Krishna

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Mort d’un cycliste

Mercredi 18 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Noir du Monde" (2/3)

Mort d'un cycliste / Muerte de un ciclista
Juan Antonio Bardem (Espagne/Italie - 1955)

« Dans Mort d’un cycliste, le raffinement de la photographie et d’un montage
en contrepoint fut lié à l’audace d’un sujet opposant l’égoïsme de la hautesociété madrilène
et le dénuement des quartiers populaires. » Georges Sadoul.

Juan Antonio Bardem sur son Cinéma
« Il faut montrer en termes de lumière, d’images et de sons, la réalité de notre entourage, ici et aujourd’hui. Rendre témoignage du moment présent. Le cinéma sera avant tout témoignage ou bien ne sera pas.»

« Nous voulons lutter pour un cinéma national, avec amour, sincérité et honneur. L’Espagne est ici, au bord de notre cœur. A travers notre cinéma nous voulons entrer en contact avec les hommes et les régions d’Espagne. Avec les hommes et les régions du monde entier. » 

Juan Antonio Bardem.

 

« Ce remarquable film a marqué une date importante dans la renaissance du cinéma espagnol : Bardem y fait œuvre de critique sociale en dénonçant l’égoïsme de la grande bourgeoisie et le désarroi de certains intellectuels, et en suggérant que les étudiants incarnent le réveil moral des nouvelles générations. Le réalisateur conduit son récit avec une grande efficacité dramaturgique (le parallélisme entre la corruption bourgeoise et la misère ouvrière) et dans un style visuel extrêmement raffiné (la composition très étudiée des images), affirmant ainsi un professionnalisme qui a fait de lui, durant une décennie, le meilleur représentant du nouveau cinéma espagnol. La performance de l’ensorcelante Lucia Bosè et son personnage de femme fatale ont suscité des rapprochements avec Chronique d’un amour d’Antonioni. » Larousse du Cinéma.

Extrait d'un article de Georges Sadoul
Il est bien vrai que Bardem fut un élève de l’lnstituto de Investigaçiones y Experienças Cinématograficas qui est l’I.D.H.E.C. espagnole. Il est aussi vrai que ne trouvant pas de maîtres et de traditions artistiques dans le désert cinématographique qu’était son pays, Bardem apprit son art dans les films de divers cinéastes américains (Orson Welles notamment), français (René Clair), soviétiques (Poudovkine et Eisenstein), et surtout chez les néo-réalistes italiens de la première génération (Lattuada, De Sica, Visconti) et de la seconde (Antonioni, Fellini, De Santis).

Mais comme le dit avec violence Marcel Oms, est-ce une raison pour « la critique de jouer la flicaille » ou « les bureaucratiques nostalgiques de la Société des Droits d’Auteurs ». Pour devenir ce qu’il est Orson Welles n’eut-il pas besoin de la leçon des expressionnistes (et de beaucoup d’autres) ? René Clair, de Chaplin, de Labiche, de Feuillade, des comiques français 1910 ? Visconti, du réalisme poétique français, de Jean Renoir, de Marcel Carné ?...
Il n’y a pas en art de génération spontanée. El ceux qui, parlant de Mort d’un Cycliste, s’exclament triomphalement : « c’est un plagiat pur et simple de Chronique d’un Amour », se réfèrent surtout (comme le premier « fan » venu) à Ia présence de Lucia Bose. S’ils étaient logiques, ils accuseraient aussi Luis Buñuel d’avoir plagié Antonioni, pour avoir donné un emploi analogue à la même actrice, dans Cela s’appelle l’aurore (film que la critique méprisa injustement).
Il est vrai que Lucia Bose est une grande bourgeoise égoïste dans le film de Bardem, comme dans celui, antérieur, d’Antonioni. Mais Renoir ou Carné plagièrent-ils en 1937-1938 Duvivier pour avoir employé dans leurs films Jean Gabin, même personnage de La Bandera ou de Pépé le Moko.
[On peut lire l'intégrale de l'article dans le très intéressant dossier de presse en fichier téléchargeable ci-dessous].

Attention notre prochain rendez-vous sera le SAMEDI 21 MAI
avec l'évènement de notre saison: NSK Rendez-vous Grenoble
(Voir le dossier téléchargeable ci-dessous, ainsi que le site web dédié à cet évènement :
http://www.nsk.ccc-grenoble.fr/predictions-of-fire/projection.html)

Le Mark XIII (8, rue Lakanal, Grenoble)
Jeudi 19 mai - 18h : Vernissage de l'exposition : Kamarade.A en présence de l'artiste
Vendredi 20 mai de 21 à 2h: We come in peace - Soirée mix/projection NSK
Samedi 21 mai - 16h à 18h: Les Goûters du NKS - Rencontre artistique et citoyenne du NSK State

Samedi 21 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Predictions of Fire / Prerokbe ognja
Michael Benson (Slovénie / Etats-Unis - 1996)

Double énigme

Mercredi 11 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Noir du Monde" (1/3)

Double enigme / The Dark Mirror
Robert Siomak (USA - 1946)

Double Énigme (The Dark Mirror, 1946) de Robert Siodmak est moins connu que certains des autres classiques du film noir de ce cinéaste comme Les Tueurs ou Deux mains, la nuit. La Double Énigme est pourtant l’un des meilleurs titres de Robert Siodmak, petit maître à la carrière internationale responsable d’excellents thrillers psychologiques tournés à Hollywood, héritier de l’expressionnisme allemand fasciné par l’ombre et le grotesque.
Né en Allemagne, Siodmak fait ses débuts au cinéma en 1929 avec Les Hommes le dimanche au générique duquel on retrouve aussi Edgar G. Ulmer, Billy Wilder et Fred Zinnemann. L’avènement du nazisme pousse Siodmak à poursuivre sa carrière en France où il signe quelques très bons films dans les années 30 comme Pièges ou Mollenard. Au début des années 40 Siodmak s’embarque pour les Etats-Unis avec là encore de nombreuses réussites tournées pour la Universal. La rétrospective de la Cinémathèque française à l’occasion du centenaire du studio a d’ailleurs permis de revoir plusieurs films américains de Siodmak. La Double Énigme, une histoire de sœurs jumelles accusées du même meurtre permet à Olivia de Havilland d’accéder enfin au premier (double) rôle dramatique dont elle rêvait et à Siodmak d’explorer à nouveau les méandres d’un scénario psychanalytique plutôt convaincant. Les nombreux trucages optiques qui permettent à l’actrice de figurer deux fois dans le même plan sont particulièrement réussis.
Olivier Père [Arte, 5 fev. 2013].

En cette année 1946 Robert Siodmak s'installe au sommet d'Hollywood en réalisant coup sur coup Les Tueurs et Double Enigme. Les deux films le pose en nouveau maître du film noir (Phantom Lady en 1944 avait déjà annoncé cette progression) où pour le premier il contribue à cet onirisme tortueux associé au genre, à cette fatalité dans sa narration en flashback tout en créant la femme fatale ultime (Ava Gardner) et pour le second il introduit (avec d'autres œuvres comme le Spellbound d'Hitchcock) cette dimension la psychanalyse qui inondera le film criminel dans les années à venir. Le scénario de Nunnaly Johnson adapte d'une histoire de l'écrivain français réfugié à Hollywood Vladimir Pozner, Johnson exploitant à son tour cette veine psychanalytique quelques années plus tard une fois passé à la réalisation sur Les Trois Visages d'Ève.
Dark Mirror est avec Sœurs de sang de Brian de Palma et Faux-semblants de David Cronenberg le film le plus abouti sur le thème de la gémellité. L'argument criminel et le suspense est bien sûr le meilleur moyen d'exploiter et de rendre excitant les problématiques et les troubles associés à cet état et Siodmak en joue à plein dès son introduction nocturne où l'on découvre ce cadavre poignardé en plein cœur, puis l'impasse de l'enquête jusqu'à la découverte des deux suspectes en la personne des jumelles Ruth et Terry Collins (Olivia De Havilland). Finalement hormis cette entrée en matière et la conclusion, Siodmak se déleste de tous les effets de mise en scène les plus marqués du film noir (photo ténébreuse, narration alambiquées, plan-séquences, ambiance urbaine oppressante soit tout ce qui fait le sel des Tueurs justement) pour une sobriété visuelle et narrative surprenante.
A l'image des deux imperturbables jumelles dissimulant une criminelle, la réalité du film doit sembler tout aussi normale et sobre, le dérèglement n'intervenant progressivement que par touches savamment dosées. L'urgence du film policier laisse donc place à une approche essentiellement psychologique où le psychiatre incarné par Lew Ayres apprivoise les deux sœurs le temps d'une série de test, les manipule plus ou moins volontairement en séduisant l'une et éveillant la jalousie de l'autre pour découvrir laquelle dissimule la folie meurtrière.
[http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2012/10/double-enigme-dark-mirror-robert.html]

Notre prochain rendez-vous: Mercredi 18 mai prochain
Suite du Cycle " Noirs du monde " avec
Mort d'un cycliste / Muerte de un ciclista (Juan Antonio Bardem (Espagne / Italie - 1955)

 

 

 

Judith Therpauve

Mercredi 4 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Hommage à Simone Signoret " (2/2)

Judith Therpauve
Patrice Chéreau (France - 1978)

Patrice Chéreau sur le cinéma :
" Quand je vais au cinéma, j’apprends tout le temps. Je regarde et je me dis “Comment c’est monté ? où est le passage de plan ?”,
je vais revoir les films pour ça. Quand je faisais
La Reine Margot, je me passais toujours Les Affranchis de Scorsese."
" Le cinéma, j’en ai fait un usage immodéré : tout ce que je sais, tout ce que j’ai appris, c’est très peu de spectacles de théâtre et énormément de films.
" [...].
" La grande expérience que j’ai eue entre 12 ans et 18 ans, c’est le cinéma : la Cinémathèque Française où j’allais tous les soirs, parfois même deux fois par jour. J’ai vu tous les films qu’il fallait voir dans cette période-là, tout le cinéma américain, mais surtout l’expressionnisme allemand ­ ce qui m’a le plus frappé. Les films de Lang, M le Maudit que j’ai dû voir vingt-deux fois. Eisenstein, Welles, Citizen Kane. Ce que raconte Welles sur le théâtre est magnifique, il connaît très bien Shakespeare ou Montaigne. J’aimais profondément l’univers de Welles, de même que M le Maudit. Un monde noir qui me correspondait.
"Je connaissais par coeur le montage et le découpage de M le Maudit. J’étais fou Citizen Kane qui est pourtant parfois, sur le plan de la construction, difficile : les flash-back, l’ouverture du coffre avec les mémoires écrites dans le rayon de soleil, le retour à l’ex-femme dans la boîte de nuit avec la plongée par la verrière, j’étais fou de ça. Des films que je connais par cœur. D’ailleurs, quand j’ai commencé à faire un film, j’ai mis la caméra à cette hauteur-là, comme Welles, et je demandais toujours à l’opérateur si on voyait le plafond ­ ça ne m’intéressait que si on avait le plafond. Après, j’ai compris qu’il n’y avait pas que la contre-plongée permanente dans Welles."
Extraits des propos recueillis par Christian Fevret et Pierre Hivernat [Les Inrocks, 07 octobre 2013].

“Judith Therpauve” : un grand numéro de Signoret
Un grand numéro de Signoret en veuve ex-résistante devenue patronne de presse acharnée. Un Chéreau hyperréaliste, un peu court sur la vérité intime des personnages.
Riche semaine pour ceux qui écrivent une thèse sur le journalisme au cinéma : outre l’historique La Dame du vendredi d’Howard Hawks diffusé jeudi, voilà ce soir Judith Therpauve. Contrairement à Hawks, l’ambiance ici n’est pas à la rigolade. C’est Chéreau qui réalise : on fronce donc sévèrement les sourcils. Le film commence d’ailleurs sur un long plan glacial dans l’immense maison vide où vient de se suicider Judith Therpauve. Flash-back : cette veuve sexagénaire et ex-résistante accepte, à ses risques et périls, la direction d’un quotidien régional en difficultés financières. Changement de registre. On bascule dans l’hyperréalisme de la presse : rotatives en surchauffe, rédaction survoltée, syndicalisme, arrivisme…
Chéreau avait été accusé de théâtralité avec son premier film, La Chair de l’orchidée. Il tente ici un registre beaucoup plus réaliste, presque à l’américaine, avec attention au moindre détail. On saura donc tout des soubresauts du titre, de la chute des ventes sous la barre fatidique des 250000 exemplaires, en deçà de laquelle les annonceurs publicitaires retirent au journal leurs campagnes, jusqu’au coup de grâce assené par le concurrent : la création d’un hebdomadaire gratuit, entièrement financé par la publicité. Chéreau s’avère plus à l’aise avec l’esquisse des luttes d’influence et des méthodes expéditives des grands groupes financiers qu’avec la vérité intime des personnages, souvent caricaturaux (les clichés sur la Résistance, par exemple). Le film étant conçu pour elle, Signoret maîtrise sans faute un grand numéro.
Oliier Nicklaus [Les Inrocks, 01 janvier 1978].

Notre prochain rendez-vous: Mercredi 11 mai prochain
Début du Cycle " Noirs du monde "
avec Double enigme / The Dark Mirror (Robert Siodmak (USA - 1946)

Au bord du monde

Mardi 3 mai 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec "Accueil Vieux Temple"

Au bord du monde
Claus Drexel (France - 2013)

L

« Sous le charme, le spectateur ne peut détourner le regard, et n'en a nulle envie.
Le temps du film, ces SDF ont quitté l'état de spectre. Ils sont devenus ses frères
»
Le Monde.

« Vivre dehors, ça casse, ça use, ça tue. On n'est pas en état, on tient pas le coup…» C'est Wenceslas qui parle, assis sur un banc, son chariot chargé à bloc et garé derrière lui. Avec sa barbe et son bonnet de marin, il a l'air d'un capitaine jovial en attente d'un départ imminent pour une destination lointaine. Mais en réalité, ses grandes traversées le mènent non à l'aventure du grand large, mais aux abords des magasins rutilants de la Madeleine, à Paris, pour récupérer la nourriture invendue qui lui permette de tenir. Il dit qu'après quatre ans à la rue, il en a marre. Dans Au bord du monde, ils sont une dizaine de personnes à s'exprimer ainsi frontalement, racontant leur expérience de la pauvreté.
Claus Drexel a tourné pendant un an, d'avril 2012 à mars 2013, il est sorti «en maraude» avec son équipe quatre ou cinq nuits par semaine, accumulant une centaine d'heures de rushs : « Les deux premiers mois, on a circulé dans Paris avec les équipes du Samu social, on a rencontré énormément de monde et, au terme de cette première approche, on a tourné avec une quarantaine de personnes [il n'en reste qu'une dizaine dans le film, ndlr], et je me suis rendu compte qu'il y avait une pluralité de problèmes possibles à traiter. Mais ce qui m'a touché, c'est que certaines personnes sont confrontées à des problèmes qui vont bien au-delà des questions économiques.»[...]
Du Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir aux nombreux clochards qui hantent les films de Leos Carax (Amants du Pont-Neuf ou Holy Motors) en passant par Sans toit ni loi d'Agnès Varda ou Paria de Nicolas Klotz, il existe une histoire française des projections imaginaires sur ceux qui déambulent dans les limbes de l'activité commune, productive, travailleuse et abritée. Quelque chose fascine et terrifie comme une dépossession toujours possible dans l'univers de l'accumulation de biens, au cœur même d'un système social a priori organisé pour protéger et porter secours. C'est bien la vulnérabilité des personnes interrogées et considérées ici qui saute aux yeux quand il faut rentrer le chariot dans la tente pour ne pas se le faire voler ou que des jeunes ivres sortant de boîte viennent vous chahuter, ou encore lorsqu'il faut dormir, assis et que d'un œil (« c'est une autre sorte de sommeil, on tombe d'un coup, poum !» dit Christine) [...].
Didier Péron [Libération, 21 janvier 2013].

On n'avait plus vu Paris aussi étincelant depuis Stanley Donen et ses films avec Audrey Hepburn. Eclairés par un chef opérateur magique, Sylvain Leser, les monuments semblent émerger, la nuit, tels des mirages. Dans cette ville fantôme, les voitures, rares, semblent glisser pour fuir ailleurs. Et laisser la place à ceux qui n'ont pas où aller... Un homme pousse son Caddie dans les rues désertes pour gagner le lieu où il dort, depuis des années : c'est Wenceslas... Recroquevillée contre sa grille, Christine raconte sa vie d'avant : sa maison, détruite, son mari et ses trois garçons, eux aussi à la rue, qu'elle espère retrouver un jour. On ne sait pas si elle dit vrai ou si elle invente, tant elle semble échappée d'une pièce de Jean Giraudoux : elle ressemble, d'ailleurs, à l'actrice Marguerite Moreno, célèbre pour avoir créé La Folle de Chaillot... En compagnie d'un ami étrangement muet, Pascal évoque sa cabane du 7e arrondissement, faite de bric et de broc, qu'il a mis des mois à aménager, à embellir. « S'il y avait le courant, ce serait royal ! dit-il en riant. Déjà que je ne sors pas beaucoup de chez moi, là, je ne sortirais plus du tout ! » Son angoisse, c'est que certains riverains, pas contents de voir un clodo gâcher leur belle rue, le forcent à déguerpir, un jour. Pour l'instant, ils sont gentils. « Y a même un flic qui m'a apporté un plat de charcuterie pour Noël »... Alexandre, lui, installé de l'autre côté de la Seine, philosophe, tel un disciple de Cioran :
« On recule au lieu d'avancer. Bientôt la société deviendra moderne, mais l'homme redeviendra préhistorique. La seule chose qu'il n'y aura pas, ce sont les dinosaures. Mais la police continuera à exploiter cet homme des cavernes moderne »...
Ils sont tous magnifiques, ces résistants éphémères. Dignes. Aussi beaux que cette ville, magnifique et froide, autour d'eux. Que le regard, chaleureux, du réalisateur. Claus Drexel ne les humilie pas. Il ne les filme pas, comme beaucoup avant lui, avec une pitié maladroite. Il en fait, au contraire, de purs héros tragiques, victimes de forces qui les dépassent et qui les broient. Démarche passionnante. Réussite totale.
Pierre Murat [Télérama, 22 janvier 2014].



Casque d’or

Mercredi 27 avril 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Hommage à Simone Signoret " (1/2)

Casque d'or
Jacques Becker (France - 1952)

Les amours de Manda et de Casque d'or :
 "un petit chat de gouttière et une belle plante carnivore".
François Truffaut.

Simone Signoret
Aucune actrice n'a accompli avec un tel succès populaire l'exploit de livrer crûment, en forçant même le trait, une vérité limpide qui nous oblige à prendre, ce n'est pas si fréquent, le cinéma pour argent comptant, une actrice comme révélateur intime, comme compagne métaphysique. Donner à voir une existence, qui, comme toute existence, se déroule de la Marie de Casque d'or à la Madame Rosa de La Vie devant soi... est un cadeau de poids. Quelle femme n'a jamais découvert, en fouillant dans ses photos de famille, qu'elle a été, ou que sa mère ou sa grand-mère a été, dans sa jeunesse, Casque d'or, c'est à dire cette fleur juste éclose, intacte et rayonnante, qu'elle a du mal à reconnaître des décennies plus tard?
En cela, Simone, ce portrait de toi tant affiché est sublime.
Chantal Pelletier, Signoret ou la traversée des apparences, Editions des Busclats, p. 21-22.

François Truffaut sur Casque d’or
Dans le film de Ernst Lubitsch To be or not to be, pendant quelques minutes des officiers allemands s’emploient à se tirer réciproquement la moustache afin de démasquer, parmi eux, l’imposteur.
Inutile de soumettre à cette épreuve les personnages de Casque d’or, chaque poil de la moustache de Serge Reggiani étant garanti hors compétition dans ce festival d’authenticité.
Par ailleurs, Casque d’or est le seul film de Jacques Becker, d’ordinaire tatillon, minutieux, maniaque, inquiet et parfois tâtonnant, ait filmé d’un trait, très vite, d’un seul élan, droit au but. Il a écrit lui-même ce dialogue très parlé, absolument naturel et si économique que Reggiani ne pronoce, paraît-il, pas plus de soixante mots.
Pour tous ceux qui aiment Casque d’or, il est évident que Simone Signoret et Serge Reggiani ont trouvé là leur meilleur rôle même si le public français – mais non l’anglais décidément plus fin – semble avoir boudé cet accouplement paradoxal, beau justement par son paradoxe : un petit homme et une grande femme, un petit chat de gouttière tout en nerf et une belle plante carnivore qui ne crache pas sur le fromage.
Si l’on s’intéresse à la construction des histoires, comment ne pas admirer l’ingéniosité du scénario et particulièrement la façon si puissante, détournée et inattendue d’arriver abruptement à l’exécutio de Manda par l’intermédiaire d’une scène aussi belle que mystérieuse, l’arrivée de Casque d’or dans un hôtel borgne en pleine nuit ? Avec mes amis scénaristes, quand nous sommes en panne, bien souvent, il nous arrive de dire : « Et si on adoptait une « solution Casque d’or » ? »
Casque d’or, qui est d’abord un film de personnages est aussi une grande réussite plastique : la danse, le rixe dans l’arrière-cour, le réveil à la campagne, l’arrivée de Manda devant la guillotine, soutenu par un prêtre, toutes ces images sont des couvertures du « Petit Journal » ou de « L’Illustré » et cet enchantement de l’œil par l’imagerie me confirme dans l’idée que le cinéma a une vocation populaire et qu’il se trompe lorsqu’il prétend animer des peintures de maîtres.
Casque d’or, parfois drôles et parfois tragique, prouve enfin que, par l’utilisation raffinée du changement de ton, on peut dépasser la parodie, regarder un passé pittoresque et sanglant puis le ressusciter avec tendresse et violence.
François Truffaut, Les films de ma vie [Flammarion, 1975, p. 195-196].

Casque d’Or demeure un film phare du cinéma français toutes époques confondues. C’est l’œuvre d’un artiste méticuleux et discrètement romantique, peintre impressionniste d’univers cloisonnés et gouvernés par des cérémonials dont la représentation à l’écran apparaît la plus naturelle qui soit. Le cinéma de Jacques Becker, comme d’ailleurs celui de Jean-Pierre Melville, fait habilement la transition entre le cinéma français d’avant-guerre avec son classicisme merveilleux et l’effervescence moderniste des années 60. C’est ainsi qu’il fut l’un des rares cinéastes célébrés par les jeunes trublions contestataires des Cahiers du Cinéma. Si ces derniers eurent trop souvent, et parfois injustement, la dent dure envers les réalisateurs français des années 50, ils ne passèrent évidemment pas à côté de celui qui apporta, à sa manière, une touche de néoréalisme au cinéma français.
Jacques Becker, élevé au sein de la bourgeoisie intellectuelle, fit tôt la connaissance de Jean Renoir chez les Cézanne. Il devint son l’assistant, ainsi même que l’un de ses plus proches collaborateurs, de Boudu sauvé des eaux (1932) à La Marseillaise (1938). Auparavant, la petite histoire veut que le grand cinéaste américain King Vidor (La Grande Parade, La Foule, Notre pain quotidien) lui propose de travailler avec lui comme assistant et acteur, mais Becker déclina l’offre.
[Extrait de l'article de Ronny Chester qu'on peut lire dans le fichier joint ci-dessous.]

On trouvera en fichier joint un dossier d'étude de Jean Douchet et Cédric Anger sur le film.

Sound and Chaos : the story of BC Studio

Mardi 26 avril 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Docu-concert Martin Bisi
En partenariat avec " Voix de garage et Les Modernes "

Sound and Chaos:
The Story of BC Studio

Ryan Douglass, Sara Leavitt (Etats-Unis - 2014)

L’univers industriel de Martin Bisi
On entre dans le monde caverneux de Martin Bisi à Brooklyn par une vieille porte grise. Un intriguant et poussiéreux mannequin bleu d’une femme nue est planté dans le corridor. A sa gauche, une rangée de marches en contrebas mène vers le BC Studio, un studio d’enregistrement historique où se sont écrites certaines des plus belles pages de l’histoire du punk rock et du rock industriel new-yorkais depuis près de 40 ans. Sonic Youth y a enregistré Bad Moon Rising, son premier album. Brain Eno, qui a financé la création du studio, a aussi produit des morceaux ici. La liste des artistes emblématiques attirés par l’atmosphère industrielle des lieux est longue: Swans, Dresden Dolls, Afrika Bambaataa, Herbie Hancock, John Zorn, White Zombie, Violent Femmes… «J’ai emménagé ici en 1979, raconte le New-Yorkais Martin Bisi, Bill Laswell (ndlr: le producteur qui notamment travaillé avec Herbie Hancock, Mick Jagger et les Ramones) et moi-même cherchions un espace industriel dans lequel nous pouvions répéter et vivre. Le bâtiment (ndlr: la Old Can Factory, une ancienne usine de briques) était quasi vide. Il y avait quelques artistes et des gangs. Je devais parfois me cacher pour en sortir. J’avais peur de mes voisins».
A l’époque, Martin Bisi produisait surtout du hip hop. Et c’est cette particularité qui avait attiré Sonic Youth, un groupe qu’il côtoyait lors des soirées organisées chaque dimanche par Catherine Ceresole, la photographe de rock romande, et par son mari. «Sonic Youth ne voulait pas être catalogué comme un groupe expérimental, même s’il l’était vraiment, poursuit Martin Bisi. Thurston Moore, Kim Gordon et Lee Ranaldo recherchaient un lien avec le hip-hop et c’est pourquoi ils sont venus vers moi». Le producteur de Bad Moon Rising, le premier album studio de Sonic Youth, glisse une anecdote: «Sans l’aide des Ceresole, cet album n’aurait pas pu se faire, raconte-il. Ce sont eux qui l’ont financé».
Le documentaire Sound and Chaos: The Story of BC Studio raconte l’odyssée de BC Studio. Martin Bisi vit désormais au cœur de l’un des quartiers les plus courus de Brooklyn. La Old Can Factory accueille plus d’une centaine de compagnies, des bureaux d’architectes, des réalisateurs, des artistes. Mais le BC Studio n’a pas changé. Il prend l’eau lors de fortes averses et ses murs tremblent comme en 1979 lorsque des groupes de rock industriel y déversent leurs décibels.
Martin Bisi soigne cet endroit qui lui permet de produire ce son no wave et industriel si riche que l’on retrouve sur Ex Nihilo, son dernier album. «J’ai toujours été un peu épique et j’aime expérimenter», glisse le musicien. Son disque est à son image et brille par ses nombreuses strates sonores. On y découvre des échos d’éclats de rires, de cris, de voix d’opéra comme sur le titre Suffer the Moon. A Genève, le musicien né en 1961, reconstruira son univers underground l’espace d’un concert en mélangeant interprétations et improvisations. «Ce sont les titres d’Ex Nihilo, mais que je les joue de manière plus abstraite. J’aime déconstruire la musique pour la recréer bizarrement». 
Jean-Cosme Delaloye (La Tribune de Genève, 11 juin 2015).

Le documentaire (en VO non sous-titrée) sera suivi d’un concert de Martin Bisi en trio
Martin Bisi jouera des titres de son nouvel album Ex nihilo dans un style " purement new yorkais", entre no wave et post punk, avec des touches noise et psychédéliques.

Velvet Goldmine

Demain, Mercredi 13 avril à 20h, aura lieu
l'Assemblée générale du Ciné-club de Grenoble dans ses locaux :

4 rue Hector Berlioz (en face du Cinéma Juliet-Berto), 3è étage.
Nous vous y attendons. Soyez nombreux.

Mardi 12 avril 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec le Festival "Vues d'en face"

Velvet Goldmine
Todd Hayne (Etats-Unis - 1984)

Velvet Goldmine, un film-OVNI
Il existe de ces films dont on a du mal à se faire immédiatement une opinion. Le genre de films après lesquels on reste le regard fixé sur l'écran en se demandant, au fond, ce qu'on vient de voir : était-ce un chef-d'œuvre ou un navet ? Une comédie ou un drame ? Cette drôle de mise en scène était-elle originale ou grotesque ? Suis-je sous le charme ou déçue ? Des films-OVNI, uniques en leur genre, déroutants de par leur totale originalité. Des films qu'il faut souvent revoir plusieurs fois pour réellement les apprécier pour ce qu'ils sont.

Velvet Goldmine fait partie de ces OVNI inclassables. Peu connu du grand public (malgré un casting plus que prometteur), ce troisième long-métrage de Todd Haynes (surtout célèbre depuis pour son biopic génialement inventif sur Bob Dylan, I'm Not There) a toutefois acquis un statut culte pour une poignée de fans, tel un Rocky Horror Picture Show tendance glam rock. Sauf que Velvet Goldmine est bien plus qu'un délire parodico-absurde que personne n'a jamais pris au sérieux ; c'est également un vrai, beau et bon film pour lequel j'ai eu un énorme coup de cœur.
Alors, finalement, dans quel catégorie classer Velvet Goldmine ? Difficile à dire, puisque le film est une vraie mozaïque de styles, changeant de genre comme Brian Slade change de coiffure. Le terme "film musical" semble s'appliquer au vu du sujet et de l'importance accordée à la musique, même si ce n'est pas une comédie musicale. Il y a du drame, ainsi qu'une part de comédie et même des bribes de polar. C'est également un "biopic fictif" (terme paradoxal...), doublé d'un hommage à Bowie et au glam rock. Mais c'est aussi et surtout un film unique, follement original, avec une équipe d'acteurs au top de leurs capacités et une bande originale sublime. Une curiosité à voir absolument, pour les fans des seventies comme pour les autres !
[http://lilismovies.blogspot.fr/2013/09/velvet-goldmine.html]

Glamorama
Sans vouloir retracer la vie d’un artiste en particulier, Haynes souhaitait aborder la grande époque du glam rock en s’appuyant sur ses figures mythiques (David Bowie, Iggy Pop, Lou Reed…) et leurs morceaux les plus célèbres. Mais devant le refus catégorique de Bowie d’autoriser l’exploitation de sa musique, le réalisateur a pris la tangente : en dépit de quelques reprises (dont le fameux 20th Century Boy de T-Rex et Marc Bolan), Velvet Goldmine s’appuie sur une bande-son originale bluffante d’authenticité. La galerie de personnages qui peuple le film est à l’avenant : pas besoin que Brian Slade, l’anti-héros du film incarné par Jonathan Rhys Meyers, s’appelle David Bowie pour y reconnaître son double période Ziggy Stardust ; Curt Wild, l’icône trash interprétée par Ewan McGregor, est un parfait mélange d’Iggy Pop (pour le look et le jeu de scène) et Lou Reed (pour les éléments biographiques, notamment la relation homosexuelle avec Brian Slade/David Bowie et l’enfance traumatisée par les électrochocs).
Débarrassé des contraintes morales et légales poussives qui plombent la majeure partie des biopics et les font ressembler à des clips promo douteux pour le musée Grévin (meilleur exemple récent : Grace de Monaco), Todd Haynes a ainsi pu aborder Velvet Goldmine comme un véritable thriller musical à la structure narrative proche d’un Citizen Kane : un ex-fan de Brian Slade, devenu journaliste (Christian Bale, que l’on aura rarement vu aussi juste et sobre depuis), est sommé d’enquêter sur ce qu’est devenue son idole après que celle-ci ait savamment orchestré, au faîte de sa gloire, son faux assassinat lors d’un concert. En remontant le fil du parcours chaotique du chanteur, le journaliste revient sur sa propre histoire (la découverte de son homosexualité) et replonge la tête la première dans ses souvenirs pour mieux comprendre les enjeux d’un courant artistique et musical aussi éphémère que radical, qui puise sa source dans les écrits d’Oscar Wilde autant que dans les folies esthétiques des cabarets.
Fabien Reyre [http://www.critikat.com/dvd-livres/dvd/velvet-goldmine.html]

Good morning Babilonia

N'oubliez pas : Mercredi 13 avril à 20h aura lieu
l'Assemblée générale du Ciné-club de Grenoble dans ses locaux :

4 rue Hector Berlioz (en face du Cinéma Juliet-Berto), 3è  étage.
Nous vous y attendons. Soyez nombreux.

Mercredi 6 avril 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec "LExil au cinéma" et la Cinémathèque de Grenoble

Good Morning Babilonia
Paolo et Vittorio Taviani (Etats-Unis/Italie/France - 1995)

Paolo et Vittorio Taviani
L’Atelier, c’est le nom que Paolo et Vittorio Taviani, deux frères pour un seul cinéaste, donnent à ce lieu unique, en Toscane, où une équipe quasi familiale d’artisans élabore leur œuvre au rythme d’un film tous les deux ou trois ans.

Formés à l’école du cinéma documentaire, leur inspiration reste profondément engagée dans la réalité de leur époque, dans l’Histoire de l’Italie, dans la Toscane de leur adolescence, lors de la deuxième guerre mondiale. C’est à la manière des poètes et non des philosophes, qu’ils abordent les problèmes sociaux et politiques de leur temps , les transposant à travers le prisme de l’allégorie dans les temps futurs et passés.
L’utopie est à la fois le ferment de leur oeuvre, leur mode de narration et le rapport fondamental que leur cinéma entretient avec le monde réel.
Révélés au grand public avec la Palme d’Or du Festival de Cannes en 1977 pour Padre Padrone, ils accèdent à la notoriété internationale avec La Nuit de San Lorenzo (Prix spécial du jury à Cannes en 1982), Good Morning Babilonia, et leur dernier film Le soleil même la nuit.
[4è de couverture de l’ouvrage Gérard Legrand, Paolo et Vittorio Taviani]

Paolo et Vittorio Taviani sur God Morning Babilonia
Dans Good Morning Babilonia, on discerne des valeurs comme l'amour, le mariage, la fraternité, la mort. Au départ, votre but était-il de passer à travers ces valeurs?

Vittorio — Après avoir fait un film, il est difficile de le décomposer en ses valeurs. Faire un film signifie que l'on part d'une série d'émotions, d'interrogations, de besoins, de doutes dont on veut parler. Le travail de construction d'une oeuvre consiste à faire en sorte que le matériel hétérogène se transforme en unité comme dans une opération chimique. Alors les éléments perdent leurs caractéristiques pour devenir quelque chose qui crée l'oeuvre. Le film terminé, demander de revenir en arrière est une opération terrible, car c'est demander de décomposer ce que, à travers tant d'efforts, on a essayé d'unifier pour que chaque élément disparaisse dans l'ensemble. On peut dire que chaque fois qu'on fait un film, on choisit une certaine histoire qui est comme un moment de sa vie. C'est dire que chaque film représente une étape de la vie du réalisateur. Cela veut dire que l'histoire permet d'apporter de la lumière, ce qu'on appelle « les incubations nocturnes ». Chacun de nous, dans les différentes étapes de sa vie, pense, la nuit, à des choses qu'il ne sait pas ou qu 'il voudrait faire. Alors, en se réveillant le matin, il se dit qu'il fera un film pour essayer d'amener aujour ce qui lui a causé tant d'angoisse la nuit. Ainsi, probablement, dans Good Morning Babilonia les valeurs dont il est question étaient présentes non pas une à une mais dans un ensemble exprimé par l'histoire.
[Extrait d'un interview paru dans la revue Séquences. Le fichier du texte intégral est en pièce jointe].

John McCabe

Mercredi 30 mars 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Robert Altman " (3/3)

John McCabe and Mrs. Miller
Robert Altman (Etats-Unis - 1971)

" Altman bâtissait une ville de western comme
d'autres auraient construit un château dans le ciel.
 " Pauline Kael.

La frontière évanescente de Robert Altman
Sorti avec succès aux Etats-Unis, John McCabe permettait à Altman, dans la foulée du triomphe de M.A.S.H., de tourner avec deux grandes stars, Warren Beatty et Julie Christie, et de briser leur image en leur offrant deux rôles à contre-emploi. La redécouverte de John McCabe, film rare et méconnu aujourd'hui, comme presque tous les films d'Altman de cette période, fait l'effet d'un rêve éveillé, pas seulement en raison de la magnifique photo de Vilmos Zsigmond, en totale opposition avec l'imagerie classique du western, mais parce que tout le film semble livrer une vision éthérée de ce que pouvait être la vie dans une ville minière située sur la frontière du Nord-Ouest en 1902. [...]
Il faut du temps pour comprendre l'histoire de John McCabe, encore plus pour l'entendre, tant l'oreille du spectateur doit discerner entre plusieurs conversations ou saisir une phrase capitale, mais à peine chuchotée par un personnage. John McCabe n'est pas une affaire de volume, mais de ton, où tout reste évanescent: les mots, les couleurs, la pipe d'opium fumée par Mrs. Miller le soir venu, les chansons de Leonard Cohen et la neige qui envahit peu à peu le film dans un long duel final qui est l'une des plus grandes réussites plastiques d'Altman. Tout est mouvement dans John McCabe, et pourtant il reste extraordinairement figé, comme si chaque personnage, isolé dans ses rêves, ne pouvait plus communiquer avec l'autre, définitivement perdu dans l'enfer de ses illusions.
Serge Blumenfield [Le Monde, 22 janvier 2003].

Imprimez les faits (pas la légende)
Musicalité et trompe-l'oeil: c'est peu dire que cette ouverture donne le la. Jusqu'au plan final, empreint d'un spleen baudelairien, il ne sera question que de paradis artificiels, de rêves impossibles, d'espoir anéantis, tout cela sur l'air désolé des chansons de Leonard Cohen. "Chimère magnifique" écrira dans The New Yorker. Plus encore que dans Le Privé (1973) et Nous sommes tous des voleurs (1974), les deux autres volets de la trilogie consacrée par Robert aux mythes hollywoodiens, McCabe and Mrs. Miller se présente comme la relecture moderne et sans complaisance d'une fable fondatrice - l'épopée de la conquête de l'Ouest. Du point de vue esthétique, mais aussi moral, tout se passe comme si le cinéaste s'y employait à prendre le contre-pied de L'homme qui tua Liberty Valance (1961) et de sa prescription passée à la postérité: " This is the West, Sir! When the legend becomes fact, print the legend ". Alors que chez John Ford, la démystification se limitait à rétablir la vérité historique, elle adopte ici une dimension radicale, quasi anthropologique, en prenant pour cible la figure même de l'homme de l'Ouest et les propriétés qui le définissent traditionnellement (culture chevaleresque, ethos héroïque).[...]
Julien Suaudeau [Positif, n° 509/510 (Juillet-Août 2003)].

Trois Femmes

Mercredi 23 mars 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Robert Altman " (2/3)

Trois femmes / 3 Women
Robert Altman (Etats-Unis - 1977)
Festival de Cannes 1977 : Prix d'interprétation féminine à Shelley Duvall

« Le rêve est un théâtre où le rêveur est à la fois scène, acteur,
souffleur, régisseur, auteur, public et critique
. » (Carl Gustav Jung)

La présentation de Jean-Pierre Coursodon et Bertand Tavernier
Une parabole introspective où Robert Altman met à nu chez trois femmes des mécanismes d'autodéfense - mythomanie, hystérie, refoulement - et leurs causes. Une attention respectueuse, que le format Scope - magistralement utilisé - entraîne au-delà du naturalisme et du regard clinique. L'osmose entre Millie et Pinky (Shelley Duvall et Sissy Spacek), cette dernière finissant par s'identifier totalement à son idole et à la supplanter, est un des éléments les plus fascinants de ce film d'une richesse thématique et visuelle étonnante. Une fin déroutante.
Ainsi, Three Women poursuit les recherches et les expériences de Images, en les épurant, en gommant tout le côté thriller psychanalytique. Un utilisation admirable du Scope renforce paradoxalement l'intériorité de la mise en scène (les gros plans y prennent une force étonnante), met à nu les sentiments sans jamais sacrifier un décor qui, au contraire, les révèle et les exacerbe. Décor dans lequel les personnages semblent littéralement englués: les deux piscines, celle du début, véritable antichambre de la mort, et celle que peint Janice Rule - où Sissy Spacek tentera de se tuer -, l'appartement de Shelley Duvall (qui compose un déchirant personnage de mythomane). Le Scope donne une ampleur à cette introspection intimiste, cette exploration des fantasmes (qui recoupe jusque dans le travail sur la couleur, en l'occurence le jaune, la thématique hitchcockienne du transfert et du double), plus proche de la symbolique poétique d'un Bergman ou d'un Ferreri deuxièe manière que du cinéma psychanalytique hollywoodien.
[50 ans de Cinéma américain, Nathan, 1995, p. 277].

L'oeuf absolu
Tout au long de cet itinéraire labyrinthique, Altman poursuit trois études de femmes. Millie, la jolie bavarde, totalement idiote parce que totalement décervelée par les magazines, la publicité, les mass media, tout ça pense pour elle, et elle, la pauvre chérie, parle comme tout ça; Pinky, désarmante à force d'être désarmée mais portant en elle une redoutable garce; Willie, enceinte jusqu'aux dents, écrasée, bafouée, trompée, exploitée par un mari pseudo-cowboy spécialiste en cascades pour feuilletons de télévison, Willie s'enferme dans un silence quasi somnambulique. Le thème des jumelles charpente l'évolution des rapports entre Millie et Pinky, toutes deux en fait prénommées Mildred: Pinky s'attache à Millie, par un élan filial et saphique, jusqu'au désir d'identification complète - non seulement avoir Millie pour soi mais être comme Millie, être Millie, ne faire plus qu'un avec elle. Le thème de la femme-ventre, c'est Willie la silencieuse qui le fait vivre jusqu'au point de non-retour où, le trois femmes ne faisant qu'une, Willie devient la mère "rêvée" de Millie et de Pinky. [...]
Mais cette "virilité", au bout de compte victime de ses rêves de confort à gadgets compensé par une vie sauvage pour western en carton-pâte, n'est-ce pas la "civilisation" à l'américaine qui en est fondamentalement responsable? Et voici que l'Altman d' "Images" et de "Trois femmes" renoue avec l'Altman de "Nasville" et de "Buffalo Bill et les Indiens".
Jean-Louis Bory, Le Nouvel Observateur.

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