Les 7 mercenaires

Toute l'Équipe du Ciné-club de Grenoble vous souhaite
une très bonne et belle nouvelle année. 
2016 : Go West !
avec les quatre westerns du cycle "Retour à l'Ouest"

Premier départ
Mercredi 6 janvier 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Retour vers l'Ouest " (1/4)
Les 7 Mercenaires / The Magnificent Seven
John Sturges (USA - 1961)
Oscar 1961 de la Meilleure musique de film pour Elmer Berstein.
Golden Globe 1961 de la révélation de l'année pour Robert Vaughn. 

Le cycle "Retour vers l'Ouest"
"Au-delà du couchant, il y avait l'or du Nevada et de la Californie. Au-delà du couchant, il y avait la hache démolisseuses de cèdres, il y avait l'énorme tête babylonienne du bison, le chapeau haut de forme et le lit multiplié de Brigham Young, les fêtes et la colère du Peau-Rouge, l'air libre des déserts, la prairie illimitée, la terre essentielle dont l'approche fait battre le coeur plus vite, comme l'approche de la mer: en un mot, l'appel de l'Ouest."

                                                                                                                                                                     Jorge Luis Borge
                                [cité par Jean-Louis Leutrat, in Le Western, quand la légende devient réalité, Découvertes Galimard, 1995, p. 13].

Brève typologie du western
La typologie la plus immédiatement repérable, celle qui fait dire aux détracteurs du western est qu’on y raconte toujours les mêmes histoires, est celle des situations dramatiques, voire même d’épisodes particuliers (on sait par exemple que la bagarre aux poings et le duel – gunfight – sont des épisodes si inévitables que leur eventuelle absense elle-même prend un sens). Les situations-types les plus fréquentes sont celles de l’itinéraire, - souvent d’abord errance qui finit par se transformer, au hasard d’une rencontre, en quête d’un sens ; de l’établissement de la loi et de l’ordre dans une ville livrée à la barbarie ; du conflit entre grands éleveurs et petits fermiers, passage d’une féodaité à une démocratie ; de l’affrontement entre l’armée et les Indiens (situation qui doit demeurer épisodique, puisque son omniprésence peut faire basculer le film du western vers le film de guerre, etc.
Les personnages relèvent également d’une typopolie, encore plus précise et restreinte (mais susceptible d’importantes variations). La figure centrale est celle du héros, caractérisé par un expert de la conquête de l’Ouest, avec le savoir qu’elle implique, à la fois sur maniement des armes, la survie dans les contrées sauvages, les mœurs indiennes, etc. Mais c’est aussi, plus profondément, une figure du peuple, au sens, en particulier, où le héros est spontanément du côté de la justice et du bon droit, prêt à prendre le parti des opprimés. En cela, le type symétriquement opposé sera celui du « méchant », du villain, emblème de la tyrannie et de l’injustice : l’affrontement final entre le héros et le villain sera le dénouement obligé de la situation.
                                                                                                                         Denis Lévy, L’art du cinéma, n° 5 (juin 1994) « Western ».

Les 7 mercenaires vs Les Sept samouraïs.
John Sturges  revisite le chef-d'oeuvre d'Akira Kurosawa " Les sept samouraïs " et l'adapte aux circonstances relatives à la vie américaine, si bien que de l'intrigue originale ne reste que l'ossature, soit une lutte inégale et désespérée où des mercenaires mettent leur courage au service d'une cause qui n'est pas la leur.
Les règles du western n'en sont pas moins respectées, alternant les plans relatifs à la calme tranquillité du labeur paysan et aux soudaines et brusques explosions de violence. Beauté des paysages, détails de la vie quotidienne, bravoure des combattants, faciès de ces héros qui composent, chacun selon son style, un casting exceptionnel et photogénique ; oui, rien n'est laissé au hasard pour concocter une recette savoureuse qui, malgré son succès en salles, ne sera gratifiée d'aucun Oscar. Reste que  Les sept Mercenaires  est considéré de nos jours comme un film culte que l'on revoie toujours avec un égal plaisir. D'autant que la musique d'Elmer Bernstein contribue à l'imprimer dans la mémoire et à lui donner une ampleur supplémentaire.
Impassibles, taciturnes, tout en ayant chacun une personnalités différente, ces sept mercenaires tirent le film vers une sorte d'épure du western qui, quant à lui, opte pour l'unité de lieu et ne retient sur la pellicule que les temps forts de l'action. Le récit est donc rapide, très circonscrit, et bénéficie des paysages magnifiques de la sierra mexicaine, en même temps que d'une interprétation  exceptionnelle. Au prix d'une rivalité qui fut grande sur le plateau, chacun des acteurs tire son épingle du jeu et il est vrai que de voir défiler Yul Brynner en ange exterminateur, Steve McQueeen et son désarmant sourire de beau gosse en intrépide justicier, James Coburn redoutable et impavide manieur d'armes en solitaire taciturne, Charles Bronson en généreux défenseur des causes perdues, Horst  Buchholz en chien fou, Brad Dexter en arriviste est un régal pour le public. On peut même dire que nous avons en prime du scénario un défilé de   "gueules " impressionnant.
                                                                     [http://laplumeetlimage.over-blog.com/article-sept-mercenaires-john-sturges-82349564.html]

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Convoi de femmes

Mercredi 13 janvier 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Retour vers l'Ouest " (2/4)

Convoi de femmes / Westward Women
William A. Wellman (USA - 1951)

" Le plus beau monument cinématographique élevé à la gloire de la femme-pionnier."
J.L. Rieupeyrout.

Drôle de western féministe mais très classique, concentré du style de Wellman : le soin des cadrages (certains, avec personnage en contre-plongée et profondeur de champ, pourraient être tirés d'un film soviétique), le goût des ellipses (l'attaque des Indiens est juste suggérée par la bande-son), l'intelligence de la mise en scène et un humanisme qui auréole chaque plan.
Anne Dessuant [Télérama, 10 nov. 2012].

William A. Wellman se définit davantage par la portée des sujets de ses westerns que par leur mise en scène. A une forme apparemment banale, et d'une prudence calculée en vue de l'efficacité dans le respect des règles, répond une rigueur dramatique, essentiellement basée sur la valeur humaine de l'histoire.
J.L. Rieupeyrout, La grande avanture du western (1894 - 1964), Editions du Cerf, Paris ,1971, p. 285-286.

La mise en scène
L'économie narrative et la pudeur de la réalisation n'empêchent pas des cadrages constamment maîtrisés, une mise en scène jamais répétitive et de nombreuses séquences d'une grande force dramatique, captivantes et tendues (l'orage dévastateur, la descente des chariots sur une pente très raide, l'affolement des mules, l'accouchement en plein désert, le viol d'une ex-prostituée et le "meurtre" du violeur par Buck...). Presque deux heures durant, Wellman va tour à tour nous émouvoir, nous émerveiller, nous faire rire, sourire, et nous scotcher à notre fauteuil. Quant au magnifique final, il devrait vous faire vous lever de votre fauteuil, les larmes aux yeux, exultant de bonheur ! Convoi de femmes est un western atypique, un vibrant hommage à ces pionnières, un mélange de réalisme sec, de tendresse, de vigueur conjugué à l’humanisme typique de l'auteur de l'histoire. Le mélange des styles et des univers aussi opposés que ceux de William Wellman et de Frank Capra pouvait sembler incohérent sur le papier, mais l'âpreté de l'un accolée à la douceur de l'autre se révèle finalement une mixture totalement harmonieuse, et le résultat en est ce formidable et puissant chef-d’œuvre ! 
Eric Maurel [dvdclassik.com]

Le jeu des acteurs
Robert Taylor est excellent en rustre déterminé à arriver à bon port d'abord par intérêt personnel, puis par admiration pour ces femmes (il faut voir son sourire de fierté quand elles refusent de rebrousser chemin après une énième difficulté), ses femmes qu'il a rendu plus solide et résistante que des hommes. Hope Emerson en matriarche au coeur gros comme ça est également magnifique, tout comme Denise Darcel tout en séduction (il est vraiment dommage qu'elle n'ait pas fait plus de films entre Vera Cruz et celui-ci elle impose une sacré présence) et fragilité et formant un couple explosif avec Robert Taylor. On reconnaît la touche Capra dans cette manière de positiver et d'aller de l'avant envers et contre tout, qui culmine lors d'une magnifique et truculente conclusion où tous les efforts sont enfin récompensés. C'est ici que l'Amérique de demain commence, l'avenir leur appartient.              
[http://chroniqueducinephilestakhanoviste.blogspot.fr/2011/03/convoi-de-femmes-westward-women-william.html]

On trouvera en fichier joint un article étonnant du journal Le Monde du 13 octobre 1989 où, parfois, l'actualité peut rejoindre la fiction cinématographique.


 

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La Flèche brisée

Mercredi 27 janvier 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Retour vers l'Ouest " (3/4)

La Flèche brisée / Broken Arrow
Delmer Daves (USA - 1950)

La flèche brisée fut le premier de mes westerns, qui atteignent maintenant le total de dix. Ceux qui le suivirent complétèrent le panorama historique et social de l’Ouest américain que je désirais brosser, de l’époque indienne à nos jours : ainsi L’aigle solitaire présenta de manière totalement documentaire le problème des Indiens (les Modocs) qui refusèrent d’accepter les blancs, préférant la mort à la paix. On a dit que La flèche brisée, qui fut réalisé avant, était le premier western adulte du parlant ; nous avons essayé de présenter les Apaches non comme des sauvages, mais comme des êtres humains. Et, au début, la voix de James Stewart indique le thème : « Ce que vous allez voir arriva vraiment, la seule différence sera que les Indiens, lorsqu’ils parleront, parleront américain, afin que vous puissiez les comprendre.» C’était là le thème de notre film : la nécessité de « comprendre » nos voisins, sans distinction de race et de couleur de peau, pour en arriver au seul genre de vie raisonnable que l’on puisse mener, la vie pacifique. Notez bien que L’aigle solitaire et La flèche brisée étaient tous deux des films historiques, avant tout ; ils présentaient des faits avec un minimum d’invention romanesque."
Delmer Daves [Interview, Positif, n° 72].

L’ONU décerna des louanges considérables à ce film parce qu’il présentait un monde où les gens en conflit se respectaient. L’on trouvait des salauds chez les blancs, mais aussi des types recommandables, de même qu’il y avait des Indiens faméliques mais aussi des hommes en qui l’on pouvait avoir confiance. Une vérité première... A partir de ce moment, Hollywood cessa de peindre les Indiens comme des sauvages. (...) Broken Arrow était le dixième film de Delmer Daves et ce dernier fut dès lors catalogué comme le cinéaste antiraciste d’Hollywood. A tel point qu’ensuite, ses contrats formulaient qu’il devrait désormais toujours raconter des histoires d’amour entre des gens de races différentes !
Bertrand Tavernier - in Amis américains (Edition Actes Sud).

Le lyrisme de Daves et son immense talent plastique (le plan où les deux époux allongés contemplent un paysage de lac et de montagnes, possède, comme beaucoup de moments dans le film, une véritable saveur paradisiaque) expriment contrètement la dualité du sujet traité: ce qui aurait pu être (le bonheur parfait des deux héros ayant franchi tous les obstacles qui s'opposaient à leur union) et ce qui a réellement été (l'extrême fragilité et la destruction de ce bonheur). En ce sens, le film reflète bien les deux faces du talent de Daves. En ce sens, le film reflète bien les deux faces du talent de Daves. Son oeuvre, toujours très informée et documentée, contient aussi une part de rêverie indispensable à l'homme. La beauté chez Daves, n'est pas seulement la splendeur du vrai, mais égaleent celle du possible, comme si le possible faisait partie du vrai et était appellé à se réaliser, un jour ou l'autre, quelque part. L’interprétation du film est particulièrement mémorable. C’est, après guerre, le deuxième film de James Stewart (qui venait de tourner Winchester 73) comme héros de western sérieux, ici dans un rôle beaucoup plus tendre que chez Anthony Mann. C’est aussi le début de sa nouvelle et prodigieuse carrière dans ce genre. (...)
Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma (Laffont, p. 592-593).

On trouvera ci-dessous le fichier d'un dossier élaboré par "Collège au cinéma" sur le film.

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Impitoyable

Mercredi 3 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Retour vers l'Ouest " (4/4)

Impitoyable / Unforgiven
Clint Easwood (USA - 1992)

  • « Je ne laisserai pas huit millions de mangeurs de pop-corn me dire ce que je dois faire. »
    [Cahiers du cinéma, n° 460 (0ctobre 1992), p. 68].

Clint Eastwood sur Impitoyable
« Le western est toujours un miroir. Aujourd’hui, notre société est devenue permissive à ‘égard de la violence ; nos parents n’auraient jamais toléré ce que nous tolérons. Nous acceptons la violence, du moins tant qu’elle ne touche pas directement. Mon film parle de ça et de l’effet de violence sur celui qui l’exerce comme sur celui qui la subit. Dans la plupart des westerns, y compris les miens, celui qui tuait n’éprouvait aucun remords. Il tuait les méchants et c’est tout. Cette fois, le personnage réfléchit, il éprouve des sentiments
[in Noël Simsolo, Clint Eastwood, Un passeur à Hollywood, Cahiers du cinéma / Auteurs, 2003, p. 182].
« Je crois que c’est d’une fable qu’il s’agit, mais d’une fable qui démystifierait l’Ouest, d’une certaine manière, en faisant appel à d’autres éléments que le western classique. Comme par exemple, le fait que les choses ne se passent pas si facilement, que le tir n’est pas si précis, que les armes ne fonctionnent pas toujours à tous les coups comme elles devraient. Je ne sais pas si c’est la vérité sur l’Ouest, le film s’en rapproche sans doute. Il y a étrangement deux histoires qui coexistent parallèlement, celle du journaliste qui veut imprimer le mythe de l’Ouest, et celle qui traverse le film et la contredit complètement. La rencontre de ces deux histoires, c’est ce qui me plaisait dans le scenario. »
[Cahiers du cinéma, HS 1992, p. 70].

La critique de Télérama [Vincent Rémy, 9 sept. 1992]
Clint Eastwood, lui, a non seulement signé son meilleur film, mais un des plus beaux westerns de l'histoire du cinéma. Que signifie le retour régulier de Clint Eastwood au western, sinon ce besoin irrépressible de revenir sur le « lieu du crime », à l'endroit où s'est forgé son propre mythe ? Retour plus émouvant de film en film, alors que l'homme vieillit... Misogyne, Eastwood ? Il est loin, l'ange exterminateur de L'Homme des hautes plaines, qui commençait par zigouiller trois malheureux lascars et violer une pauvre fille. Certes, c'est pour la prime, pas pour la cause des putes, que Munny reprend du service. Mais lorsque l'une d'elle lui propose une avance « en nature », il décline élégamment. Raciste? On chercherait en vain une preuve à charge dans sa filmographie. Et là, on tient celle du contraire : Munny a pour meilleur ami un Noir, dans cet Ouest où ils n'étaient pas légion. Et ce n'est qu'après avoir appris son martyre ­ un sort annonciateur des pratiques du Ku Klux Klan ­ que Munny décide vraiment de se venger. Facho ? Comme tous les personnages incarnés précédemment par Eastwood, Munny n'aime pas l'ordre établi, en l'occurrence celui de Little Bill Dagget. Mais s'il fait le ménage à Big Whiskey, ça n'est sûrement pas pour installer un ordre nouveau. Quel ordre, d'ailleurs? Individualiste forcené, Munny ne croit même pas en lui-même. Hanté par son passé, que Little Bill Dagget ne manque pas de lui renvoyer en pleine gueule ­ « Tueur de femmes et d'enfants ! », Munny n'a aucune certitude, juste un souhait : être « un type comme les autres ». Et, comme les autres, il tue. Dépassé par son destin. Marqué par la fatalité d'une nation qui a conquis son territoire par la violence. Mais conscient, lui, de cette tâche originelle. Et donc désabusé, écoeuré. Au sens propre : sans foi, ni loi. C'est à ce moment qu'Impitoyable prend sa véritable dimension : une traque très précisément "impitoyable" de la violence originelle de l'Amérique. Eastwood bute sur un constat accablant : la violence est probablement la seule chose que ce pays ait su sauvegarder de ses origines. Ce constat passe par une relecture de la mythologie du western. Prenez la première fusillade : on croit l'avoir vue mille fois, cette scène de mitraille dans la rocaille. Mais, chez Eastwood, elle n'a plus rien d'un fantasme d'artiste. Munny vise froidement un pauvre gaillard qui n'a peut-être jamais tué. C'est une boucherie grotesque, inutile : « Donnez-lui de l'eau, Bon Dieu ! », finit par crier Munny à ses ennemis. Le voilà maintenant debout, sous un arbre, dos tourné à Schofield Kid, son jeune comparse, qui vient de lui avouer en pleurant n'avoir jamais tué avant de le rencontrer. Munny se rend compte qu'il vient d'initier un enfant à la violence : « C'est quelque chose de tuer un homme. On prend tout ce qu'il a et tout ce qu'il n'aura jamais. » En arrière-plan, le paysage grandiose de montagnes enneigées donne à ses paroles une dimension prophétique. L'instant d'après, pourtant, parce qu'il va jusqu'au bout de son destin, Munny remet ça : carton final sur tout ce qui bouge. "Je ne méritais pas ça", hoquette Little Bill Dagget. Et ce n'est pas faux : crapule certes, sadique même, mais adversaire farouche de l'autodéfense, Dagget ne combat-il pas un droit funeste inscrit dans la Constitution américaine, le port d'armes ? Il n'a oublié qu'une chose, Dagget : on ne se place pas impunément au-dessus des lois qu'on édicte. Ses méthodes sont ignobles, et ses jugements iniques, comme le sont aujourd'hui ceux des juges américains qui acquittent les matraqueurs de Noirs... Eastwood ne donne pas de leçons, il observe la réalité américaine. Le personnage de W.W. Beauchamp, plumitif bouffon et biographe encenseur du premier voyou venu, c'est la supercherie démasquée d'un pays qui réécrit à chaud sa propre Histoire. Que reste-t-il, après cela, de la mythologie pionnière ? Beaucoup, justement, et c'est l'ultime et ironique paradoxe de ce chef-d'oeuvre. Car, dans le même temps qu'il traque les mensonges originels du pays, Eastwood filme les grands espaces, les chevauchées ou les feux de camp avec le lyrisme d'un John Ford, d'un Anthony Mann ou d'un Delmer Daves. C'était si beau l'Amérique...  

On trouvera en fichiers téléchargeables une très belle étude sur le film par Jean Douchet, ainsi qu'un dossier (en Anglais) proposé par l'Université de New-York (Buffalo).

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Les Enfants de la belle ville

 

Mardi 9 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec CINEDUC 2016: "Cinéma d'ici et d'ailleurs"

Les enfants de belle ville / Shah-re ziba 
Asghar Farhadi (Iran - 2012)

Ala et la fureur de vivre
En juin 2011, comme pour mieux contourner le rance et insidieux embrouillamini franco-français sur l’islam et la laïcité, notre société se ruait dans les salles d’art et d’essai voir un film iranien, Une séparation. Depuis cette déflagration, Farhadi en France, c’est l’œuvre à l’envers. Après un film inégal de 2006, La Fête du feu, et l’inégalé À propos d’Elly en 2009, le distributeur Memento Films expie sa frilosité passée en nous présentant aujourd’hui un opus du cinéaste daté de 2004, Les Enfants de Belle Ville. Le public y retrouvera l’écheveau complexe qui a fait le succès des films suivants. Au milieu des couleurs, il fera surtout une rencontre restée orpheline dans sa filmographie, d’une passion-obsession plus grande que la mort : Ala et sa fureur de vie.
Farhadi a dit : « La tragédie moderne n’est pas le combat du bien et du mal, mais du bien et du bien. » Quand ce combat se condense dans l’esprit malmené d’un seul personnage, on appelle ça un dilemme ; quand tous les personnages d’un écheveau en portent un avec les contraintes, le passé et les désirs qui leur sont propres, on obtient une situation. Enfin, quand chacune des branches des alternatives n’obligent pas seulement les vies et l’honneur des concernés, mais force toute une société à constater que les lois des hommes ne sont pas à l’image de celles du Dieu dont ils se réclament, on appelle ça un film de Farhadi. Ajoutez un plan ou un personnage manquant, et la recette est complète. Certes, cela pourrait bien finir par lasser. Mais Farhadi n’a rien de l’aventurier, de l’homme des lointains. Quand certains nomades arpentent le champ formel des possibles cinématographiques (Kiarostami, Panahi), Farhadi, démiurge casanier, reste l’esprit bien planté dans son sol, à triturer les matériaux jadis rencontrés sur son infime parcelle.[...]
Voir Les Enfants de Belle Ville, c’est regarder opérer sous nos yeux la mutation d’un schéma actanciel en course passionnelle. À côté de la passion d’Ala, de sa force qui va, le reste du film n’est plus qu’une affaire de vis et de boulons. À rebours, mais encore une fois, Farhadi nous prouve qu’il est un cinéaste de l’éthique, jamais un moraliste. En ces temps de discours populistes, une telle intelligence de la formulation plutôt que de la solution, une foi inconditionnée dans le principe plutôt que l’action du cynique, deviennent libérateurs. Dans un film de Farhadi, l’esprit respire.
                                                                                                                                                      Matthieu Bareyre [critikat.com]


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Un temps pour l'ivresse des chevaux

Mercredi 10 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec CINEDUC 2016: "Cinéma d'ici et d'ailleurs"

Un temps pour l'ivresse des chevaux
Zamani baraye masti-ye asbha 
Bahmam Ghobadi (Iran - 2000)
Caméra d'or - Festival de Cannes 2000

Bahmam Ghobadi :
« Je me suis inspiré d'une histoire vraie. Il y a deux ans, lors des repérages de Vivre dans le brouillard, j'ai rencontré des jeunes qui faisaient de la contrebande entre le Kurdistan iranien et le Kurdistan irakien. Et j'ai décidé de travailler avec eux. Les gens du village où a été tournée l'histoire n'avaient jamais vu de caméra avant et n'avaient même pas l'électricité. Ils ne jouaient pas, mais vivaient simplement leur propre vie. Madi, le jeune handicapé, a encore une espérance de vie de deux ans. Il existe en Allemagne un endroit où on pourrait l'opérer mais il faudrait trouver de l'argent.»

La critique des Inrocks
Cinéaste kurde iranien, Barman Ghobadi a été premier assistant de Kiarostami sur Le Vent nous emportera, il a joué dans Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf, et a déjà à son actif une dizaine de courts métrages. Un temps pour l’ivresse des chevaux, Caméra d’or 2000, est un film d’endurance et d’état d’urgence, un film épuisant, projeté à toute vitesse, dans lequel les protagonistes n’arrêtent jamais de courir d’un point à un autre, de se battre contre les éléments et la tragédie omniprésente, et sont cependant profondément concentrés sur leur objectif unique, la défense de leurs proches.
Le cœur du film : une poignée de frères et sœurs, orphelins, livrés à leur sort dans un petit village du Kurdistan iranien. Ayoub, le fils aîné qui n’a guère plus de 12-13 ans, se démène pour nourrir les siens, au milieu d’essaims d’enfants de son âge qui se battent pour n’importe quelle embauche à l’heure. Il se fait engager par des contrebandiers pour passer des cargaisons en fraude à dos de mules à la frontière irakienne. Nous sommes ici dans la logique d’une économie de survie. Mais avant tout, Ayoub veut sauver la vie menacée de son petit frère atteint d’une grave malformation physique, que seule une opération peut sauver. Pour cela, il a besoin d’une certaine somme d’argent.
Le film ne raconte que cela, la folle volonté d’un enfant tendu tout entier vers la survie de ce frère martyr, Madi, au corps atrophié par la maladie. D’ailleurs ici, tous les corps sont, à un degré divers, suppliciés. Celui de Rojine sera vendu à un Irakien en échange du financement de l’opération de Madi, les carcasses des mulets soûlés à la gnôle pour tromper le froid s’effondrent sous l’effet des charges, des coups et de l’ivresse, et celui d’Ayoub, infatigable, arpente les terres truffées de mines en état de résistance permanente. Ces enfants ne sont plus que des corps-marchandises, exploités par les adultes.
Et pourtant, sous l’amoncellement des catastrophes, aucun des cinq ne s’effondre. Chacun cherche l’autre en permanence, et chacun rive son existence à celle de Madi, devenue la condition sine qua non de la leur. Les espaces géographiques chevauchent les espaces mentaux. Les lignes d’ascension horizontales, tracées le long des montagnes enneigées par les cortèges de contrebandiers, sont autant de lignes de fuite vers la frontière, c’est-à-dire vers la guérison possible de Madi, malgré les embuscades mortelles toujours possibles. La mise en scène de Bahman Ghobadi, à la fois nerveuse et sur la retenue, tenant du documentaire et admirablement composée, donne à ce combat intime une intensité qui nous vrille les tripes, et un caractère universel.
                                                                                                          Sophie Bonnet [Les Inrocks, 30 novembre 1999].

On trouvera en fichier téléchargeable un dossier rédigé par Christine Fillette.

 

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Morse

Mercredi 17 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Vent du Nord " (1/3)

Morse
Tomas Alfredson (Suède - 2008)

                        • Tomas Alfredson sur son film
                          " Le mélange entre réalisme social, le portrait de ce garçon malmené et renfermé… C'était vraiment dénué de sentiment et, en même temps, cela provoquait énormément d'émotions en moi. A mon sens, lorsqu'un film est trop sentimental, on décroche assez vite et je déteste ça. J'aime davantage que les sentiments d'un métrage ne soient pas forcés et qu'ils soient en partie créés par moi. C'était d'ailleurs l'une des grandes qualités du livre original. Mais aussi parce que j'ai eu pas mal de mauvais moments à cet âge là moi-même. Cela m'a ramené beaucoup de souvenirs et de sentiments assez forts de mon enfance. Ce type d'émotion, ceux que l'on éprouve à cet âge là, sont souvent très forts et ils font partie de vous même. C'était d'ailleurs un bon moteur pour avancer sur un film que l'on développe sur plusieurs années."
                          [http://www.devildead.com/indexdossier.php3?langage=1&dossier=31&page=3]

                          Subversif et choquant, onirique et touchant, hypnotique et horrifiant, MORSE (LET THE RIGHT ONE IN) est tout cela et beaucoup plus encore. Tout en situant dans un contexte actuel les règles du mythe du vampire, le film frappe fort en devenant à la fois un sombre «coming-of-age flick» et une mystérieuse histoire d’amour explorant les côtés sombres de l’aliénation adolescente. Des performances extraordinaires, un scénario inoubliable (que le Suédois John Ajvide Lindqvist adapte de son propre best-seller), une mise en scène maîtrisée et une splendide direction artistique usant brillamment de contrastes entre les scènes d’intérieur et d’extérieur s’unissent en une parfaite tempête noire. Il n’est pas surprenant d’apprendre que JJ Abrams a été séduit par ce film et qu’il tente présentement de mettre un remake en chantier. Le réalisateur Tomas Alfredson émerge avec un chef d’œuvre absolu et un classique instantané du cinéma d’horreur contemporain.
                          Mitch Davis [http://www.fantasiafestival.com/2008/fr/films/film_detail.php?id=42]

                    • Enfants acteurs
                      Le film repose en grande partie sur la performance de deux très jeunes interprètes inconnus du public. Après un casting qui a duré près d’un an, le réalisateur arrête son choix sur la brune aux yeux noirs Lina Leandersson pour Eli et le blond aux yeux clairs Kåre Hedebrant pour Oskar.
                      Leur jeu est complémentaire pour souligner leurs différences, la fragile détermination et le caractère lunaire du garçon avare de mots répondant à la troublante force d’incarnation de Lina Leandersson, tiraillée entre les âges. L’actrice a la faculté de moduler ses traits de manière à passer à vue, et grâce au maquillage, d’un visage de gamine à celui d’une femme usée par le temps. En revanche, Tomas Alfredson a recouru à Elif Ceylan pour doubler intégralement la voix trop aiguë de Lina Leandersson et obtenir des tonalités vocales plus caverneuses dans le but de suggérer plus encore le caractère sans âge et l’androgynie du personnage.
                      [Dossier d'étude proposé par le CNC] 

                    • On trouvera ci-dessous, en fichier téléchargeable, le dossier d'étude proposé par le CNC.
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La Fille aux allumettes

Mercredi 2 mars 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Vent du Nord " (2/3)

La Fille aux allumettes
Aki Kaurismaki (Finlande - 1990)

" De l'autre coté de la haute mer,
il existe un pays où des vaques clapotent sur les rives du bonheur...
 "

Le film clôture la "trilogie prolétarienne". Après l’éboueur amoureux (Shadows in Paradise), après le chômeur devenu voleur parce que la société l’a volé (Ariel), voici l’ouvrière qui devient tueuse parce que la société l’a tuée.
Le film évoque par son titre une oeuvre d’Andersen et se joue des personnages et des rebondissements classiques des contes de fées : les parents aigris exploitent leur fille, le prince est tout sauf charmant et la fin s’avère aussi efficace que tragique.
Avec son économie de gestes et de paroles, sa briéveté, son refus de la dramatisation, il y a de la rigueur bressonnienne dans le traitement du pitoyable destin d’une jeune fille que tout le monde exploite, dans une Finlande où la vie quotidienne ne semble pas d’une folle gaieté et qui se conclut par une noire vengeance .
La réalité mondiale perçue par la télévision glisse sur Iris : la répression de la place Tien anh Men, l'explosion de gaz en URSS et ses 700 victimes, la mort de l'ayatollah Komeny en Iran. Perdue en elle-même, dans la salle de bal elle écoute la triste chanson et ses faux espoirs :" De l'autre coté de la haute mer, il existe un pays où des vaques clapotent sur les rives du bonheur... "
[http://www.cineclubdecaen.com/realisat/kaurismaki/filleauxallumettes.htm]

Ce pourrait être un mélo genre « séduite et abandonnée », suivi de « la vengeance d’une femme », ce n’en est pas un. Ce pourrait être un film social, un film sur ce qu’on appelait naguère le prolétariat, ce n’est pas ça non plus. C’est autre chose. Qui ne ressemble à rien de connu. Un film d’Aki Kaurismaki. La Fille aux allumettes n’est jamais pesant. Kaurismäki filme au rasoir. Pas d’attendrissement, pas d’explications superflues. Rien que l’essentiel. Des images acérées, magnifiquement éclairées et cadrées, qui fuient le misérabilisme comme la peste. Et toujours cet humour désanchanté, ce sens du dérisoire, toujours cet humanisme sans complaisance qui illuminent les films de Kaurismäki.
[http://www.cinemas-utopia.org/bordeaux/index.php?id=247&mode=film]

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Adalen 31

Mercredi 9 mars 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Vent du Nord " (3/3)

Adalen 31
Grand Prix du Jury -  Festival de Cannes 1969
Bo Widerberg (Suède - 1969)

                        • " Les films d'ingmar Bergman sont verticaux. Les miens sont horizontaux. Il aime plonger dans l'âme humaine.
                          Moi j'aime découvrir les beautés et les grandeurs de l'homme quotidien tel qu'il m'apparaît avec ses qualités et ses défauts."

                          [in Jean-Loup Passek, Dossiers Casterman, 1972]
                        • Redécouverte de Bo Widerberg, cinéaste suédois des sixties au style vigoureux et charnel

                          Alors qu’ils connurent une vraie reconnaissance en leur temps, les films de Bo Widerberg étaient devenus des trésors inaccessibles du cinéma suédois, cités ici et là par quelques cinéphiles pas franchement remis de leur découverte. On les comprend.

                          Il est probable que la place écrasante occupée sur le terrain du cinéma nordique par le maître Bergman y est pour quelque chose. Il faudra d’ailleurs à Widerberg tuer le père (il lui reprochera notamment son orientation métaphysique) alors qu’il est encore jeune critique de cinéma.

                          Comme les cinéastes de la Nouvelle Vague, qu’il admire, c’est mû par un désir farouche de liberté et de changement qu’il fait ses premiers pas derrière la caméra. Dans son premier long métrage, Le Péché suédois (1963), produit par Pierre Braunberger, cette liberté formelle s’articule subtilement avec la liberté recherchée par son héroïne, véritable petite sœur de la Monika d’Ingmar (pas totalement répudié !), issue d’un milieu modeste, qui quitte le père de son enfant.

                          Apparaît déjà dans ce sublime portrait de femme tout ce qui fait la richesse du cinéma de Widerberg et se déploiera pleinement dans ces deux chefs-d’œuvre que sont Elvira Madigan (1967) et Adalen 31 (1969) : l’art de faire des sentiments une matière première, lumineuse et vibrante, une force autonome, à partir desquelles le cinéaste regarde le monde, en extrait sa beauté la plus pure et sa violence (sociale) la plus folle. D’où une mise en scène jamais psychologique, des plans habités et un montage audacieux, toujours prompts à saisir des états, des émotions au fil de motifs, d’éclats poétiques incroyablement charnels et vivants.

                          Pas étonnant que le nom de Pierre-Auguste Renoir soit répété inlassablement par le jeune garçon d’Adalen 31, comme un credo, au moment où il découvre les reproductions de ses tableaux, car le cinéma de Widerberg reste on ne peut plus fidèle à cette idée de la peinture comme art du jaillissement.

                          Dans Adalen 31, où les premiers émois adolescents sont bouleversés par l’ordre social et les conséquences sanglantes d’une importante grève d’ouvriers (qui marqua la Suède en 1931), aussi bien que dans Elvira Madigan, qui retrace le destin tragique (réel) au XIXe siècle d’un couple adultère formé par une célèbre funambule et un lieutenant déserteur, tout se vit comme si c’était la première et la dernière fois, comme une ultime et intense expérience de vie et de mort, inoubliable.
                                                                                                Amélie Dubois [Les Inrocks, 28 janvier 2014].

                    •  La critique de la Revue des deux mondes
                      Adalen 31 est une œuvre romanesque, mais s'appuyant sur des faits réels (...) Sur ce fond historique, l'auteur a raconté la vie de deux familles, celle d'un docker et celle d'un contremaître dont les enfants de dix-sept ans nouent une idylle et découvrent les premiers émois de l'amour à travers le drame social et la tragédie finale qui les entourent.

                    • Le trait le plus caractéristique de ce film, c'est le ton dans lequel Bo Widerberg l'a placé. Nous sommes à l'opposé de la tranche de vie : c'est de l'Anti-Zola. En effet, tout au long de ces troubles et de ces émeutes, l'auteur ne perd jamais de vue l'aspect comique et humoristique du drame qui se joue. Il nous montre le sang et la mort, mais aussi la vie quotidienne, familière de ces hommes et de ces femmes qui, entre deux charges de cavalerie, entre deux rafales de mitrailleuses, préparent leur repas, font la lessive, étendent le linge, répètent le prochain concert de l'Harmonie municipale, il nous montre aussi ces jeunes garçons et ces filles qui échangent leurs premiers mots d'amour, qui se donnent leurs premiers baisers..

                      Il y a la vie dans ces images saisissantes, il y a le champ et le contrechamp, et la nature parée de ses plus belles couleurs. Car Bo Widerberg est un peintre impressionniste, il nous l'a bien montré dans Elvira. Madigan.

                      Renoir (Auguste) le hante : de ce point de vue, son film est une admirable réussite photographique (...) le film est beau, émouvant, d'une belle tenue cinématographique. Enfin les quelques scènes osées que Bo Widerberg a tournées gardent toujours une fraîcheur, une sorte de pureté et d'innocence qui nous empêchent d'être choqués (...)

                      Tous les interprètes (ils sont inconnus du public français) sont excellents : ils entrent dans la vie de leurs personnages, dans leurs meubles, dans leurs habits, dans leur nudité.

                      Si If... est un bon film, c'est tout de même à Adalen 31 que j'aurais donné cette année le Grand Prix du Festival de Cannes (ex aequo peut-être avec Ah ! ça ira du hongrois Miklos Jancso)..."

                                                                     Roger Régent, La Revue des deux mondes, 01 juillet 1969.

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M.A.S.H.

  • Publié dans Altman

Mercredi 16 mars 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Robert Altman " (1/3)

M*A*S*H
Robert Altman (Etats-Unis - 1970)
Festival de Cannes 1970 : Palme d'or

« Je veux dérouter [les spectateurs] et rompre ce rapport monotone
entre le public et les histoires qu’il demande au cinéma de lui raconter. »
Robert Altman.

Le cycle Altman... : Amérique, je te hais !
Vous considérez-vous comme un réalisateur engagé qui a dépeint l’Amérique sous toute ces facettes à travers toute une oeuvre ?
Je pense en termes de politique, donc cela passe forcément dans le travail. Mais je ne suis pas un réalisateur subversif, en tout cas je ne me vois pas comme tel, bien que j’aime la notion de subversion, c’est quelque chose de nécessaire. Mes anciens films peuvent sembler très engagés sur un plan polilique et cependant je ne les ai pas conçus comme tels, je ne pensais pas que je faisais ce type de cinéma. Je ne suis pas conscient de porter un regard ambivalent sur la société américaine, je ne me dis pas : voilà ce que je veux dire. Si mes films forment un portrait de l’Amérique, ça c’est fait par hasard, de film en film. Chaque chose en a suivi une autre. Ce ne sont pas des choses auxquelles je pense - je ne peux pas vraiment me prononcer là-dessus, c’est à vous de me dire ce qu’il en est.
On parle beaucoup de la liberté de création des cinéastes américains dans les années soixante-dix. Est-ce une réalité ou un mythe ?
C’est totalement vrai. A l’époque j’ai fait par exemple des films avec des grands studios, j’ai bien dû en faire cinq ou six d’affilée pour la Fox : je n’étais pas au sein du système, mais l’argent provenait bien du studio, qui me laissait faire ce que je voulais. C'était possible car les studios, au début des années 70, ont abandonné le contrôle de leurs films en passant dans les mains de gens qui faisaient juste des transactions d’affaires. Donc j’ai pû faire ces films. La situation est très différente aujourd’hui. D’ailleurs, je ne connais aucun nom des dirigeants actuels des studios. Personne ! Et c’est difficile pour moi de monter financièrement un film, je ne peux faire que des films à petit budget et bien réfléchir de quelle manière l’argent va être utilisé. Le public a changé - il est maintenant constitué essentiellement d’adolescents, il est bien moins intéressant qu’il y a 20 ans, par exemple. Et je ne fais pas le genre de films que ce public attend. 
                                                              Robert Altman interviewé par Denis Rossano [Express, 22/11/2006]

M.A.S.H. : La vulgarité considérée comme un des beaux-arts
MASH, c'est le grand festival de l'irrespect, une grande fête rafraichissante au coeur de l'immonde cloaque guerrier. On comprend que le public s'y précipite, on comprend que le jury de Cannes lui décerne son prix. On n'a pas tellement l'occasion de s'affranchir ces jours-ci, de s'affranchir réellement, en dominant les circonstances, aussi absurdes soient-elles.
Ce film desserre un peu la contrainte de la bêtise. Il nous venge un peu de la colère des imbéciles. Le rire qu'il suscite nous libère énormément. La verve des auteurs, du réalisateur, des comédiens, gigle avec autant de force que le sang d'une artère tranchée. Pinte de bon sang plus salutaire finalement que tous les sanglots.
MASH, d'un autre côté, sonne le réveil du très grand cinéma américain que nous avions tant aimé.
Robert Altman, comme Arthur Penn dans Alice's Restaurant, tourne résolument le dos à la tradition. Il sent bien à quel point sont extérieurs et vides de sens aujourd'hui les vieilles formes dramatiques, les vieux procédés de découpage, sur qui Hollywood avait bâti jadis sa puissance. Il ne s'agit plus pour lui de dessiner fortement un personnage en l'isolant des autres, de guider le regard du spectateur vers le point d'impact dramatique de la scène, de réduire le film à une merveilleuse ligne souple et rigoureuse.
Il s'agit, au contraire, de renouer avec le fouillis vital, vivant, organique. On met d'abord en place le milieu, le petit village de tentes parcouru dans tous les sens par les brancards des blessés ou par la Jeep du colonel. On crée l'ambiance collective, on esquisse tout un écheveau de relations entre les personnages. Tout cela semble pré-exister au film comme la communauté hippy d'Alice's restaurant.
La caméra se contente de saisir au vol - mais avec quel diabolique instinct! - les réactions des comédiens libres, admirables de naturel et de joyeuse férocité. La technique du reportage permet ainsi de relier très étroitement le sentiment de la vie et celui de la comédie
Ce film est une fête sanglante. Mais toutes les fêtes, comme dit l'autre, sont sanglantes.
                                                                           Claude-Jean Philippe [Télérama, n° 1063, 17 mai 1970 ]

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