Les Tueurs de la lune de miel
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Les Tueurs de la lune de miel
(The Honeymoon Killers, Leonard Kastle, USA - 1969)
Mercredi 9 octobre 2013 à 20h
Salle Juliet Berto - Grenoble
Un couple meurtrier au sang chaud analysé avec sang-froid. Un excellent film noir.
Ce film trentenaire rappelle heureusement qu’un meurtre n’a rien de facile. Avec Hitchcock, on sait qu’un homicide peut être filmé comme une scène d’amour, y compris dans ses préliminaires longuets, son exécution (très) laborieuse et son spectacle pénible (voir Le Rideau déchiré). C’est que The Honeymoon Killers est irrigué par une rigueur, une distance louable avec son sujet, tiré d’un fait divers des années 40 : l’odyssée peu à peu sanglante d’un couple d’escrocs – un gigolo piteux et une infirmière obèse – s’en prenant à des femmes mûres, esseulées et à marier. Un brin confidentiel, sans réelle descendance (et sûrement pas Tueurs nés), le film est à la hauteur de ses contemporains indépendants, vitaux et séminaux, qui sauvèrent un cinéma américain ronronnant à l’orée des seventies (Faces, La Nuit des morts vivants). Admirée par Truffaut ou Antonioni, il s’agit de l’œuvre unique d’un réalisateur contrarié. Leonard Kastle, d’abord compositeur d’opéras, devait seulement en écrire le scénario. Il passa à la caméra après l’éviction du réalisateur initial, trop lent et méticuleux au goût de la production – et trop affairé à filmer une canette de bière dans des buissons : le jeune Martin Scorsese. La beauté du film réside dans son approche naturaliste, mais pas entièrement brute. Kastle vise un anti-glamour frontal à travers son style documentaire (noir et blanc et lumière naturelle), mais avec juste ce qu’il faut de gracieux dans l’urgence, via l’usage précis de Mahler pour la BO. Son sens avéré du détail (des lettres enflammées, une perruque, une boîte de chocolats) donne chair aux protagonistes : deux acteurs extraordinaires, antithèse de la paire Beatty/Dunaway dans Bonnie & Clyde, que Kastle détestait. Shirley Stoller (l’infirmière) est la pièce maîtresse, sorte de Shelley Winters féline, ni belle ni vraiment moche mais très sensuelle. Ils composent un étrange couple borderline aux contours flous (amoureux, fraternel et maternel), jamais grotesque, entre pathétique et folie à deux. La caméra de Kastle sait se faire idéalement incisive et pudique. Morale, elle dessine en creux le portrait d’une société américaine piégée par ses frustrations et un sentiment de solitude cosmique. Le besoin d’amour de l’infirmière est ainsi le cœur d’un film où tous les personnages sont condamnés au repli : lorsque le couple ouvre les rideaux d’une fenêtre pour regarder au dehors, la lumière est si aveuglante qu’ils s’en détournent. Une leçon de ténèbres en somme.
Léo Soesanto, Les Inrocks (19 juin 2007).
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