Assurance sur la mort

Assurance sur la mort

Attention, la séance aura lieu exceptionnellement le Mardi
Mardi 10 novembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Billy Wilder"
Assurance sur la mort (Double Indemnity)
Billy Wilder (USA - 1944)

" La volonté de Wilder et de ses collaborateurs d'échapper au style "glamour" d'une partie
de la production hollywoodienne de l'époque porte la marque du "film noir"
dont
Assurance sur la mort sera vite l'un des classiques reconnus."
Patrick Brion, Le Film noir.
"I never heard that expression, film noir, when I made Double Indemnity... 
I just made pictures 
I would have liked to see. When I was lucky,
it coincided with the taste of the audience. 
With Double Indemnity, I was lucky."
Billy Wilder.

Billy Wilder et le Film noir.
Le réalisateur du film, Billy Wilder, est originaire de Vienne. Il est catalogué comme auteur de comédies bien qu'il ait écrit des récits policiers à Berlin avant son exil aux Etats-Unis. Il adapte le livre avec Raymond Chandler, un écrivain de roman noir qui signe ainsi son premier travail pour le cinéma. Le résultat de leur collaboration est récompensé par un Oscar, mais beaucoup de modifications ont été apportées au roman.
Wiler est responsable de sa structure en flash-back, de la voix off et d'une sophistication dans le sens d'un cauchemar éveillé. Il accentue aussi la description du plan criminel (presque) parfait et travaille à présenter le péché d'adultère et le caractère sensuel et cupide de la femme fatale de manière à briser les conventions du thriller traditionnel.
L'action y est racontée du point de vue des assassins, un parti pris qui sera une constante du film noir. Mais la morale reste sauve avec le châtiment des coupables, sauf que Wilder préfère couper les deux scènes finales qu'il avait pourtant tournées (procès et exécution de l'homme), effaçant ainsi une conclusion qui soulignait le triomphe de la loi et et de l'ordre.
L'ensemble est filmé dans un style marqué par les productions allemandes d'avant le nazisme et le réalisateur en donne la raison dans Conversations avec Billy Wilder:
"Je voulais du réalisme: il fallait que la situation et les personnages soit crédibles ou tout était perdu. J'ai insisté sur le noir et blanc, bien sûr. [...] On pourrait dire que 
Double Indemnity est inspiré par M de Fritz Lang (1931). [...] J'ai essayé de faire une oeuvre très réaliste - quelques petits effets, mais pas très voyants. M, c'est le style visuel du film. C'est un film qui ressemblait à une bande d'actualités. On n'avait pas l'impression qu'il était mis en scène. Mais, comme dans une bande d'actualités, on cherche à saisir un moment de vérité, et à l'exploiter."
                                           Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, Cahiers du cinéma - Essais, 2005, p. 148-149.

"Elle l'embrasse pour qu'il tue."
Assurance sur la mort est un film important parce qu'il est réalisé par Billy Wilder et coécrit par Raymond Chandler, dont c'est le premier scénario. Il l'est aussi parce qu'il introduit un nouveau genre d'assassin et expose clairement une motivation jamais abordée franchement jusqu'ici. Le tueur n'est en effet plus un gangster, ni un professionnel. Ce n'est même pas quelqu'un poussé aux abois par la crise, la misère ou la jalousie. C'est un cadre moyen, qui pourrait être vous ou moi. Et sa motivation est le sexe; comme le montrait clairement l'affiche du film sur laquelle, au milieu d'une tache de sang, s'étalaient les mots: "Elle l'embrasse pour qu'il tue."
Le code Hays avait jeté l'interdit sur deux livres de Cain (Assurance sur la mort, Le facteur sonne toujours deux fois) pendant de nombreuses années. On comrend aisément pourquoi. Jamais le désir sexuel, qui trouve une espèce de sommet dans l'accomplissement du meurtre, n'avait été montré aussi crûment, loin de toute hypocrisie ou alibi sociologique quelconque. A l'aube de la victoire alliée, jamais le noir n'a été plus noir.
                                                                                             François Guérif, Le film noir américain, Denoël,1999, p. 114-115.

Bien qu'asservi et dissimulé par les nécessités d'un genre codifié, tout l'univers thématique de Billy Wilder est en place, annonciateur de la plupart de ses films suivants: la machination, l'appât du gain, le désir chronique d'ascension sociale, liés à l'attirance sexuelle, la tromperie des apparences... ici la séduction féminine, atout extérieur utilisé comme arme machiavélique par une Barbara Stanwyck inhabituellement blonde platine et affublée du nom de Dietrichson pour qui aurait des doutes sur son rôle de vamp fatale... Tout à cette thématique, Wilder nous prive délibérément de tout ressort spectaculaire, de tout suspence, livrant l'issue de l'action dès le début, par la confession de Neff qui déclare avoir finalement perdu et l'argent et la femme. En cela il rejoint Chandler, dont on a toujours dit l'indifférence autant à la clarté des intrigues qu'à le véracité psychologique des personnages. Il n'est qu'à voir, ou lire, Le grand sommeil (The big sleep) pour goûter au plaisir de ne rien comprendre à une histoire tortueuse et de s'extasier, par contre, sur tout le reste. Le reste, c'est-à-dire dans le cas présent, et entre autres, une mise en scène extrêment resserrée, avec très peu de plans larges, encastrée dans des décors clos et exigus (bureaux, chambres), jouant sur le dérisoire (les rencontres secrètes du couple meurtrier dans un supermarché) ou sur l'action hors-champs (le meurtre du mari dans la voiture, suggéré seulement par la présence de Neff, caché sur la banquette arrière, puis par un gros plan sur le visage de Phyllis, rayonnant de jouissance perverse au et à mesure que, hors cadre, s'éteint la vie de son cher - financièrement parlant- époux.

                                                                                                           Gilles Colpart, Billy Wilder, Filmo 4, Edilig, p. 52.

Les écrivains du noir
James M. Caine est l'auteur de Double Indemnity, d'où est tiré Assurance sur la mort. Raymond Chandler, autre grand auteur de la littérature hard-boiled américaine, en cosigne le scénario, avec le réalisateur du film, Billy Wilder. D'autres romans de Cain comme Le facteur sonne toujours deux fois (1934) ou Le Roman de Mildred Pierce (1941) furent adaptés au cinéma. [...]
Dans Assurance sur la mort (Double Indemnity), l'influence de l'ouvrage de Cain, centré sur la dérive sordide et morbide des rapports sentimentaux, est surtout évidente dans la description de Phyllis (Barbara Stanwyck). Dans le film, l'élément sexuel est plus voilé que dans le roman. Comme souvent dans le film noir classique, l'explication de cette "pudeur" tient à la censure. Walter Neff (Fred Mac Murray) est un assureur couleur passe muraille attiré par une dark lady. A propos des personnages de ses romans, Cain affirme dans l'introduction d'Assurance sur la mort: "Je ne fais aucun effort conscient pour être dûr, hard-boiled et tout ça, comme je suis habituellement étiqueté. J'essaye simplement d'écrire comme les personnages voudraient être écrits et ne jamais oublier que l'homme moyen, celui de la rue, du bar, du bureau, a acquis une clarté du langage qui dépasse tout ce que je pourrais inventer."
                                                                                                           Gabriele Lucci, Le film noir, Editions Hazan, 2007, p. 11.

Le suspence dans le film noir.
Même la certitude du pire n'est pas incompatible avec le suspence, qui joue alors d'une  temporalité tragique: dans les films noirs fondés sur des flash-backs, et dont le récit nous donne d'emblée l'issue, le suspence devient rétrospectif. Assurance sur la mort (Wilder, 1944), qui s'ouvre sur les aveux d'un homme déchu et blessé, révèle aussitôt l'argument criminel, le mobile du meurtre, l'identité du coupable et même son destin. Dès lors, la question ne porte plus sur un avenir inexistant mais sur le passé, l'engrenage d'un déchéance: comment cela  a-t-il pu arriver? A l'opposé de l'effet de surprise, c'est là encore le savoir du spectateur qui dramatise le récit.
                                                                                                  Serge Chauvin, Dictionnaire de la pensée du cinéma, Quadrige-PUF 2012, p. 672.

Note: On trouvera, en fichiers téléchargeables, deux études intéressantes (en Anglais) sur le film Double Indemnity.

Dernière modification lesamedi, 07 novembre 2015 17:00

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