Monsieur Klein

Mercredi 4 février 2015, 20h
Monsieur Klein
Joseph Losey (France - 1976)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
 « Losey a évité en particulier deux écueils majeurs : celui de la reconstitution réaliste
et celui de la parabole abstraite. C’est contrairement à ce que lui ont reproché certains,
cette double démarche à la recherche d’une stylisation du réel et d’une aura fantastique
qui fait de cette parabole kafkaïenne la plus terrible accusation
que l’on ait portée sur une certaine France. 
»
Michel Ciment, Positif, n° 183/184, juillet-août 1976.

 

Le thème de M. Klein, c'est l'indifférence, " l'inhumanité de l'homme envers l'homme ". Plus précisément, le film traite de l'inhumanité de la population française à l'égard de certains de ses représentants. Ce n'est pas un film sur les méchants Teutons. C'est un film qui montre ce que des gens très ordinaires, comme nous pouvons en rencontrer autour de nous, sont capables de faire subir à d'autres gens ordinaires. Bien sûr, il s'attache plus spécifiquement aux juifs et à d'autres minorités nationales ou politiques durant la période de l'Occupation et plus précisément encore, au moment de la Grande Raffle.[...]
Ce n'est pas une histoire optimiste, mais elle devrait avoir le pouvoir de fascination d'un labyrinthe borgésien. Elle finit comme elle avait commencé: par un regard sur la réalité nue - le genre de réalité auquel les français et le monde en général sont devenus insensibles.
Ce film n'est pas une reconstitution précise de la Grande Rafle. C'est une tentative pour saisir l'essence de cette période, et des évènements qui s'y sont produits, sous la forme d'un apologue documenté en guise d'avertissement.
Joseph Losey, L'oeil du Maître,
Textes réunis et présentés par Michel Ciment
[Institut Lumière / Actes Sud (1994), p. 243-234].
 
Sollicité par Delon, producteur du film, Losey retrouve, en adaptant le scénario de Franco Solinas, une thématique privilégiée, qui perfuse son œuvre depuis The servant jusqu'à The assassination of Trotsky, en passant par Secret ceremony, et trouve l'occasion d'approfondir une recherche sur l'acteur Delon, amorcée et abandonnée à l’état d'ébauche dans l'inégal Trotsky. La thématique du cinéaste croise en effet la mythologie de l’acteur, telle qu'elle s'est peu à peu dégagée d'une série de films-jalons : Plein soleil, William Wilson (Histoires extraordinaires), La piscine, L’assassinat de Trotsky, Traitement de choc. On y retrouve le thème du double, des deux faces, diurne et nocturne, de l’homme, dont une seule est connue et dont la quête de la seconde aboutit à une auto-destruction. Ici la trajectoire de Robert Klein va de l'indifférence, forme de non-identité, à l'appropriation de l'identité d'un autre, le vampire se retrouvant finalement lui-même vampirisé et assumant malgré lui une identité collective, celle de la condition juive qu'il avait jusque-là voulu ignorer, autant dans son propre sang qu'en tant que problème collectif. Si Delon, acteur plus ténébreux que véritablement mystérieux, accède ici à une réelle ambiguïté, c'est naturellement grâce à la direction inspirée de son réalisateur, mais aussi parce que le rôle participe vraisemblablement de sa propre personnalité et qu'il engage, ainsi que le confirme Losey, “ sa propre vérité dans la vérité du personnage ”
Michel Sineux [Positif n°186 - 1976]
 
Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde.[...]
A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après.
Sandra Mézière [
http://inthemoodforcinema.com]
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L'Eclipse

Mercredi 11 février 2015, 20h
L'Eclipse  / L'eclisse
Michelangelo Antonioni (Italie / France - 1962)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
 
"Je veux bien qu'Antonioni soit le poète de l'Ennui. Mais que cet Ennui
commence par une majuscule; et qu'on y mette autant que Baudelaire y a mis."
Jean-Louis Bory [Des yeux pour voir, 10-18, UGE, 1971, p. 36-40]

 

Alberto Moravia sur L'ÉCLIPSE [Cinéma 62, n° 67 (Juin 1962), p. 69-73.]
Dans L'ÉCLIPSE, la maturité artistique du metteur en scène est surtout visible dans les rapports d'Antonioni avec la matière: des rapports libres, équilibrés, mesurés. Dans tous les arts, ce genre de rapport se manifeste assez tard, lorsque l'artiste a su surmonter son inexpérience, son impatience et son désir de possession. Antonioni fait penser à ces oiseaux solitaires qui répètent nuit et jour les seules notes qu'ils savent chanter. Dans tous ses films il nous a toujours répété les mêmes notes. Dans L'ÉCLIPSE il a réussi à les chanter mieux que jamais, d'une voix plus claire, plus haute, plus ferme.
Le sujet du film est très mince. Plutôt que de raconter une histoire, on dirait qu'Antonioni s'est borné à prélever un échantillon de la réalité et à le soumettre à l'examen de la caméra: il a découvert des traces de corruption provoquée par cette maladie si répandue actuellement et qui s'appelle aliénation: un mot d'origine marxiste.[...]
Nous nous trouvons ici devant le même thème que celui des autres films d'Antonioni: l'impossibilité de communication, la sécheresse, l'impossibilité d'aimer, le manque de rapports, le détachement, l'aliénation. Mais alors que ce sujet est exprimé dans les autres films à travers une représentation assez cohérente et par des allusions claires, il est dissimulé dans L'ÉCLIPSE derrière un épais tissu symbolique d'évènements sans relation apparente.

 

Les récents cataclysmes financiers  de l'organisation capitaliste à l'échelle quasi entière de la planète invitent  à se retourner opportunément sur un autre film aussi précocement bien nommé L'Eclipse, et dont le personnage principal interprété par Alain Delon est un trader. Certains de ses traits cyniques et sa froideur préfigurent dans une Italie reconstruite économiquement et architecturalement, une dérive morale et un personnage relevant pleinement de l'actualité des années 2000. Ladite éclipse qu'Antonioni associe au mitan des années 60, figurativement et symboliquement, au danger politico-scientifique de la recherche atomique est aujourd'hui interprétable comme l'annonce du bouleversement financier et boursier récent de l'Occident capitaliste...
Dominique Païni, Antonioni, le maestro du cinéma moderne
[BOZAR BOOKS, SNOECK Editions (2013), p. 16-17]. 
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Taxi Blues

  • Publié dans Droujba
Mercredi 25 février 2015, 20h
En partenariat avec DROUJBA 38 - Amitié France Russie
Taxi Blues
Pavel Lounguine (France / URSS - 1989)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

« Lorsqu'il y a dix ans tout le monde était euphorique sur la Pétrestroïka,
j'ai réalisé
Taxi Blues, un film sur la tragédie de cette liberté,
sur les maux qui pouvaient survenir.
Les dix années écoulées ont prouvé que je n'avais pas tort. »
Pavel Lounguine.

Pavel Lounguine est né le 12 juillet 1949 à Moscou, d'un père scénariste et d'une mère traductrice. Il est de nationalité russe et française. Il s'établit en France en 1990 et tourne, avec des producteurs français, des films sur la Russie. Après des études de mathématiques et de linguistique à l'Université entre 1965 et 1971, Pavel Lounguine intègre la VGIK, l'école de cinéma de Moscou. En 1990, son premier film, Taxi Blues, sur l'amitié entre un chauffeur de taxi et un saxophoniste en déboires, est très bien accueilli par la critique et remporte le prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Dix ans plus tard, La Noce obtient une mention spéciale décernée à l’ensemble des acteurs à Cannes. Pavel Lounguine s'intéresse aux changements radicaux de son pays à la suite de la chute du communisme, ce qu'il veut communiquer dans ses films.

Pavel Lounguine à propos de Taxi Blues
Quand je regarde votre film, je suis très proche du cinéma soviétique par mes origines et aussi par goût. Vos personnages me font penser à des personnages de Dostoievsky. Peut-être allez-vous rire de moi?

— P. Lounguine: Je vais plutôt rire de moi, en me comparant à Dostoievsky. Vous savez, Dostoïewsky est devenu un archétype. Quand il y a quelque chose de bon dans la littérature russe, on dit que c'est du Tolstoï. Quand il y a quelque chose de dur, de mélangé, d'un peu psychopathe, on dit que c'est dostoïevskien. C'est vrai que, dans mon chauffeur de taxi, il y a quelque chose des frères Karamazov, c'est-à-dire un être illogique. Toutefois, je ne pense pas que ce soit des personnages qui relèvent de Dostoievsky, mais plutôt de la réalité de notre vie. Il faut savoir que Dostoievsky refléchit aussi la réalité qui l'entourait. Il faut dire que cette réalité n'a pas beaucoup changé. Plus on voit le chemin historique de la Russie, plus on voit que la révolution d'Octobre, qui a massacré et tué beaucoup de gens innocents, était dévorée par cette tradition russe à laquelle on n'échappe pas. On a fini par reproduire de nouveau ce régime étrange, un peu asiatique, un peu européen, où tout est mélangé et demeure traditionnellement russe.
Vous sentez-vous profondément russe? Si oui, qu'est-ce que cela veut dire? 

— P. Lounguine: Il faut que je me démasque, parce que je suis un Juif russe ou bien un Russe juif, je ne sais pas. Je suis Juif, mais je ne suis pas religieux. Je ne parle pas la langue. J'ai été élevé dans la culture et la langue russes, mais en même temps il ne faut pas oublier que l'antisémitisme existe toujours. Maintenant, il redevient de plus en plus fort. En Russie, on n'oublie pas que je suis Juif. En fait, je suis Juif par la force de l'antisémitisme. Alors je me sens fort et absolument Russe. Dans mon film, je voulais faire sentir comment tout est mélangé, confondu. Qui je suis? Je ne le sais pas réellement. Je ne suis pas du tout nationaliste. La culture d'Amérique et du Canada m'est très proche. Ce n'est pas une question de sang. Ce qui est important, c'est de savoir qui tu es et qui tu veux devenir. Mon musicien juif, c'est quelqu'un qui fait des choses à la Russe: il boit, il vend des fringues, il oublie tout, mais c'est aussi un Russe qui aime l'argent. En fait, toutes les idées et clichés que les gens ont dans la tête pour définir les Russes ne reflètent plus rien et ne sont donc plus cohérents. Qui suis-je? J'ai fini par me dire que je suis Pavel Lounguine avec tous ses complexes, sa folie, ses raisons et ses idées.
                   Minou Petrowski [Séquences : la revue de cinéma, n° 149, 1990, p. 34-35].

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