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Les Ogres

Les Ogres, Léa Fehner, 2015 (DVD disponible à la bibliothèque de Grenoble, visible sur Mubi, UniversCiné, myCanal, Orange)

C’est l’été, le monde se presse sur les plages du Languedoc. Parmi les activités estivales, une troupe de comédiens itinérants propose aux vacanciers un spectacle tiré de L’Ours, farce en un acte de Tchekov, dans une mise en scène qui tire sur le cirque. Nous suivons les pérégrinations de la troupe.

Le film de Léa Fehner, Les Ogres commence par une longue séquence de... théâtre. Et c'est épatant. C'est aussi drôlement culotté, car la réalisatrice a embauché ses parents et fait appel à sa propre histoire familiale pour évoquer la vie de troupe. Ce n’est probablement pas le moindre intérêt du film que de montrer l’envers du décor, ou plutôt le va-et-vient des acteurs des coulisses à la scène et ces parties théâtrales sont tournées avec une grande maestria par une caméra virevoltante.

Une troupe, c’est un projet, une vie en commun mais c’est aussi la somme d’individualités au caractère bien trempé. Si ce genre de vie offre une bonne dose de liberté, il implique aussi son lot de contraintes et de responsabilités. En premier lieu pour le directeur, mais pas seulement puisque chaque élément de la troupe est indispensable au bon fonctionnement de l’ensemble. Tout cela n'est pas de tout repos, dans tous les sens du terme : il faut jouer, bien sûr, mais aussi monter et démonter le chapiteau, négocier avec les municipalités, gérer les problèmes, voire les drames, qui se succèdent. Sans oublier la vie de famille, les enfants qui n’en font souvent qu’à leur tête, les amours, la vie de couple qui s’insère tant bien que mal dans la vie de la troupe. Le film n’est pas parfait. Il aurait sans doute gagné à être un peu resserré. Mais ces « ogres » dégagent une telle énergie, un tel appétit de vivre et de jouer que l'ensemble est drôlement réjouissant. À l’image d’Adèle Haenel qui, enceinte jusqu’au cou, manque d’accoucher sur scène en robe de mariée. Elle est époustouflante.

Françoise Wirth

Le 31/01/2018 L'homme qui voulut être roi

Mercredi 31 janvier 2018 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle John Huston (3/4)

L'homme qui voulut roi
The Man Who Would Be King

John HUSTON (États-Unis, 1973 - 125 mn)

Attention: Vous pouvez gagner le très beau livre de Patrick Brion: John Huston (Éditions de La Martinière) en participant au QUIZZ SUR LE CYCLE JOHN HUSTON qui aura lieu après la projection du dernier film du cycle (Mercredi 7 février 2018).

Huston a toujours clamé son admiration pour l'auteur du Livre de la jungle. Longtemps, il rêva de porter à l'écran une de ses œuvres en s'imprégnant du charme à la fois mystérieux et mystique de cette lumineuse nouvelle. Le résultat est un film d'aventures palpitant, à la fois chargé d'humour et de gravité, idéale adaptation du monde de l'écrivain, en parfaite cohérence avec l'œuvre du cinéaste. En choisissant d'ancrer l'extraordinaire odyssée de Dravot et Carnehan dans un long flash-back, Huston donne au récit l'allure d'une épopée et la couleur sombre de la tragédie. Liés par un pacte insensé, ses deux héros partagent la même vigueur, la même loyauté, une envie identique de mettre leur vie en danger. Dans un incroyable décor, portés par les événements, servis par le destin, persuadés de leur supériorité morale, ils accèdent un moment à leur rêve impérialiste, démentiel et finalement dérisoire. Sean Connery, emporté et mystique, Michael Caine, ironique et pragmatique, sont inoubliables.[...]
Michael Caine a raconté sa rencontre avec John Huston : « Pour moi, c’était le Bon Dieu. Je suis sûr qu’il lui ressemble et qu’ils ont la même voix, une voix douce et rassurante. Huston savait pardonner. C’est grâce à lui que j’ai aimé le cinéma. À 14 ans, j’ai vu Le Trésor de la Sierra Madre. Le film m’a bouleversé et j’ai alors décidé de devenir comédien. Ce film raconte l’histoire de personnages impossibles, qui courent après un trésor impossible, et moi j’étais là, bouche bée, et je regardais ce rêve impossible : celui de tourner un jour avec lui. Je ne savais pas encore qu’il me dirigerait dans L’homme qui voulut être roi.»[...]
« Les deux personnages du film ne font en réalité qu’un et ils tiennent le dialogue qu’un homme peut avoir avec lui-même, plutôt un soliloque. Ils sont divisés en deux êtres, parce qu’il est difficile d’être aussi introspectif au cinéma. Lorsque l’histoire réclame leur division, c’est une sorte de séparation d’une seule personnalité, et lorsqu’ils se rejoignent à nouveau, l’individu est réuni. La moitié de lui, comme la moitié de nous-mêmes dans bien des cas, est en proie à cette maladie qui nous gagne lorsque nous accédons aux plus hauts postes, la folie des grandeurs. Nous pensons être plus que ce que nous sommes : des dieux. L’autre moitié est celle qui nous réprimande, et nous répète que nous sommes absurdes » (Patrick Brion, John Huston, Ed. de La Martinière, p. 546-547).

Le 24/01/2018 Péché Mortel

Mercredi 24 janvier 2018 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

En partenariat avec le 10è Festival des Maudits films

Péché mortel / Leave Her To Heaven
John Stahl (États-Unis, 1945 - 110 mn)

Tourné la même année que Duel in the Sun (Duel au soleil), Leave her to heaven est au « film noir» ce que le film de King Vidor,
produit par David O. Selznick, est au western : une œuvre passionnée et fulgurante qui utilise
avec génie les tons du Technicolor de l’époque,devenus ici un élément dramatique indispensable."

 [Patrick Brion – Le film noir – Editions de La Martinière, 2004, p. 103)]

Gene Tierney
Plus impétueuse que calculatrice, elle est l’une des figures les plus troubles du « film noir» hollywoodien et la composition volontairement retenue de Gene Tierney, constamment en retrait par rapport à des sentiments qu’elle aurait pu extérioriser, s’est révélée un choix surprenant et parfaitement réussi. Raison de plus pour regretter que Gene Tierney, nommée pour les Oscars, ait été battue in extremis par Joan Crawford, pour son interprétation dans Mildred Pierce. [Le film noir, Patrick Brion, Editions de la La Martinière (2004), p. 106]

Une oeuvre passionnée et fulgurante qui utilise avec génie les tons du Technicolor de l'époque, devenu ici un élément dramatique insdipensable.
Les couleurs du Technicolor, parfaitement conservées, constituent peut-être ce qu’il y a de plus nostalgique dans ce film. Et c’est dans cette nostalgie que réside ce qu’il faut bien appeler un transfert du sujet du film. Bien sûr, l’histoire de l’amour et de la trahison des deux amants puis la mort d’Ellen ne se sont pas évaporées du regard du spectateur d’aujourd’hui. Tout comme le dialogue, le découpage, le montage, le jeu sans faille des acteurs. Tous ces éléments qui constituent la mise en scène sont relayés par un intérêt qui déborde peu à peu tous les autres : les couleurs du Technicolor. En désirant épouser de plus en plus fidèlement le réel et en utilisant des couleurs de plus en plus réalistes, c’est-à-dire neutres, le cinéma d’aujourd’hui s’est détaché de ses propres fondements et de sa propre réalité cinématographique.
Les couleurs de Péché mortel modifient notre regard. Le film de John Stahl n’est qu’une suite de magnifiques cartes postales enfilées les unes à la suite des autres. Et qu’est-ce qu’une carte postale ? Un moment de bonheur, un souvenir, un message, l’amitié, l’amour, la passion...
Les bleus, les roses, les rouges, les verts de Péché mortel séduisent et bercent notre regard. C’est kitsch, c’est baroque, dites-vous ? Oui, car ici seules comptent les couleurs. Je ne connais que très peu de films récents dans lesquels la couleur est si brillamment utilisée pour sa forme et pour son sujet : je citerais volontiers Hamlet, ce film anglais très rare de Celestino Coronado, Coup de coeur de Francis Ford Coppola, Hammet de Wim Wenders, Passion de Jean-Luc Godard.
[Gérard Courant, Cinéma 81, n° 273, septembre 1981].

 

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