The Shop around the corner
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Cycle "The Lubitsch Touch"
The Shop Around the Corner
(Rendez-vous, Ernst Lubitsch, USA - 1940)
Mercredi 11 juin 2014 à 20h
Salle Juliet Berto - Grenoble
Le Cinéma de Lubitsch
Il y a deux sortes de cinéastes, c’est pareil pour les peintres et les écrivains, il y a ceux qui travaillent même sur une île déserte, sans public, et ceux qui renonceraient, au nom du à quoi bon ? Donc pas de Lubitsch sans public, mais, attention, le public n’est pas en plus de la création, il est avec, il fait partie du film. Dans la bande sonore d’un film de Lubitsch, il y a les dialogues, les bruits, la musique et il y a nos rires, c’est essentiel, sinon il n’y aurait pas de film. Les prodigieuses ellipses de scénario ne fonctionnent que parce que nos rires établissent le pont d’une scène à l’autre. Dans le gruyère Lubitsch, chaque trou est génial.
Employée à tort ou à travers, l’expression « mise en scène » signifie enfin quelque chose, ici elle est un jeu qui ne peut se pratiquer qu’à trois et seulement pendant la durée de la projection. Qui sont les trois ? Lubitsch, le film et le public. […]
J’ai parlé de ce qui s’apprend, j’ai parlé du talent, j’ai parlé de ce qui au fond, et éventuellement, peut s’acheter en y mettant le prix, mais ce qui ne s’apprend et ne s’achète c’est le charme et la malice, ah, le charme malicieux de Lubitsch, voilà qui faisait de lui vraiment un Prince.
François Truffaut, Les films de ma vie (Flammarion, 1975, pp. 71-74).
« Etrangement, le meilleur film de Lubitsch est assez peu représentatif de son auteur. Les personnages ne sont plus ces princes, ces marginaux vivant dans l'insouciance et le luxe auxquels Lubitsch nous a habitués mais des êtres ordinaires, fragiles et soucieux connaissant une situation précaire tant sur le plan social que sentimental. Le film semble influencé par le grand maître occulte de la comédie américaine de toute cette époque, Leo McCarey. The shop around the cornerobéit en effet dans ses profondeurs au système McCarey qui veut que l'émotion et le rire aient partie liée, que la meilleure comédie soit aussi la plus chargée d'universalité, la moins frivole et celle où les personnages se montrent humains, trop humains de la première à la dernière seconde du récit.
Le miracle de Theshop est que, tout en passant sur un autre registre qui leur est moins familier, Lubitsch et son scénariste, Samson Raphaelson, démontrent la même virtuosité irrésistible à tous les stades de leur travail. Une intrigue merveilleusement nouée, une interprétation subtile et variée, un contexte social décrit avec une grande acuité, quoique l'essentiel de l'action reste enfermée entre les quatre murs d'une boutique, ont permis au film de garder une jeunesse intacte. Le succès du film tint bien-sûr à son génie propre mais aussi, d'une façon plus circonstancielle, à son étonnante description de la précarité sociale des personnages et de la menace diffuse qui pèse sur leur emploi et sur eux-mêmes.Il est vrai qu'aucun film d'aujourd'hui n'a su appréhender avec autant d'humanité les craintes d'une société en proie au chômage. »
Jacques Lourcelles (Dictionnaire du cinéma, Robert Laffont).
Un jour, Ernst Lubitsch décide de tourner un vrai mélodrame juif. Il le fait avec une telle finesse, un tel raffinement, que personne ne s'en rend compte. Un film juif avec James Stewart, c'est la plus belle blague juive d'avant-guerre, un temps où les blagues juives avaient de l'allant. The Shop Around The Corner sort en 1940. Autant dire qu'il s'est écrit et tourné avant que les Allemands ne marchent dans les rues de Hongrie ou de Pologne comme si c'était chez eux. La « boutique au coin de la rue », c'est à Budapest qu'on la trouve, un coin de cet empire austro-hongrois auquel la sophistication de Lubitsch doit tant. L'intelligence lubitschienne, c'est d'abord celle des farces muettes que les parlants que nous sommes n'écoutent même plus. Ce sont ensuite là, le lecteur sait de quoi ça parle les grivoiseries légères de Sérénade à trois (1933, Miriam Hopkins, et ses deux amants échangistes, Gary Cooper et Fredric March), les fantaisies antitotalitaires de Ninotchka (1939, Garbo, déstalinisée par l'Amérique) ou celles de To Be or Not To Be (1942, un faux Hitler à Varsovie). Le moins qu'on puisse dire, c'est que Lubitsch n'était pas dupe. Pour un petit juif, un fils de tailleur berlinois, il s'est moins fait avoir que d'autres.
Il n'est pas explicitement question de juifs dans The Shop Around The Corner, mais de deux petits employés de Budapest (James Stewart, Margaret Sullavan), qui s'aiment sans le savoir et qui vivent dans la crainte quotidienne de perdre leur emploi (d'où le succès grandissant du film à chaque ressortie). Le cinéma étant l'art de l'implicite, du sous-entendu, du suggéré (contrairement à cette «vérité», ce «réalisme», ce «naturel», dont les historiens et les imbéciles le créditent), on ne cherchera pas ici à convaincre le lecteur que ces deux-là, et les autres personnages, tous les autres, sont juifs. C'est comme ça. C'est à prendre ou à laisser. Ça se voit, ça s'écoute, ça s'entend, ça se respire, ça se vit. De Matischek (Frank Morgan), le patron menaçant mais adorable, à Pirovitch (Félix Bressart), le plus vieux des employés du magasin, celui qui se cache comme le ferait un Groucho Marx dès que le boss lui demande son opinion, ils sont tous juifs. Très peu lubitschien, au fond, comme le fait finement remarquer Jacques Lourcelles, (Dictionnaire du cinéma, Robert Laffont), ce superbe mélo social pourrait aussi bien être signé du grand maître de la comédie américaine, Leo McCarey.
LOUIS SKORECKI (Liberation, 15 MARS 2002).
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