Delon avant Delon

Delon avant Delon (3)

Le Samouraï

Mercredi 28 janvier 2015, 20h
Le Samouraï
(Jean-Pierre Melville, France - 1967)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

"Je crois que le monde des hors-la-loi est  le dernier bastion où s'affrontent les forces du bien et celles du mal.
C'est le refuge de la tragédie moderne. Ce ne sont pas des héros mais des anti-héros.
Je ne leur fournis d'ailleurs ni excuse ni circonstances atténuantes. Ce sont des êtres amoraux.
Le spectateur ne s'identifie pas à eux. Mais, à force de les regarder vivre, il s'y intéresse. [...]
La construction du film est très importante. Elle n'est pas faite pour des gens distraits
qui s'absentent de l'écran. Au mot fin, il subsiste encore un point d'interrogation.
Il faut que les gens réfléchissent, car tout  ne leur a pas été expliqué."
Jean-Pierre Melville [in Télérama,
12 novembre 1967]. 

« Pari ambitieux, et film très difficile puisqu’il exige de la part du spectateur un don de soi,
une vraie participation, et un certain mépris de l’émotion primaire, et du réalisme.
Mais si l’on a franchi le cap, si l’on a compris que Melville ne cherche pas l’effet bon marché
dans la minute, alors les portes sont ouvertes au rêve, à l’évasion
. »
Henry Chapier, Combat [02 novembre 1967].

Le Samouraï en 1967 est une étape décisive vers l’abstraction glacée qui caractérise la dernière partie de la filmographie de Jean-Pierre Melville. La rencontre entre Jean-Pierre Melville et Alain Delon, tueur à gages à la tristesse minérale, donne naissance à une œuvre désincarnée, une épure de film noir. Le minimalisme de l’action s’accompagne d’une stylisation extrême des costumes (l’imperméable et le chapeau de Delon) et surtout des décors (des rêves de commissariat et de night-club). Les deux titres suivants avec Delon, Le Cercle rouge et Un flic (ultime film de Melville, ultime poème à la gloire de l’acteur) poursuivront cette approche fantasmatique du cinéma et des stars masculines. Car ces trois films sont aussi un écrin amoureux pour l’icône Delon, silhouette frigide et opaque obsédée par la mort.

Olivier Père [Présentation du film sur la chaîne ARTE].

Film totémique, Le Samouraï condense à lui seul toutes les caractéristiques de ce style melvillien dont se réclament ou s'inspirent aujourd'hui plusieurs cinéastes internationaux comme Quentin Tarantino, Joel Coen, Michael Mann ou encore John Woo et Johnnie To, qui en reprennent les figures et les motifs tout en recourant à des principes de mise en scène radicalement opposés. Le style de Melville, c'est d'abord un sens de l'épure qui peut faire songer aux estampes japonaises : une sécheresse de trait, une forme d'acuité pour l'essentiel uniquement, et un sens de la dramaturgie qui ne s'embarrasse d'aucune forme de superflu. Les scènes d'action sont par exemple le plus souvent vidées de tout contenu spectaculaire : seule "l'exécution" l'intéresse, c'est à dire la façon dont les professionnels s'y prennent, la précision des gestes, la droiture des âmes et la solitude qui accompagne l'excellence acquise dans tel ou tel domaine. C'est pourquoi chez Melville, toute action s'accompagne d'une certaine ritualisation, d'une solennité qui confine à l'ascèse.
Youri Deschamps [Eclipse, n°44 (2009)]

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Monsieur Klein

Mercredi 4 février 2015, 20h
Monsieur Klein
Joseph Losey (France - 1976)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
 « Losey a évité en particulier deux écueils majeurs : celui de la reconstitution réaliste
et celui de la parabole abstraite. C’est contrairement à ce que lui ont reproché certains,
cette double démarche à la recherche d’une stylisation du réel et d’une aura fantastique
qui fait de cette parabole kafkaïenne la plus terrible accusation
que l’on ait portée sur une certaine France. 
»
Michel Ciment, Positif, n° 183/184, juillet-août 1976.

 

Le thème de M. Klein, c'est l'indifférence, " l'inhumanité de l'homme envers l'homme ". Plus précisément, le film traite de l'inhumanité de la population française à l'égard de certains de ses représentants. Ce n'est pas un film sur les méchants Teutons. C'est un film qui montre ce que des gens très ordinaires, comme nous pouvons en rencontrer autour de nous, sont capables de faire subir à d'autres gens ordinaires. Bien sûr, il s'attache plus spécifiquement aux juifs et à d'autres minorités nationales ou politiques durant la période de l'Occupation et plus précisément encore, au moment de la Grande Raffle.[...]
Ce n'est pas une histoire optimiste, mais elle devrait avoir le pouvoir de fascination d'un labyrinthe borgésien. Elle finit comme elle avait commencé: par un regard sur la réalité nue - le genre de réalité auquel les français et le monde en général sont devenus insensibles.
Ce film n'est pas une reconstitution précise de la Grande Rafle. C'est une tentative pour saisir l'essence de cette période, et des évènements qui s'y sont produits, sous la forme d'un apologue documenté en guise d'avertissement.
Joseph Losey, L'oeil du Maître,
Textes réunis et présentés par Michel Ciment
[Institut Lumière / Actes Sud (1994), p. 243-234].
 
Sollicité par Delon, producteur du film, Losey retrouve, en adaptant le scénario de Franco Solinas, une thématique privilégiée, qui perfuse son œuvre depuis The servant jusqu'à The assassination of Trotsky, en passant par Secret ceremony, et trouve l'occasion d'approfondir une recherche sur l'acteur Delon, amorcée et abandonnée à l’état d'ébauche dans l'inégal Trotsky. La thématique du cinéaste croise en effet la mythologie de l’acteur, telle qu'elle s'est peu à peu dégagée d'une série de films-jalons : Plein soleil, William Wilson (Histoires extraordinaires), La piscine, L’assassinat de Trotsky, Traitement de choc. On y retrouve le thème du double, des deux faces, diurne et nocturne, de l’homme, dont une seule est connue et dont la quête de la seconde aboutit à une auto-destruction. Ici la trajectoire de Robert Klein va de l'indifférence, forme de non-identité, à l'appropriation de l'identité d'un autre, le vampire se retrouvant finalement lui-même vampirisé et assumant malgré lui une identité collective, celle de la condition juive qu'il avait jusque-là voulu ignorer, autant dans son propre sang qu'en tant que problème collectif. Si Delon, acteur plus ténébreux que véritablement mystérieux, accède ici à une réelle ambiguïté, c'est naturellement grâce à la direction inspirée de son réalisateur, mais aussi parce que le rôle participe vraisemblablement de sa propre personnalité et qu'il engage, ainsi que le confirme Losey, “ sa propre vérité dans la vérité du personnage ”
Michel Sineux [Positif n°186 - 1976]
 
Losey n'a pas son pareil pour utiliser des cadrages qui instaurent le malaise, instillent de l'étrangeté dans des scènes a priori banales dont l'atmosphère inquiétante est renforcée par une lumière grisâtre mettent en ombre des êtres fantomatiques, le tout exacerbé par une musique savamment dissonante...  Sa caméra surplombe ces scènes comme un démiurge démoniaque : celui qui manipule M.Klein ou celui qui dicte les lois ignominieuses de cette guerre absurde.[...]
A la fois thriller sombre, dérangeant, fascinant, passionnant ; quête de conscience et d'identité d'un homme ; mise en ombres et en lumières des atrocités absurdes commises par le régime de Vichy et de l'inhumanité des français ordinaires ; implacable et saisissante démonstration de ce que fut la barbarie démente et ordinaire,  « Monsieur Klein » est un chef d'œuvre aux interprétations multiples que la brillante mise en scène de Losey sublime et dont elle fait résonner le sens et la révoltante et à jamais inconcevable tragédie ... des décennies après.
Sandra Mézière [
http://inthemoodforcinema.com]
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L'Eclipse

Mercredi 11 février 2015, 20h
L'Eclipse  / L'eclisse
Michelangelo Antonioni (Italie / France - 1962)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
 
"Je veux bien qu'Antonioni soit le poète de l'Ennui. Mais que cet Ennui
commence par une majuscule; et qu'on y mette autant que Baudelaire y a mis."
Jean-Louis Bory [Des yeux pour voir, 10-18, UGE, 1971, p. 36-40]

 

Alberto Moravia sur L'ÉCLIPSE [Cinéma 62, n° 67 (Juin 1962), p. 69-73.]
Dans L'ÉCLIPSE, la maturité artistique du metteur en scène est surtout visible dans les rapports d'Antonioni avec la matière: des rapports libres, équilibrés, mesurés. Dans tous les arts, ce genre de rapport se manifeste assez tard, lorsque l'artiste a su surmonter son inexpérience, son impatience et son désir de possession. Antonioni fait penser à ces oiseaux solitaires qui répètent nuit et jour les seules notes qu'ils savent chanter. Dans tous ses films il nous a toujours répété les mêmes notes. Dans L'ÉCLIPSE il a réussi à les chanter mieux que jamais, d'une voix plus claire, plus haute, plus ferme.
Le sujet du film est très mince. Plutôt que de raconter une histoire, on dirait qu'Antonioni s'est borné à prélever un échantillon de la réalité et à le soumettre à l'examen de la caméra: il a découvert des traces de corruption provoquée par cette maladie si répandue actuellement et qui s'appelle aliénation: un mot d'origine marxiste.[...]
Nous nous trouvons ici devant le même thème que celui des autres films d'Antonioni: l'impossibilité de communication, la sécheresse, l'impossibilité d'aimer, le manque de rapports, le détachement, l'aliénation. Mais alors que ce sujet est exprimé dans les autres films à travers une représentation assez cohérente et par des allusions claires, il est dissimulé dans L'ÉCLIPSE derrière un épais tissu symbolique d'évènements sans relation apparente.

 

Les récents cataclysmes financiers  de l'organisation capitaliste à l'échelle quasi entière de la planète invitent  à se retourner opportunément sur un autre film aussi précocement bien nommé L'Eclipse, et dont le personnage principal interprété par Alain Delon est un trader. Certains de ses traits cyniques et sa froideur préfigurent dans une Italie reconstruite économiquement et architecturalement, une dérive morale et un personnage relevant pleinement de l'actualité des années 2000. Ladite éclipse qu'Antonioni associe au mitan des années 60, figurativement et symboliquement, au danger politico-scientifique de la recherche atomique est aujourd'hui interprétable comme l'annonce du bouleversement financier et boursier récent de l'Occident capitaliste...
Dominique Païni, Antonioni, le maestro du cinéma moderne
[BOZAR BOOKS, SNOECK Editions (2013), p. 16-17]. 
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