La Garçonnière
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Mercredi 4 novembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Billy Wilder"
La Garçonnière (The Appartment)
Billy Wilder (USA - 1960)
5 OSCARS DONT CELUI DU MEILLEUR RÉALISATEUR, DU MEILLEUR SCÉNARIO ET DU MEILLEUR FILM
Parmi les grandes comédies de Billy Wilder, La Garçonnière constitue un sommet à la fois délicieusement grinçant et extrêmement touchant. En décrivant le désarroi sentimental d’un homme soumis à ses chefs, le cinéaste livre une vision cynique des rapports hiérarchiques au sein du monde de l’entreprise. Hilarant, le génie burlesque de Jack Lemmon (Certains l’aiment chaud) se reflète avec gravité dans le regard déchirant de Shirley MacLaine (Irma la douce), elle-même courtisée par le pataud Fred MacMurray (Assurance sur la mort). La comédie d’amour se transmue en un mélodrame noir et délicat, porté par le lyrisme de la musique et du Cinémascope. Chef-d’œuvre au ton doux-amer, La Garçonnière est un classique du cinéma et demeure sans doute l’un des plus beaux films de Billy Wilder.
La garçonnière est en un sens un prologement de Sept ans de réflexion. Tous les utilisateurs de l'appartement sont un peu des Richard Sherman qui, eux, à l'inverse de ce dernier, libèrent leurs fantasmes sans être pour autant moins hypocrites, bien au contraire puisque ce lieu n'a d'autre fonction que dissimulatrice. Et la perversion va plus loin, puisque la monnaie d'échange devient corruption, promesse de promotion pour l'employé Baxter. Sexe, argent, réussite, rapports de classes, tout s'enchaîne inéluctablement, dans un gigantesque réseau de compromissions. Le revers de la médaille, tel est bien ce que va dénicher le film en détruisant le vernis des apparences et en bafouant le mythique "rêve américain".
Gilles Colpart, Billy Wilder, Filmo 4, Edilig, p. 91.
L'école de Vienne
On aura reconnu là une vision commune à nombre de cinéastes hollywoodiens venus d'Europe centrale. En particulier de Vienne. Il y aurait un article à écrire sur ce qu'on pourrait appeler "l'Ecole cinématographique de Vienne". Des Viennois d'origine, comme Von Stroheim, Sternberg, Lang, Preminger, Ulmer ou Wilder et des gens qui, bien que nés dans d'autres lieux, ont eu une formation artistique viennoise, tels que Lubitsch ou Max Ophuls, ont tous en commun cette vision pessimiste du monde. On peut l'expliquer peut-être, et d'une façon superficielle, par le fait que leur enfance s'est déroulée dans une société en pleine décadence, qui s'effondra en 1920.
Jean Douchet, Les Cahiers du cinéma, n° 113 (novembre 1960), p. 58-59.
« Wilder Touch »
Même s’il continue à tourner en noir et blanc, il y a chez Wilder une intelligence du présent et du réel, comme en témoigne cette charge hilarante contre la télévision, vulgaire déversoir de spots publicitaires. Cette faculté d’observation naquit indéniablement dans ses jeunes années de journaliste à Vienne et à Berlin, où il se montrait capable d’écrire sur à peu près tout : sport, politique (et, à l’occasion d’un reportage sur la perception du fascisme italien par l’intelligentsia viennoise, de se faire mettre à la porte par Sigmund Freud en personne !), potins mondains ou musique, particulièrement le jazz. Cette intelligence est celle d’un esprit sans doute supérieurement vif et réactif, une donnée tout à fait palpable dans le livre d’entretien avec Cameron Crowe, alors que le cinéaste a plus de 90 ans. Il faut ajouter à cet aspect sa collaboration avec celui qui devint son scénariste et complice à la fin des années 1950, Izzy Diamond, auquel Wilder accorde la paternité du légendaire « Nobody is perfect ! » qui vient clore Certains l’aiment chaud. En de si bonnes mains, La Garçonnière présente un récit touffu mais parfaitement fluide, des personnages formidablement écrits. Et, évidemment, les brillants dialogues du duo ; quand Baxter demande à son supérieur de libérer son logement à 20 heures, ce dernier lui rétorque : « Ces choses-là n’ont pas des horaires comme les bus ! »
Arrivant après l’âge d’or de la comédie américaine des années 1930, Wilder a su en faire une synthèse mariant (en ajustant le curseur selon les films) la rythmique, la corporalité et l’outrance de la screwball comedy aux acquis de la comédie sophistiquée, en bon héritier d’Ernst Lubitsch, pour lequel il fut coscénariste de La Huitième Femme de Barbe-Bleue et Ninotchka, dans les deux cas avec Charles Brackett. Pour Ninotchka, alors que les deux scénaristes planchaient durement pour que l’on comprenne sans monologue ou d’interminables lignes de dialogue que la rigide bolchevique était gagnée par les charmes de Paris et du capital, Lubitsch intervint en disant : « On va faire une scène avec le chapeau. » En effet, en arrivant à Paris, Ninotchka tombe en arrêt devant une vitrine, désigne à ses trois condisciples un chapeau dont la forme extravagante (et phallique) annonce, selon elle, la fin de la civilisation capitaliste.
Un chapeau qui revient beaucoup plus tard dans le film ; Wilder explique la fameuse scène de "conversion" : « Elle chasse les trois commissaires de sa chambre, ferme sa porte, ouvre son placard, en sort le chapeau, se le met sur la tête et se regarde dans la glace. » Le cinéaste fut ainsi à la bonne école de la « Lubitsch Touch » : l’implicite, l’allusion (souvent plus graveleuse chez Wilder que Lubitsch) et un fétichisme lié aux objets.
S’il n’y a pas de « coup du chapeau » dans La Garçonnière, on y trouve un brillant « coup du miroir », objet par lequel transite la révélation que Fran est la maîtresse de Sheldrake. Pas une ligne, pas un mot, mais une formidable efficacité dramaturgique. Le miroir est brisé, de même que le film et Baxter.
Arnaud Hée [critikat.com]
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