Baroncelli [Le Monde, 16 juin 1954].

Dans la tête de El, dans la tête de Narcisse
Mais Buñuel ne peut se contenter de ce constat : de même que dans Un chien andalou il coupait l’œil méduséen pour voir ce qui se trouvait derrière les apparences, il tente, dans El, de rentrer dans la tête de son personnage. L’expression est – presque – à prendre à la lettre. Certes le cinéaste ne va pas jusqu’à trépaner Francesco, mais quiconque s’intéresse à l’architecture de la maison ne peut s’empêcher de songer à ce type d’opération chirurgicale. Que voyons-nous ? Une lourde enceinte protectrice, semblable au crâne humain ; une succession de portes, pareilles à des méninges; un hall d’entrée, aux circonvolutions aussi étonnantes que celles d’un cerveau ; un débarras poussiéreux à côté d’un bureau reculé, où s’entassent les souvenirs, les désirs, les pulsions, bref tout ce qui compose une personnalité. En pénétrant dans cette demeure, Buñuel explore à la fois un espace et un psychisme ; il fait de sa caméra un instrument d’analyse, et du travelling un mouvement opératoire propice à tous les dévoilements.

Le premier diagnostic est alors posé : replié sur lui-même, soucieux de ses seuls intérêts, Francesco est un Narcisse. Pour le meilleur comme pour le pire. De fait, le narcissisme est une composante indispensable de la vie psychique : il confère au sujet une identité qui lui permettra de chercher un(e) partenaire avec lequel (laquelle) il formera un couple. C’est parce qu’il a suffisamment d’estime de soi que Francesco n’hésite pas à poursuire une inconnue de ses assiduités, bien que cette dernière ait tout d’une femme inacessible.
Malheureusement, l’homme substitue à ce narcissisme de vie un autre plus inquiétant, qui « loin d’aider à réaliser une unité, aspire, contre toute apparence, à toujours moins de désir, à toujours moins d’objet et, en fin de compte, à toujours moins d’altérité ». Ce qu’il recherche n’est pas tant une conjointe qu’un double de lui-même ; il ne souhaite pas une pleine rencontre avec l’autre mais veut s’abîmer dans son propre reflet. Le monde est tout entier ramené à lui. Uniquement lui. […]
Yannick Lemarié, Positif, n° 581/582 (Juillet/Août 2009), p. 34-36.

Rappelons que le Dr Patrice Baro, psychiatre au CHU de Grenoble, interviendra après la projection en co-animation avec le C.C.C. offrant ainsi deux axes de lecture et d’échange, le cinéma et la médecine.

 

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Répulsion

Mercredi 5 novembre 2014, 20h
 
Suite du cycle "Folies ordinaires"
Répulsion (Repulsion, Roman Polanski, GB - 1965)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Gilles Jacob distingue « deux Polanski », « Le réalisateur audacieux des premiers films et des courts métrages. Et l'autre celui des grands films à vocation populaire [...]. L'un, inventeur de surprises, de formes cinématographiques, de trouvailles bizarres (les pommes de terre qui germent dans le frigo de Répulsion, les œufs de Cul-de-sac), l'autre, plus accompli peut-être, mais plus attendu aussi. ».

Polanski sur Répulsion: 
Pour exprimer l’univers mental de Carol, j’ai eu recours à toutes sortes de poncifs que j’ai voulu exploiter jusqu’au bout. Prendre un thème très cinématographique - vous savez que j’aime passionnément le cinéma et surtout son côté « magique » - mais aussi m’emparer d’une matière ingrate et en tirer quelque chose, accomplir en quelque sorte un « tour de force » (et non un « exercie de style », comme on l’a dit) telle a été ma démarche. J’ai fait ce film pour me faire plaisir. […]
Polanski par Polanski,
Texte et documents réunis par Pierre-André Boutang, (Les Editions Chêne 1986, p. 57-70).

Les vierges folles des années 60
L’espace de la folie prend corps à travers les voix off, les fissures aux murs et les dessins de lumière. Dans Répulsion, l’incarnation est poussée plus loin par le jeu des mains. Carole, jeune femme belge qui fait des manucures dans un salon de beauté, en vient à se cloîtrer dans l’appartement londonien de sa sœur, terrorisée à l’idée d’être touchée par les paumes masculines. Elle tourne en rond dans le salon, s’enferme dans la chambre, rase les parois. Ses délires prennent des dimensions sonores et visuelles hallucinantes, les séquences se passant peu à peu intégralement dans son espace mental ; ce qui n’enlève en rien à leurs vibrants effets. Les murs, censés protéger les différentes zones d’habitation et en marquer les frontières, deviennent une interface plastique entre l’architecture du lieu et les projections psychologiques de l’héroïne. Leurs déformations rythment la progression de la folie dans le récit : apparitions alarmantes de fissures, empreintes en négatif de mains, surgissements de bras agripeurs qui empoignent le buste d’une Carole maquillée à outrance, comme si le lieu allait lui faire l’amour. Le fantasme d’un corps à corps entre la jeune femme agitée et l’espace du délire est remis en scène quand des membres sortent à nouveau des parois du couloir pour la posséder.
Diane Arnaud, Positif, n° 581/582 (Juillet/Août 2009), p. 24-27.

Rappelons que le Dr Patrice Baro, psychiatre au CHU de Grenoble, interviendra après la projection en co-animation avec le C.C.C. offrant ainsi deux axes de lecture et d’échange, le cinéma et la médecine.

 

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Vol au dessus d’un nid de coucou

Mercredi 29 octobre 2014, 20h
 
Dans le cadre du cycle "Folies ordinaires"

Vol au-dessus d'un nid de coucou
One flew over the cuckcoo's nest

(Milos Forman, USA - 1975)

Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Le cycle "Folies ordinaires"
La naissance du cinéma et celle de la psychanalyse sont contemporraines. Les frères Lumière et Sigmund Freud ont révolutionné, à la fin du XIXè siècle, l’approche de la réalité. Les surréalistes ne s’y sont pas trompés qui ont célébré l’étude de l’insconcient et la fréquentation des salles obscures. L’expérience du rêve avec ses libres associations a été comparée à juste titre avec la capacité du montage à faire coexister des mondes en apparence hétérogènes. Dès 1913, Léonce Perret a fait de l’hypnose l’un des thèmes majeurs du Mystère des roches de Kador,et, en 1919, Le Cabinet du Dr Caligari de Robert Wiene ouvre la voie à la peinture de la folie dont vont se saisir le cinéma expressionniste allemand, et plus tart, le cinéma hollywoodien.

« Cinéma et folie » Dossier réuni par Michel Ciment et Floreal Peleato
Positif, n° 581/582 (Juillet-Août 2009).

Le Dr Patrice Baro, psychiatre au CHU de Grenoble, interviendra après la projection des quatre films du cycle en co-animation avec le C.C.C. offrant ainsi deux axes de lecture et d’échange, le cinéma et la médecine.

Le film dans l'oeuvre de Milos Forman
Deuxième film étatsunien de Milos Forman, après Taking off, Vol au-dessus d’un nid de coucou s’inscrit au cœur des années 70, alors que le roman éponyme de Ken Kensey date des années 1960. Ayant vécu l’expérience de l’enfermement, on pourrait imaginer que le Tchèque Milos Forman tenait là l’occasion de régler ses comptes avec un système qui l’avait conduit à l’émigration : l’hôpital psychiatrique comme figure de l’emprise totalitaire et de la surveillance généralisée, la rééducation pour les mal pensants...

Jack Nicholson, acteur

Avant Shining, et de manière beaucoup plus complexe, le grand rôle de la folie est bien sûr celui de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Rôle passionnant parce que contenant, dans sa logique même, une réflexion sur l’inteprétation de la limite, de l’ambigüité, des signes du dérègment. Nicholson y joue un condamné qui, pour échapper à la prison, fait mine d’être mentalement dérangé ; et ni l’institution psychiatrique ni les spectateurs ne savent très bien ce qu’il en est, au moins dans la première moitié du film. L’acteur joue donc la folie, mais peut-ête aussi quelqu’un qui joue la folie… Le rôle renvoie ainsi à ce qui fait la réputation même de l’acteur, cette incertitude qui flotte autour du comportement, cette opacité des signes, cette ambivalence de l’expression. Comme une pointe extrême, le personnage de McMurphy qu’il incarne dans le film de Forman renvoie aux premiers rôles fondateurs, mais encore à tous ceux qui, plus tard, accréditeront un certain cabotinage. Il en est l’alpha et l’oméga, celui qui les légitime et celui qui les relativise, ouvrant la brèche de l’interprétation et des ses marges, c’est-à-dire de tout ce qui se situe aux frontières de la normalité. […]

Vincent Amiel, Positif, n° 581/582 (Juillet/Août 2009), p. 16-18.

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