La Fièvre dans le Sang
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« Je crois que, de tous mes films, c'est le film qui a le plus de maturité dans son dénouement.
Quand elle lui rend visite chez lui et qu'il est marié - il y a quelque chose là qui est beau.
Je ne le comprends pas vraiment. Cela va plus loin que tout ce que j'ai fait - c'est venu comme ça."
Elia Kazan, Le plaisir de mettre en scène, G3J (2010), p. 227]
Elia Kazan vu par ses pairs
Pour Stanley Kubrick, dans les années 50 il [Elia Kazan] était « le meilleur metteur en scène que nous ayons en Amérique ». Robert Aldrich le considérait alors comme « le plus audacieux de nous tous dans les choix de ses sujets ». Nicholas Ray, en écho à la majorité de ses confrères, voyait en lui le plus grand directeur d’acteurs aux Etats-Unis ; et John Cassavetes, au milieu des années 70, n’aurait accepté de jouer que sous sa direction. La jeune critique française n’était pas en reste : François Truffaut louait Baby Doll, Robert Benayoun A l’Est d’Eden, Roger Tailleur Le Fleuve sauvage, et Jacques Rivette La Fièvre dans le sang. Elia Kazan n’a cessé, depuis, d’exercer son pouvoir magnétique, suscitant l’admiration de cinéastes aussi divers que Marguerite Duras ou Catherine Breuillat, et influençant la génération des indépendants américains dans les années 70. Ce sont Martin Scorsese et Robert De Niro, ses héritiers, qui lui remirent son Oscar d’honneur à Hollywood en 1999.
Dossier Elia Kazan, Positif, n° 518 (avril 2004).
Le cinéma d'Elia Kazan
Savoir gré à Kazan d’avoir découvert Brando et James Dean, deux acteurs de légende qui ont déplacé un temps l’imaginaire d’Hollywood, ce qui n’est pas rien. Se rappeler que c’est Kazan qui leur a permis, à l’un comme à l’autre, de signer au moins un bon film : Un tramway nommé désir, avec sa belle théâtralité, et A l’est d’Eden, le seul James Dean où passe un souffle de vérité, et qui vaut bien l’interminable slogan d’images de Nicholas Ray, La Fureur de vivre. Kazan était aussi amateur de femmes, de jolies femmes. Dans Splendor in the Grass (La Fièvre dans le sang), il suffit de quitter l’attachante Natalie Wood, la fiancée d’amour de Warren Beatty, de s’attarder plutôt sur les deux autres filles du film pour s’en convaincre. Quand le jeune Beatty abandonne sa fiancée par lâcheté de classe, il épouse une belle Italienne, jouée par la ravissante et sensuelle Zohra Lampert. Mais c’est la sœur de Warren Beatty qu’il faut regarder. Dans le film, elle se suicide. Dans la vraie vie, le cancer l’a emportée. C’est Barbara Loden, l’une des nombreuses épouses de Kazan, et l’auteur de Wanda, l’un des seuls vrais autoportraits de femme du siècle dernier (avec Deux fois de Jackie Raynal et Je, tu, il elle, de Chantal Akerman). Louis Skorecki, Libération (Mardi 17 décembre 2002).
Délicat et cruel, un des plus beaux films d’Elia Kazan
Placé entre Le Fleuve sauvage et America America, La Fièvre dans le sang appartient à la meilleure période, éperdue et vigoureuse, de Kazan. Dans les années 30, un jeune homme et une jeune fille voient leur histoire d’amour entravée par la morale puritaine qui interdit jalousement l’assouvissement des désirs. Les effets maladifs du puritanisme, lorsque l’oppression provoque une honte de soi qui mènera la jeune fille à la dépression et le jeune homme à la rage, sont ici poussés à leur comble, sous un versant étonnamment intime dans le cadre d’un cinéma encore hollywoodien. Natalie Wood offre ses traits impétueux à cette jeune fille, tandis que le physique de jeune premier blanc-bec de Warren Beatty se prête génialement à la souillure. Le système de l’Actors Studio est utilisé de manière paradoxale, à la fois magnifié et délaissé : il sert l’intensité de la représentation de la névrose tout en étant tenu à distance par la critique du système social qui a créé ces souffrances juvéniles. La vraie cruauté n’est pas celle de la stagnation névrotique, mais celle du changement d’époque. Autrement dit, les décors naturels et le temps qui passe imposent à la fois une réelle cruauté et une réelle liberté à des personnages qui seraient artificiellement condamnés dans le système du huis clos (du type, disons, d’Un tramway nommé désir). La mise en scène associe la maîtrise olympienne du temps, qui périme sans pitié les croyances morales d’une époque, et le sens du détail calamiteux, qui sanctionne les thuriféraires de cette même époque (le suicide miteux du père magnat). L’épilogue, qui déploie main dans la main le tact et la cruauté, met face à face, des années plus tard, Warren Beatty et Natalie Wood. Elle, encore convalescente, est sortie victorieuse de l’épreuve, lui, amoindri. La commune compréhension de ce qui fut le sacrifice de leur jeunesse les unit avant que la commune compréhension d’une issue opposée ne les sépare, cette fois définitivement.
Axelle Ropert, Les Inrockuptibles, n° 594 (16 août 1970).
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