Krishna

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Les 7 mercenaires

Toute l'Équipe du Ciné-club de Grenoble vous souhaite
une très bonne et belle nouvelle année. 
2016 : Go West !
avec les quatre westerns du cycle "Retour à l'Ouest"

Premier départ
Mercredi 6 janvier 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Retour vers l'Ouest " (1/4)
Les 7 Mercenaires / The Magnificent Seven
John Sturges (USA - 1961)
Oscar 1961 de la Meilleure musique de film pour Elmer Berstein.
Golden Globe 1961 de la révélation de l'année pour Robert Vaughn. 

Le cycle "Retour vers l'Ouest"
"Au-delà du couchant, il y avait l'or du Nevada et de la Californie. Au-delà du couchant, il y avait la hache démolisseuses de cèdres, il y avait l'énorme tête babylonienne du bison, le chapeau haut de forme et le lit multiplié de Brigham Young, les fêtes et la colère du Peau-Rouge, l'air libre des déserts, la prairie illimitée, la terre essentielle dont l'approche fait battre le coeur plus vite, comme l'approche de la mer: en un mot, l'appel de l'Ouest."

                                                                                                                                                                     Jorge Luis Borge
                                [cité par Jean-Louis Leutrat, in Le Western, quand la légende devient réalité, Découvertes Galimard, 1995, p. 13].

Brève typologie du western
La typologie la plus immédiatement repérable, celle qui fait dire aux détracteurs du western est qu’on y raconte toujours les mêmes histoires, est celle des situations dramatiques, voire même d’épisodes particuliers (on sait par exemple que la bagarre aux poings et le duel – gunfight – sont des épisodes si inévitables que leur eventuelle absense elle-même prend un sens). Les situations-types les plus fréquentes sont celles de l’itinéraire, - souvent d’abord errance qui finit par se transformer, au hasard d’une rencontre, en quête d’un sens ; de l’établissement de la loi et de l’ordre dans une ville livrée à la barbarie ; du conflit entre grands éleveurs et petits fermiers, passage d’une féodaité à une démocratie ; de l’affrontement entre l’armée et les Indiens (situation qui doit demeurer épisodique, puisque son omniprésence peut faire basculer le film du western vers le film de guerre, etc.
Les personnages relèvent également d’une typopolie, encore plus précise et restreinte (mais susceptible d’importantes variations). La figure centrale est celle du héros, caractérisé par un expert de la conquête de l’Ouest, avec le savoir qu’elle implique, à la fois sur maniement des armes, la survie dans les contrées sauvages, les mœurs indiennes, etc. Mais c’est aussi, plus profondément, une figure du peuple, au sens, en particulier, où le héros est spontanément du côté de la justice et du bon droit, prêt à prendre le parti des opprimés. En cela, le type symétriquement opposé sera celui du « méchant », du villain, emblème de la tyrannie et de l’injustice : l’affrontement final entre le héros et le villain sera le dénouement obligé de la situation.
                                                                                                                         Denis Lévy, L’art du cinéma, n° 5 (juin 1994) « Western ».

Les 7 mercenaires vs Les Sept samouraïs.
John Sturges  revisite le chef-d'oeuvre d'Akira Kurosawa " Les sept samouraïs " et l'adapte aux circonstances relatives à la vie américaine, si bien que de l'intrigue originale ne reste que l'ossature, soit une lutte inégale et désespérée où des mercenaires mettent leur courage au service d'une cause qui n'est pas la leur.
Les règles du western n'en sont pas moins respectées, alternant les plans relatifs à la calme tranquillité du labeur paysan et aux soudaines et brusques explosions de violence. Beauté des paysages, détails de la vie quotidienne, bravoure des combattants, faciès de ces héros qui composent, chacun selon son style, un casting exceptionnel et photogénique ; oui, rien n'est laissé au hasard pour concocter une recette savoureuse qui, malgré son succès en salles, ne sera gratifiée d'aucun Oscar. Reste que  Les sept Mercenaires  est considéré de nos jours comme un film culte que l'on revoie toujours avec un égal plaisir. D'autant que la musique d'Elmer Bernstein contribue à l'imprimer dans la mémoire et à lui donner une ampleur supplémentaire.
Impassibles, taciturnes, tout en ayant chacun une personnalités différente, ces sept mercenaires tirent le film vers une sorte d'épure du western qui, quant à lui, opte pour l'unité de lieu et ne retient sur la pellicule que les temps forts de l'action. Le récit est donc rapide, très circonscrit, et bénéficie des paysages magnifiques de la sierra mexicaine, en même temps que d'une interprétation  exceptionnelle. Au prix d'une rivalité qui fut grande sur le plateau, chacun des acteurs tire son épingle du jeu et il est vrai que de voir défiler Yul Brynner en ange exterminateur, Steve McQueeen et son désarmant sourire de beau gosse en intrépide justicier, James Coburn redoutable et impavide manieur d'armes en solitaire taciturne, Charles Bronson en généreux défenseur des causes perdues, Horst  Buchholz en chien fou, Brad Dexter en arriviste est un régal pour le public. On peut même dire que nous avons en prime du scénario un défilé de   "gueules " impressionnant.
                                                                     [http://laplumeetlimage.over-blog.com/article-sept-mercenaires-john-sturges-82349564.html]

Les Gremlins

Mercredi 16 décembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec l'association " Les Rêv'Ailleurs "
Gremlins
Joe Dante (USA - 1984)

Vous savez que l'historien Joseph McBride a essayé de montrer Gremlins à Frank Capra, en lui expliquant à quel point c'était un hommage à La vie est belle ? Mais Capra, qui était presque nonagénaire [il est mort en 1991 à 94 ans] n'a pas capté le truc.
                                                                                    Joe Dante [Télérama, 29 septembre 2015].

Qui, qui, qui sont les Gremlins ?
Les Gremlins valideront évidemment cette idée en 1984. Qui sont-ils, d’ailleurs ? À l’origine, le gremlin est une petite créature chafouine, issue de l’imaginaire des pilotes de la Royal Air Force dans les années 20. Selon une légende urbaine, ces diablotins humanoïdes hantaient les bases aériennes britanniques pour y saboter les moteurs d’avion et les équipements divers. Aussi  incongru soit-il, le mythe se transmet rapidement aux confrères de l’U.S. Air Force, et se popularise dans les années 40 grâce à un livre de Roald Dahl (lui-même ancien pilote de chasse). Le premier gremlin de la télévision américaine s’invite dans un épisode de La Quatrième dimension (encore elle) : il est aussi velu qu’un ours, et vandalise un réacteur de 747 sous le regard médusé d’un passager – l’épisode sera également revisité dans le film de 1983, par George Miller. Chez Dante, le gremlin s’invite donc dans la modernité comme un trublion qu’on ne présente plus. À quoi s’en prend-t-il ? Non plus aux avions de chasse, mais justement aux relais multiples de la pop culture, arrachant les antennes de télévision et détournant le flux d’informations. Dans Gremlins 2, il passe de la simple piraterie à la colonisation en bonne et due forme : non content d’avoir terrifié le Midwest, il accapare les commandes du pays entier depuis les newsrooms new-yorkaises. Si le monstre jaillit de l’inconscient collectif, ce n’est que pour mieux prendre les rênes de celui-ci – et par conséquent, de la marche du monde.
                                                                        Yal Sadat  [http://www.chronicart.com/cinema/joe-dante-itineraire-dun-cine-fils/]

Gremlins appartient à une époque révolue de transition (fin des années 1970- début des années 1980), entre la modernité cinématographique et la post modernité, époque d’une innocence lucide où il était encore possible de témoigner de sa foi dans une forme de fiction relativement classique mais où il fallait en même temps, déjà, déconstruire, ironiser et avoir un rapport distancié au récit qu’on propose. En d’autres termes, Gremlins est un film commercial grand public, mais aussi un film de cinéphiles : il n’y a pas moins de trente citations qui exigent un spectateur compétent pour les relever et voir les effets qu’elles produisent à l’intérieur de la fiction.

C’est un film qui est apparu quand il est sorti comme un film contestataire sur le plan idéologique, mais aussi esthétique. Le film est lui-même partagé entre deux familles : celle de Roger Corman qui dans les années 1970 produit des films de série B avec la «New World Pictures», et celle de Steven Spielberg avec «Amblin Entertainment » (1984) qui produisait des films à grand spectacle. Joe Dante a fait ses débuts dans la famille de Corman où il est engagé comme monteur en 1974, où il réalise Piranhas en 1978 dont on a fait aujourd’hui un remake, et en 1980 Hurlements qui est un film sur les loups garous. Très vite a lieu la rencontre avec Spielberg. Alors que la « New World Pictures » était poursuivie par «Universal» qui l’accusait d’avoir plagié Les Dents de la mer avec Piranhas, la légende veut que Spielberg, après avoir visionné Piranhas, ait fait cesser les poursuites car il découvrait là un cinéaste de talent qu’il s’est empressé d’engager. Quoi qu’il en soit, Gremlins signe en 1984 le partenariat entre Joe Dante et Steven Spielberg qui va durer assez longtemps puisque Joe Dante réalisera, dans la maison de production de Spielberg, Explorers en 1985, L’Aventure intérieure en 1987, Gremlins 2 en 1990, Small Soldiers en 1998 et Les Looney Tunes passent à l’action en 2003.
                                                                                  Francisco Ferreira [http://www.cinep.org/site/pages/college/pdf/gremlins1]

 

Note: On trouvera, en fichiers téléchargeables, l'analyse complète de Francesco Ferreira, ainsi que la fiche et l'affiche du film proposées par le Ciné-club de Grenoble.

Le fleuve

Mercredi 9 décembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Fin du cycle "Quittter l'enfance"

Le Fleuve / The River
Jean Renoir (France, GB, Inde, USA - 1951)
Prix de la critique internationale à la Mostra de Venise 1951

« Le Fleuve, un des plus beaux films qui soit !
Mon père m’a emmené le voir quand j’avais 8-9 ans.
C’est un film qui s’est imprégné en moi et ne m’a jamais quitté depuis. »
Martin Scorsese
« J’ai tendance à penser à ce film comme un film expérimental.
C’est une oeuvre de peintre, une explosion de couleurs. »
Arnaud Despléchin

Fils de Pierre-Auguste Renoir, l'un des peintres les plus prolifiques du mouvement impressionniste, Jean Renoir va marquer non seulement le cinéma français mais le monde cinématographique de son empreinte. A tel point qu'il sera adopté par les frondeurs de la Nouvelle Vague qui en feront leur symbole, François Truffaut allant même jusqu'à le surnommer "le patron".

Jean Renoir à propos du Fleuve
J'ai retrouvé une certitude semblable avec Le Fleuve. J'ai senti monter en moi ce désir de toucher du doigt mon prochain que je crois être vaguement celui du monde entier aujourd'hui. Des forces mauvaises détournent peut-être le cours des évènements. Mais je sens dans le coeur des hommes un désir, je ne dirai pas de fraternité, mais plus simplement d'investigation. Cette curiosité reste encore à la surface, comme dans mon film. Mais c'est mieux que rien. Les hommes sont bien fatigués par les guerres, les privations, la peur et le doute. Nous ne sommes pas arrivés à la période des grands élans. Mais nous entrons dans la période de la bienveillance. Mes camarades et moi sentions cela dans les Indes même dans les mauvais jours où Hindous et Mahométans s'entretuaient. La fumée des maisons incendiées n'étouffait pas notre confiance. Nous pensions seulement que ces hommes étaient en retard sur leur temps.
                                                                                          On me demande... [Cahiers du cinéma, n° 8 (janvier 1952), p. 5-6].

Marguerite Duras sur Le Fleuve
Il y  un film que j'aime particuièrement parce qu'il me rappelle très fort les postes de brousse de mon enfance. C'est Le Fleuve. Je n'aime pas la fille qui érit des poèmes mais j'aime cet enfant qui veut le serpent. J'aime ces rampes qui donnent sur le Gange, ces vérandas, les siestes, les jardins. Je n'aime pas les Indiens qui sont dans le film. Ça ne sert à rien de les montrer. Je n'aime pas non plus cette gentillesse partout. L'amour est trop joué dans Renoir. La Règle du jeu illustre ça pour moi, le désir remplacé par sa pavane. Au mieux par sa défiguration - chez les domestiques, non ? Je me souviens mal.
                                                               [in Marguerite Duras et le cinéma, Les yeux verts, Cahiers du Cinéma (2014), p. 52].

Préentation du Fleuve par Olivier Père
C’est Le Fleuve (The River, 1951) de Jean Renoir qui fut le premier film projeté sur l’écran de la salle Henri Langlois lors de l’inauguration de la Cinémathèque française à Bercy. Martin Scorsese avait présenté la séance, il y avait de nombreux cinéastes du monde entier dans la salle. L’émotion était palpable. [...]. L’occasion de revoir l’un des films (en Technicolor) les plus sublimes jamais réalisés, mis en scène par l’un des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma.
Par un heureux hasard de calendrier Le Fleuve est distribué en salles le même jour que Tabou de Miguel Gomes (qui a trouvé son public dès les premières séances de son exploitation commerciale, excellente nouvelle.
Les deux films, au-delà de leur beauté, partagent plusieurs points communs : l’exotisme, l’évocation de souvenirs enfouis, et le mélodrame. Le bovarysme aussi, avec dans Le Fleuve de magnifiques portraits de jeunes femmes qui quittent l’adolescence, expérimentent l’ennui provincial (ici l’ennui colonial) et découvrent en même temps que l’attrait des hommes la société, cruelle et hypocrite, des adultes. Et plus profondément il y a chez Renoir et Gomes une conception voisine du cinéma et de la manière de faire des films, une vision cosmique de la vie, de l’amour et la mort. Production américaine tournée en Inde par un cinéaste français, d’après un roman et avec des interprètes anglais, Le Fleuve est sans doute le sommet de l’œuvre de Renoir, le film où s’exprime avec le plus de sérénité et d’universalité sa philosophie de la vie, au-delà du simple choc des cultures.
De Boudu sauvé des eaux au Déjeuner sur l’herbe et passant par Partie de campagne, Renoir a toujours associé le motif aquatique à celui du destin. Les êtres humains sont selon sa fameuse formule des bouchons charriés au gré du courant.
Dans Le Fleuve, film d’une richesse et d’une profondeur inouïes, on retiendra surtout l’acceptation de la mort, même sous sa forme la plus scandaleuse – celle d’un enfant – comme partie intégrante de la vie. Cette sagesse, Renoir la devra pour une grande part à sa découverte fascinée de l’Inde, sans négliger l’importance du roman de Rumer Godden dont est adapté le film. La biographie remarquable de Pascal Mérigeau nous confirme que Renoir a souvent dit tout et son contraire sur son travail et celui des autres, mais cette citation du cinéaste définit parfaitement la force et l’évidence de ce film génial :
« Le Fleuve qui semble être un de mes films les plus apprêtés, est en réalité le plus proche de la nature. S’il n’y avait une histoire basée sur des forces immuables, l’enfance, l’amour, la mort, ce serait un documentaire. »
                                                                                                                                        Olivier Père [Arte.tv, 01 janvier 2002].

Dès lors, quel rôle joue cette beauté chromatique dans l’émotion discrète, croissante qui étreint le spectateur ? Comme toutes les grandes œuvres de cinéma, Le Fleuve est un film sur le regard. Et s’affirme, plus encore qu’un hommage à la culture indienne, comme un hymne à la splendeur des apparences. Dans la philosophie hindoue, toute chose est sacrée. Tout doit être regardé, respecté : les moindres roches, brins d’herbe, flaques d’eau ; le flamboiement d’un sari comme l’éclat timide d’un sourire. La caméra les saisit avec une précision, une sérénité incomparables. Le personnage discret et pudique de Mélanie semble incarner un tel regard, elle qui ne juge rien, ni personne (sauf elle-même, et sévèrement, dans un moment de désarroi sentimental). Au fond, sous les fugaces soubresauts des trajectoires individuelles, tout est éternité. Tout est harmonie.
Pour mieux évoquer le délicat cheminement des uns et des autres vers cette harmonie, Renoir s’attache à peindre des personnages mal dans leur peau, des êtres sensibles et généreux mais qui se sentent exilés du monde – notamment la jeune Harriet, vilain petit canard qui se rêverait cygne, et le capitaine John, qui a perdu une jambe à la guerre (ce qui avait failli arriver à Renoir lui-même). Si une certaine réconciliation avec les autres, soi-même et le monde s’opère enfin, c’est moins au nom de la résignation ou de l’abdication que du consentement («consent to everything», dit Mélanie). Mot très beau, qui dit à la fois l’intimité du soi (le sentiment) et son alliance avec l’autre – sous les auspices d’un ordre cosmique qui tous nous unirait. Alors seulement, par-delà les drames (mort d’un jeune frère, déchirements de l’exilé, désespoirs amoureux…) peut se développer la conscience que nous sommes des voyageurs dans le monde : tous en transit; emportés dans l’irréversible écoulement du temps (métaphore transparente du Gange, placide et multimillénaire). En filmant cet assentiment au monde, Renoir semble exalter l’amour, tant celui des choses que des êtres. Et derrière l’amour : une mystique de la vie, simple et humble, prenant acte à la fois de la beauté et de la précarité de toutes choses. D’où cette phrase saisissante, prononcée par le capitaine John à l’issue de la tentative de suicide d’Harriet : « A chaque chose qui vous arrive, à chaque personne que vous rencontrez qui a de l’importance à vos yeux, ou bien vous mourez un peu, ou bien vous renaissez ». Sous les inévitables drames : la modeste mais nécessaire contribution de chaque être au fil de l’éternité. Un bouleversant appel à vivre.
                                                                                                                                     Antoine Benderitter [5 décembre 2012].

On trouvera, en fichiers téléchargeables, un dossier d'étude sur le film proposé par l'association Cinépage, une critique du film (en Anglais), ainsi que la fiche et l'affiche du film conçues par le Ciné-club de Grenoble.

Lacombe Lucien

Mercredi 25 novembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Quitter l'enfance?"
Lacombe Lucien
Louis Malle (France - 1955)

Lacombe Lucien, une réflexion anticonformiste sur le passé
Lacombe Lucien conte l'histoire d'un jeune paysan du sud de la France remarquablement campé par un non-professionnel, Pierre Blaise, issu comme le héros du monde rural (et mort dans un accident de la route peu après le film) qui se range, sans réelle conviction, dans le camp des miliciens. Avec l'argent, les armes, les vêtements neufs et le pouvoir que lui apportent ses fonctions, il se forge une nouvelle identité. Alors qu'il ne souffre guère d'être mis à l'écart par sa famille et ses anciens amis, Lucien est très troublé par l'amour qui le porte vers une jeune et riche juive, qu'il sauvera finalement de la déportation.
Faisant fi des incontestables qualités du film de Louis Malle, ses détracteurs accusèrent le cinéaste d'avoir trop opportunément sacrifié à une douteuse mode rétro. Passe encore qu'il ait ramené à la surface des vérités qu'on aurait préféré oublier, mais qu'il ait osé renvoyer dos à dos résistants et collaborateurs, voilà qui ne pouvait être pardonné au cinéaste, en dépit de ses protestations d'objectivité.
Même si les récations soulevées par Lacombe Lucien ne furent pas le principal motif de l'exil américain du cinéaste, il n'en reste pas moins que c'est à partir de ce film qu'il renonça à faire carrière en France.
Louis Malle a connu lui-même, enfant, les aléas de la France occupée. Issu d'une riche famille de producteurs de sucre du nord de la France, né le 30 octobre 1932, il fut évacué vers un collège des Carmes de Fontainebleau, où des enfants juifs dont les parents étaient morts ou avaient été déportés avaient trouvé refuge. Un jour, des soldats allemands envahirent l'établissement et, après avoir démis le directeur de ses fonctions et emmené les jeunes juifs, fermèrent le collège. Tout jeune donc, Louis Malle fut marqué par le spectacle de la violence, de même qu'il allait l'être, peu après, par les résistants qu'il côtoya alors qu'il s'était réfugié dans le centre de la France."
                                                          Le Cinéma français.1960-1985 sous la direction de Philippe de Comes et Michel Marmin 
                                                          avec la collaboration de Jean Arnoulx et Guy Braucourt. Paris: Editions Atlas, 1985. p. 47.

La réception du film et le thème de l’Occupation au cinéma
[...] La polémique suscitée par le film accuse son originalité dans un paysage cinématographique globalement marqué par ce que Jacques Siclier nomme le « mythe d’une France presque unanimement résistante ». Dans le chapitre XVI de La France de Pétain et son cinéma, Jacques Siclier s’attache en effet à montrer comment le cinéma, dès l’après-guerre et jusqu’à nos jours, a contribué à façonner le mythe de l’élan national, en occultant souvent la description de la France de Pétain, au profit du récit des épisodes glorieux de la Résistance. La mémoire de ces actes de résistance, dont l’exemplarité force le respect, est bien sûr extrêmement utile ; et nombreux sont les films remarquables qui ont pour sujet la Résistance (citons par exemple L’Armée des ombres, 1969, de Jean-Pierre Melville). Reste que le cinéma français a souvent eu du mal à évoquer la période de l’Occupation et de la collaboration, soit qu’il en reste à l’évocation édifiante des héros (par exemple un film comme Paris brûle-t-il ? (1966), de René Clément, superproduction à la gloire de la Libération de Paris) ; soit qu’il se complaise dans ce que Siclier nomme la « comédie lourdement burlesque ». Un des exemples mentionné est Mais où est donc passée la septième compagnie ? (1973), une comédie de Robert Lamoureux où les nazis sont tournés en ridicule et où l’on vante « la débrouillardise du Français moyen ». Pour éluder la réalité de la collaboration de l’État, des formes de censures ont même existé : ainsi Alain Resnais a-t-il dû recouvrir de gouache le képi d’un gendarme français qui apparaissait dans un plan de Nuit et Brouillard (1955) – un plan où l’on montrait le camp de « rassemblement » de Pithiviers. Des pressions ont également été exercées pour relativiser l’évocation amère de la vie des Français et de la lâcheté ordinaire sous l’Occupation : c’est ainsi qu’une fin « heureuse » (d’ailleurs très artificielle) a été imposée à Claude Autant-Lara pour son film La Traversée de Paris (1956). Le Chagrin et la Pitié (1971) marque un tournant important dans la remise en question du mythe de l’élan national. Ce film de Marcel Ophuls, qui mêle entretiens et documents historiques, évoque directement et frontalement la période de l’Occupation en se focalisant sur l’exemple d’une ville, Clermont-Ferrand. Mais là encore, le film a bien failli souffrir d’une forme de censure très pernicieuse, dans la mesure où l’ORTF a refusé sa diffusion. Il n’a pu être vu du public français que grâce à une diffusion en salles, à laquelle Louis Malle a d’ailleurs collaboré, en tant que distributeur.
                                                                                                                                                                      [reseau-canope.fr]

On trouvera en attaché deux fichiers téléchargeables: un travail intéressant sur le film proposé par le cndp et l'article de Pauline Kael sur le film, article paru dans le New Yorker en 1974.

Le Cyclone à la Jamaïque

Mercredi 2 décembre 2015 à 20h

Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " Quitter l'enfance? "

Cyclone à la Jamaïque / Wing in Jamaïca

Alexander Mackendrick (USA - 1965)

« Cyclone à la Jamaïque, c’est l’hommage du cinéma à Stevenson et à Daniel Defoe, la concrétisation de nos rêves hantés par les cocotiers et les brigands à la jambe de bois, l’éblouissante illustration du cimetière marin, l’irrésistible envie de s’endormir au creux de la vague, de s’y laisser voguer à travers vent et marée. Et les couleurs qui évoquent la chaude palette du Moonfleet de Fritz Lang, la figure de proue retournée qui ressemble à une tête de mort, la terreur d’un cuisinier chinois superstitieux… toute la grande symphonie de l’aventure, lyrique, romantique, éperdue, beuglée à pleine poitrine avec, pour refrain, le bruit du ressac et le cri du guetteur. 
                                                                                                                      Nouvelles littéraires, 29  juillet 1965.

C'est un chef-d’œuvre secret du cinéma, dont les admirateurs énoncent le titre comme un mot de passe. Echec public à sa sortie ce film n’a jamais vraiment eu droit à une seconde chance malgré une édition tardive en DVD. C’est bien dommage car il n’a pas beaucoup d’équivalents dans la production cinématographique des années 60.
Cyclone à la Jamaïque (A High Wind in Jamaica, 1965) est sans doute l’un des plus beaux titres de l’histoire du cinéma anglais et du cinéma d’aventures, et bien plus que cela. Sa beauté réside dans son étrangeté, son ambigüité, sa poésie élégiaque et ses bouleversantes ruptures de tons. Ce qui aurait pu être un banal film de pirates destiné au jeune public devient grâce au talent de Mackendrick (qui signe ici son meilleur film avec Le Grand Chantage récemment ressorti sur les écrans français) et ses scénaristes Stanley Mann et Ronald Hartwood un conte initiatique fiévreux et sensuel où la mort rode et que l’on peut sans exagération comparer aux Contrebandiers de Moonfleet et à La Nuit du chasseur.
                                                                                                                                                    Olivier Père.

Au XIXe siècle, les enfants d'un planteur anglais sont capturés par un pirate qui les prend sous sa protection. Avec Cyclone à la Jamaïque, Alexander Mackendrick prouvait qu'il était aussi doué pour le film d'aventures que pour la comédie satirique (L'Homme au complet blanc) ou le polar très noir (Le Grand Chantage).
Trois raisons de redécouvrir ce film rare.
1. Un film d'aventures original. Après l'impressionnante séquence de tempête inaugurale, où l'effroi n'exclut pas l'humour, presque toute l'action se déroule en mer. Les scènes d'abordage, délibérément anti-spectaculaires, importent moins que les moments de calme : Mackendrick raconte le quotidien des flibustiers et de leurs prisonniers avec un sens du détail et une ironie dignes de Stevenson.
2. Une vision juste de l'enfance. « Un enfant [...] n'a pas encore eu le temps d'être corrompu, expliquait Mackendrick. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas quelque chose de mauvais ou de diabolique en lui. » Le réalisateur décrit autant la puissance d'imagination des enfants que leur absence de morale. Deux points communs avec les pirates.
3. Le plus beau rôle d'Anthony Quinn. Acteur souvent monolithique, l'interprète de Zorba le Grec a su transcender son jeu pour incarner Chavez, le pirate débonnaire. Un personnage drôle et émouvant, mi-capitaine Crochet, mi-Popeye, qui a gardé son âme d'enfant.
                                                                                                     Samuel Douhaire, Télérama, 21 juillet 1965.

On trouvera, en fichiers téléchargeables, un dossier d'étude sur le film proposé par le CNC, ainsi que la fiche et l'affiche du film conçues par le Ciné-club de Grenoble.

L'Homme d'Aran

Mercredi 18 novembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec les "Rencontres Ethnologie et cinéma"
L'Homme d'Aran (Man of Aran)
Robert J. Flaherty (GB - 1934)

« Une histoire doit tirer sa substance de la vie d'un peuple entier et non des actes de quelques individus. »
Robert Flaherty

« L'homme aux prises avec la menace naturelle forme le plus puissant conflit du monde.
Dans mes films, je tente d' évoquer ce conflit dans la vie quotidienne des êtres,
en suivant 
une gradation dramatique, tout comme fait n'importe quel film. »
Robert Flaherty [in Film Weekly, cité par François Niney dans L'épreuve du réel à l'écran, éd. De Boeck/université]. 

Robert J. Flaherty
Flaherty fût un des plus grands cinéastes contemporrains qui transcenda totalement le genre dit "documentaire", ses films étant à la fois des témoignages précis et d'admirables poèmes. Il était né le 16 février 1884 à Iron Mountain (Michigan). Il entreprit quatre expéditions dans les régions sub-artiques de l'Est Canada, explora l'archipel Belcher Islands dans la Baie d'Hudson ainsi que le Nord de L'ungava (1910-16). Auteur de livres de voyages et de monographies, marié avec Frances Hubbard Flaherty - sa plus fidèle collaboratrice -, violoniste de talent épris de Corelli et de Mozart, il se révéla auteur de films avec le célèbre Nanouk présenté en 1922.
                                                                           Les Cahiers du cinéma, n° 4 (juillet-août 1951), p. 53.

Le documentaire parfait selon Robert Flaherty : "L'Homme d'Aran"
Robert Flaherty est généralement considéré comme le meilleur documentariste au monde. Et L'Homme d'Aran, tourné en 1934, est probablement son film le plus parfait. Flaherty a posé ses caméras sur trois petites îles rocailleuses, au large de l'Irlande. Il n'y a ni arbres, ni terre, juste des cailloux et des pierres. Pendant les tempêtes hivernales, les îles sont presque submergées. Le film décrit la lutte de l'homme d'Aran contre la mer. Un garçon attrape un crabe, quelques poules vont et viennent. Un mouton et un chien s'asoupisssent. La mère appelle son fils, ils vont ensemble accueillir le bateau à rames qui revient. Difficile de récupérer les filets parmi les vagues gigantesques.
La subsistance quotidienne, c'est la pomme de terre. Pour la faire pousser, la femme transporte des algues sur son dos. Il faut casser les pierres pour trouver un rien de terre. Depuis des milliers d'années, l'homme d'Aran trouve la terre dans les failles des rochers. Voici enfin la pêche traditionnelle du requin pèlerin, le plus gros poisson de l'Atlantique, peut-être même du monde. Les pêcheurs harponnent la bête: il faut deux longs jours de lutte pour en venir à bout. Bientôt, la graisse du requin servira à allumer les lampes. Dans un chaudron, on clarifie l'huile provenant du foie.
La mère et le fils attendent le retour des hommes. Les éléments rudes et majestueux dominent cette vie communautaire, où l'on se tient les coudes pour survivre. On peut juste imaginer le goût fabuleux des pommes de terre arrachées au désert.
                                                                                                              Louis Skorecki, Libération (20 mars 1995).

Du bord d’une falaise, un gamin jette une ligne à la mer, la laisse se dérouler, puis se place en position d’attente. Ses gestes sont appliqués. Pas comme ceux d’un acteur qui mime une action, mais comme ceux d’un enfant qui joue pour lui-même. Cette différence fait tout le prix de L’Homme d’Aran, faux documentaire et vrai grand film que Robert Flaherty réalisa de 1932 à 1934 sur Inishmore, la plus grande des trois îles qui forment l’archipel d’Aran, au large des côtes ouest de l’Irlande. Faux documentaire, parce que la famille dont il décrit l’existence n’est pas une vraie famille, que ses faits et gestes sont mimés pour la caméra, parce que si la tempête qui secoue la dernière séquence est, bien sûr, réelle, il y avait déjà longtemps que les habitants d’Aran avaient cessé de chasser le requin au harpon. Vrai grand film, parce que le combat de l’homme face à la nature a inspiré à Flaherty des images d’une beauté et d’un lyrisme renversants, et dont le modernisme demeure saisissant plus d’un demi-siècle après.
                                                                                                                                 Les Films du Paradoxe.

Peu de film, dans toute l'histoire du cinéma, auront comme L'Homme d'Aran, construit leur propre mythologie. Phare de haute mer, construction aux limites de l'art et de l'humanité, Man of Aran doit avant tout sa qualité de film mythologique à sa facture, sa gueule, sa définition biologique. Film mi-homme, mi-bête, mi-documentaire, mi-fiction, il ressemble comme deux gouttes d'eau à son sujet : c'est un film-île, âpre, salé, unique, solitaire, isolé et désolé. Lorsqu'il l'a tourné, entre 1932 et 1934, Robert Joseph Flaherty n'avait qu'un but, qu'une seule mission : peindre, étreindre, embrasser la vie d'un tout petit peuple de marins irlandais, aggrippés à un bout de terre rocailleuse perdue dans l'Atlantique. (…) Citadelle inexpugnable, L'Homme d'Aran est resté solitaire dans son génie, son hypothèse d'un cinéma documentaire tout en démiurgies et passions, sa prodigieuse hauteur ; c'est sans doute pourquoi il garde aujourd'hui entières ses vertus transfiguratives, intact son pouvoir d'émerveillement et si crue, si brutale, sa force d'émotion.
                                                                                                       Olivier Seguret, Libération (28 janvier 1995).

Note: On trouvera en fichier téléchargeable un très bel article d'Isabelle Le Corff [Revue LISA] sur L’Irlande et le documentaire à travers le parcours controversé de L’Homme d’Aran.

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Assurance sur la mort

Attention, la séance aura lieu exceptionnellement le Mardi
Mardi 10 novembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Billy Wilder"
Assurance sur la mort (Double Indemnity)
Billy Wilder (USA - 1944)

" La volonté de Wilder et de ses collaborateurs d'échapper au style "glamour" d'une partie
de la production hollywoodienne de l'époque porte la marque du "film noir"
dont
Assurance sur la mort sera vite l'un des classiques reconnus."
Patrick Brion, Le Film noir.
"I never heard that expression, film noir, when I made Double Indemnity... 
I just made pictures 
I would have liked to see. When I was lucky,
it coincided with the taste of the audience. 
With Double Indemnity, I was lucky."
Billy Wilder.

Billy Wilder et le Film noir.
Le réalisateur du film, Billy Wilder, est originaire de Vienne. Il est catalogué comme auteur de comédies bien qu'il ait écrit des récits policiers à Berlin avant son exil aux Etats-Unis. Il adapte le livre avec Raymond Chandler, un écrivain de roman noir qui signe ainsi son premier travail pour le cinéma. Le résultat de leur collaboration est récompensé par un Oscar, mais beaucoup de modifications ont été apportées au roman.
Wiler est responsable de sa structure en flash-back, de la voix off et d'une sophistication dans le sens d'un cauchemar éveillé. Il accentue aussi la description du plan criminel (presque) parfait et travaille à présenter le péché d'adultère et le caractère sensuel et cupide de la femme fatale de manière à briser les conventions du thriller traditionnel.
L'action y est racontée du point de vue des assassins, un parti pris qui sera une constante du film noir. Mais la morale reste sauve avec le châtiment des coupables, sauf que Wilder préfère couper les deux scènes finales qu'il avait pourtant tournées (procès et exécution de l'homme), effaçant ainsi une conclusion qui soulignait le triomphe de la loi et et de l'ordre.
L'ensemble est filmé dans un style marqué par les productions allemandes d'avant le nazisme et le réalisateur en donne la raison dans Conversations avec Billy Wilder:
"Je voulais du réalisme: il fallait que la situation et les personnages soit crédibles ou tout était perdu. J'ai insisté sur le noir et blanc, bien sûr. [...] On pourrait dire que 
Double Indemnity est inspiré par M de Fritz Lang (1931). [...] J'ai essayé de faire une oeuvre très réaliste - quelques petits effets, mais pas très voyants. M, c'est le style visuel du film. C'est un film qui ressemblait à une bande d'actualités. On n'avait pas l'impression qu'il était mis en scène. Mais, comme dans une bande d'actualités, on cherche à saisir un moment de vérité, et à l'exploiter."
                                           Noël Simsolo, Le Film Noir, Vrais et faux cauchemars, Cahiers du cinéma - Essais, 2005, p. 148-149.

"Elle l'embrasse pour qu'il tue."
Assurance sur la mort est un film important parce qu'il est réalisé par Billy Wilder et coécrit par Raymond Chandler, dont c'est le premier scénario. Il l'est aussi parce qu'il introduit un nouveau genre d'assassin et expose clairement une motivation jamais abordée franchement jusqu'ici. Le tueur n'est en effet plus un gangster, ni un professionnel. Ce n'est même pas quelqu'un poussé aux abois par la crise, la misère ou la jalousie. C'est un cadre moyen, qui pourrait être vous ou moi. Et sa motivation est le sexe; comme le montrait clairement l'affiche du film sur laquelle, au milieu d'une tache de sang, s'étalaient les mots: "Elle l'embrasse pour qu'il tue."
Le code Hays avait jeté l'interdit sur deux livres de Cain (Assurance sur la mort, Le facteur sonne toujours deux fois) pendant de nombreuses années. On comrend aisément pourquoi. Jamais le désir sexuel, qui trouve une espèce de sommet dans l'accomplissement du meurtre, n'avait été montré aussi crûment, loin de toute hypocrisie ou alibi sociologique quelconque. A l'aube de la victoire alliée, jamais le noir n'a été plus noir.
                                                                                             François Guérif, Le film noir américain, Denoël,1999, p. 114-115.

Bien qu'asservi et dissimulé par les nécessités d'un genre codifié, tout l'univers thématique de Billy Wilder est en place, annonciateur de la plupart de ses films suivants: la machination, l'appât du gain, le désir chronique d'ascension sociale, liés à l'attirance sexuelle, la tromperie des apparences... ici la séduction féminine, atout extérieur utilisé comme arme machiavélique par une Barbara Stanwyck inhabituellement blonde platine et affublée du nom de Dietrichson pour qui aurait des doutes sur son rôle de vamp fatale... Tout à cette thématique, Wilder nous prive délibérément de tout ressort spectaculaire, de tout suspence, livrant l'issue de l'action dès le début, par la confession de Neff qui déclare avoir finalement perdu et l'argent et la femme. En cela il rejoint Chandler, dont on a toujours dit l'indifférence autant à la clarté des intrigues qu'à le véracité psychologique des personnages. Il n'est qu'à voir, ou lire, Le grand sommeil (The big sleep) pour goûter au plaisir de ne rien comprendre à une histoire tortueuse et de s'extasier, par contre, sur tout le reste. Le reste, c'est-à-dire dans le cas présent, et entre autres, une mise en scène extrêment resserrée, avec très peu de plans larges, encastrée dans des décors clos et exigus (bureaux, chambres), jouant sur le dérisoire (les rencontres secrètes du couple meurtrier dans un supermarché) ou sur l'action hors-champs (le meurtre du mari dans la voiture, suggéré seulement par la présence de Neff, caché sur la banquette arrière, puis par un gros plan sur le visage de Phyllis, rayonnant de jouissance perverse au et à mesure que, hors cadre, s'éteint la vie de son cher - financièrement parlant- époux.

                                                                                                           Gilles Colpart, Billy Wilder, Filmo 4, Edilig, p. 52.

Les écrivains du noir
James M. Caine est l'auteur de Double Indemnity, d'où est tiré Assurance sur la mort. Raymond Chandler, autre grand auteur de la littérature hard-boiled américaine, en cosigne le scénario, avec le réalisateur du film, Billy Wilder. D'autres romans de Cain comme Le facteur sonne toujours deux fois (1934) ou Le Roman de Mildred Pierce (1941) furent adaptés au cinéma. [...]
Dans Assurance sur la mort (Double Indemnity), l'influence de l'ouvrage de Cain, centré sur la dérive sordide et morbide des rapports sentimentaux, est surtout évidente dans la description de Phyllis (Barbara Stanwyck). Dans le film, l'élément sexuel est plus voilé que dans le roman. Comme souvent dans le film noir classique, l'explication de cette "pudeur" tient à la censure. Walter Neff (Fred Mac Murray) est un assureur couleur passe muraille attiré par une dark lady. A propos des personnages de ses romans, Cain affirme dans l'introduction d'Assurance sur la mort: "Je ne fais aucun effort conscient pour être dûr, hard-boiled et tout ça, comme je suis habituellement étiqueté. J'essaye simplement d'écrire comme les personnages voudraient être écrits et ne jamais oublier que l'homme moyen, celui de la rue, du bar, du bureau, a acquis une clarté du langage qui dépasse tout ce que je pourrais inventer."
                                                                                                           Gabriele Lucci, Le film noir, Editions Hazan, 2007, p. 11.

Le suspence dans le film noir.
Même la certitude du pire n'est pas incompatible avec le suspence, qui joue alors d'une  temporalité tragique: dans les films noirs fondés sur des flash-backs, et dont le récit nous donne d'emblée l'issue, le suspence devient rétrospectif. Assurance sur la mort (Wilder, 1944), qui s'ouvre sur les aveux d'un homme déchu et blessé, révèle aussitôt l'argument criminel, le mobile du meurtre, l'identité du coupable et même son destin. Dès lors, la question ne porte plus sur un avenir inexistant mais sur le passé, l'engrenage d'un déchéance: comment cela  a-t-il pu arriver? A l'opposé de l'effet de surprise, c'est là encore le savoir du spectateur qui dramatise le récit.
                                                                                                  Serge Chauvin, Dictionnaire de la pensée du cinéma, Quadrige-PUF 2012, p. 672.

Note: On trouvera, en fichiers téléchargeables, deux études intéressantes (en Anglais) sur le film Double Indemnity.

La Garçonnière

Mercredi 4 novembre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle "Billy Wilder"
La Garçonnière (The Appartment)
Billy Wilder (USA - 1960) 
5 OSCARS DONT CELUI DU MEILLEUR RÉALISATEUR, DU MEILLEUR SCÉNARIO ET DU MEILLEUR FILM

Parmi les grandes comédies de Billy Wilder, La Garçonnière constitue un sommet à la fois délicieusement grinçant et extrêmement touchant. En décrivant le désarroi sentimental d’un homme soumis à ses chefs, le cinéaste livre une vision cynique des rapports hiérarchiques au sein du monde de l’entreprise. Hilarant, le génie burlesque de Jack Lemmon (Certains l’aiment chaud) se reflète avec gravité dans le regard déchirant de Shirley MacLaine (Irma la douce), elle-même courtisée par le pataud Fred MacMurray (Assurance sur la mort). La comédie d’amour se transmue en un mélodrame noir et délicat, porté par le lyrisme de la musique et du Cinémascope. Chef-d’œuvre au ton doux-amer, La Garçonnière est un classique du cinéma et demeure sans doute l’un des plus beaux films de Billy Wilder. 

La garçonnière est en un sens un prologement de Sept ans de réflexion. Tous les utilisateurs de l'appartement sont un peu des Richard Sherman qui, eux, à l'inverse de ce dernier, libèrent leurs fantasmes sans être pour autant moins hypocrites, bien au contraire puisque ce lieu n'a d'autre fonction que dissimulatrice. Et la perversion va plus loin, puisque la monnaie d'échange devient corruption, promesse de promotion pour l'employé Baxter. Sexe, argent, réussite, rapports de classes, tout s'enchaîne inéluctablement, dans un gigantesque réseau de compromissions. Le revers de la médaille, tel est bien ce que va dénicher le film en détruisant le vernis des apparences et en bafouant le mythique "rêve américain".
                                                                                                                 Gilles Colpart, Billy Wilder, Filmo 4, Edilig, p. 91.

L'école de Vienne
On aura reconnu là une vision commune à nombre de cinéastes hollywoodiens venus d'Europe centrale. En particulier de Vienne. Il y aurait  un article à écrire sur ce qu'on pourrait appeler "l'Ecole cinématographique de Vienne". Des Viennois d'origine, comme  Von Stroheim, Sternberg, Lang, Preminger, Ulmer ou Wilder et des gens qui, bien que nés dans d'autres lieux, ont eu une formation artistique viennoise, tels que Lubitsch ou Max Ophuls, ont tous en commun cette vision pessimiste du monde. On peut l'expliquer peut-être, et d'une façon superficielle, par le fait que leur enfance s'est déroulée dans une société en pleine décadence, qui s'effondra en 1920.
                                                                                 Jean Douchet, Les Cahiers du cinéma, n° 113 (novembre 1960), p. 58-59.

« Wilder Touch »
Même s’il continue à tourner en noir et blanc, il y a chez Wilder une intelligence du présent et du réel, comme en témoigne cette charge hilarante contre la télévision, vulgaire déversoir de spots publicitaires. Cette faculté d’observation naquit indéniablement dans ses jeunes années de journaliste à Vienne et à Berlin, où il se montrait capable d’écrire sur à peu près tout : sport, politique (et, à l’occasion d’un reportage sur la perception du fascisme italien par l’intelligentsia viennoise, de se faire mettre à la porte par Sigmund Freud en personne !), potins mondains ou musique, particulièrement le jazz. Cette intelligence est celle d’un esprit sans doute supérieurement vif et réactif, une donnée tout à fait palpable dans le livre d’entretien avec Cameron Crowe, alors que le cinéaste a plus de 90 ans. Il faut ajouter à cet aspect sa collaboration avec celui qui devint son scénariste et complice à la fin des années 1950, Izzy Diamond, auquel Wilder accorde la paternité du légendaire « Nobody is perfect ! » qui vient clore Certains l’aiment chaud. En de si bonnes mains, La Garçonnière présente un récit touffu mais parfaitement fluide, des personnages formidablement écrits. Et, évidemment, les brillants dialogues du duo ; quand Baxter demande à son supérieur de libérer son logement à 20 heures, ce dernier lui rétorque : « Ces choses-là n’ont pas des horaires comme les bus ! »
Arrivant après l’âge d’or de la comédie américaine des années 1930, Wilder a su en faire une synthèse mariant (en ajustant le curseur selon les films) la rythmique, la corporalité et l’outrance de la screwball comedy aux acquis de la comédie sophistiquée, en bon héritier d’Ernst Lubitsch, pour lequel il fut coscénariste de La Huitième Femme de Barbe-Bleue et Ninotchka, dans les deux cas avec Charles Brackett. Pour Ninotchka, alors que les deux scénaristes planchaient durement pour que l’on comprenne sans monologue ou d’interminables lignes de dialogue que la rigide bolchevique était gagnée par les charmes de Paris et du capital, Lubitsch intervint en disant : « On va faire une scène avec le chapeau. » En effet, en arrivant à Paris, Ninotchka tombe en arrêt devant une vitrine, désigne à ses trois condisciples un chapeau dont la forme extravagante (et phallique) annonce, selon elle, la fin de la civilisation capitaliste.
Un chapeau qui revient beaucoup plus tard dans le film ; Wilder explique la fameuse scène de "conversion" : « Elle chasse les trois commissaires de sa chambre, ferme sa porte, ouvre son placard, en sort le chapeau, se le met sur la tête et se regarde dans la glace. » Le cinéaste fut ainsi à la bonne école de la « Lubitsch Touch » : l’implicite, l’allusion (souvent plus graveleuse chez Wilder que Lubitsch) et un fétichisme lié aux objets.
S’il n’y a pas de « coup du chapeau » dans La Garçonnière, on y trouve un brillant « coup du miroir », objet par lequel transite la révélation que Fran est la maîtresse de Sheldrake. Pas une ligne, pas un mot, mais une formidable efficacité dramaturgique. Le miroir est brisé, de même que le film et Baxter.

                                                                                                                                                              Arnaud Hée [critikat.com]

7 ans de réflexion

Mercredi 21 octobre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Billy Wilder"
7 ans de réflexion (The Seven Years Inch)
Billy Wilder (USA - 1955)

Le trait d'esprit résume Wilder, dont les bons mots paraîssent innombrables dans la vie comme dans les films;
mais ses éclats humoristiques ne connaîssent pas seulement une forme verbale,
et ils n'ont rien de superficiels. 
Ils se manifestent volontiers de manière visuelles,
ils président à la construction narrrative, ils traduisent un caractère et incarnent 
à la fois, dans leur cynique virtuosité, une vision satirique et une humeur allègre.
Jean-Loup Passek (dir.), Dictionnaire du Cinéma (Larousse 2001), p. 823.

Billy Wilder est mort, en 2002, à l'âge de 96 ans.
« Personne n'est parfait !», célèbre réplique de Certains l'aiment chaud, est devenue une épitaphe gravée sur sa tombe à Los Angeles. Né en 1906, à Sucha, dans l'empire austro-hongrois, Samuel Wilder, (alias Billy à cause de l'admiration que sa mère portait à Buffalo Bill) fut contraint de fuir l'Europe à l'âge de 28 ans. Débarqué en 1934, à Hollywood, avec vingt dollars en poche et 100 mots d'anglais, ce juif viennois de souche mais berlinois de cœur s'imposera très vite comme l'un des plus grands scénaristes d'Hollywood. Insatiable dans son besoin d'autonomie créatrice, il deviendra même réalisateur puis producteur de ses propres films !
Longtemps considéré comme un génial touche-à-tout, alternant films noirs et comédies débridées, succès mondiaux et bides retentissants, Billy Wilder apparaît aujourd'hui comme l'auteur d'une œuvre parfaitement cohérente qui renouvelle les lois du genre et illumine par le rire la face très sombre de l'humanité.
« On n'écrit pas pour les étudiants de la fac de Harvard ! » Qu'il filme Audrey Hepburn en vierge effarouchée, Jack Lemmon et Tony Curtis travestis en femme ou Marlene Dietrich en nazie blanchie, Billy Wilder dynamite tous les faux-semblants au cœur même de l'usine à rêves d'Hollywood.
C'est là l'un des nombreux paradoxes de la « Wilder Touch ». Une façon unique de faire de la vie un inépuisable réservoir à scénario ! Wilder racontait souvent l'histoire de cet homme totalement désespéré qui rend visite à son psychanalyste : « Allez donc voir le spectacle du clown Grock, c'est l'être le plus comique au monde ! « Mais docteur, je suis Grock !».
                                                                                                  Présention d'une émission de France Culture, 29 juin 2010.

Billy Wilder à propos de " 7 ans de réflexion "
« C'est un film inexistant et je vais vous dire pourquoi. C'est un film inexistant parce que le film devrait être tourné aujourd'hui sans la moindre censure. Ce fut un film embarrassant à faire. A moins que le mari, demeuré seul à New York alors que sa femme et son fils sont partis pour l'été, n'ait une aventure avec la jeune fille, il n'y a rien. Mais vous ne pouviez pas le tourner ainsi à l'époque ; j'étais donc comme dans une camisole de force. Rien n'a fonctionné et la seule chose que je peux dire est que j'aurais aimé ne jamais avoir tourné le film ».

Puisque le champagne sied si bien à Billy Wilder, voici sans doute son film le plus pétillant, le plus délirant, avec Certains l'aiment chaud, tourné quatre ans plus tard. Un feu d'artifice Marilyn ; rien ni personne ne lui résiste, pas plus qu'au petit chaperon rouge de Tex Avery, qui rendit dingue plus d'un loup! L'évocation de Tex Avery, génie du cartoon, n'a d'ailleurs rien de fortuit, car Billy Wilder a bien des points en commun avec lui : les pieds-de-nez aux codes sociaux de morale tout comme ce perpétuel malin plaisir de la parodie, de la citation, du désamorçage en clin d'œil, comme ici les allusions au célèbre Tant qu'il y aura des hommes de Fred Zinnemann (lui aussi Viennois) ou la réplique de Tom Ewell désignant la « Fille» : « La fille dans la cuisine, c'est Marilyn Monroe ! » Et puis il y a, bien sûr, L'étrange créature du lac noir, film fantastique en relief de Jack Arnold, que vont voir Tom Ewell et Marilyn, celle-ci regrettant, à la sortie, que la créature en question n'emmène pas avec elle à la fin la jeune héroïne, Kay Lawrence/Julia Adams (regret anticipé que Tom Ewell s'en aille lui aussi à la fin ?). Ils font quelques pas, et c'est là qu'une bouche d'aération a la merveilleuse idée de faire voleter les plis de la jupe de Marilyn ! Image à jamais gravée au zénith du cinématographe, peut-être la plus célèbre de l'histoire du 7e Art ! 
                                                                                                                           Laurent Bigot [moncinemaamoi.over-blog.com].

La Vie Aquatique

 

Mercredi 14 octobre 2015 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle "Monstres marins"
La vie aquatique
(The Life Aquatic with Steve Zissou)
Wes Anderson (USA - 2004)

Toute la fantaisie du cinéma de Wes Anderson se retrouve dans cette comédie savoureusement décalée où Bill Murray interprète une sorte de Commandant Cousteau allumé, confronté à une mission difficile, voire dangereuse, tout en devant dénouer les fils d'une énigme familiale. L'humour est oblique, irrésistible de charme et d'absurde, dans ce film bien dans le style inimitable du réalisateur de La Famille Tenenbaum, The Darjeeling Limited et de Fantastic Mr. Fox.

Entretien avec le réalisateur
(...) Comment définiriez-vous votre humour ?
Il y a deux aspects : gags visuels et dialogues. Nous essayons toujours de trouver des réparties inattendues, décalées par rapport à la situation. Nous essayons aussi de développer des scènes très économes, offrant plusieurs niveaux de lecture. On dégrossit chaque séquence en concentrant les informations et les nuances par des moyens poétiques et en y mettant le plus d’imagination possible. Il y a dans le film une ironie caractéristique du New Yorker, le magazine pour lequel Noah travaille. J’ai toujours aimé ça, je le collectionne d’ailleurs. Souvent, nous reprenons des phrases que nous avons lues ou entendues à droite à gauche, en les plaçant dans un nouveau contexte.
L’une des difficultés pour vous n’est-elle pas le dosage entre réalisme et stylisation ?
On n’est pas obligé de faire des films de cette façon, on peut en effet choisir le réalisme pur ou l’irréalité absolue. En essayant de mélanger les genres, on prend le risque de ne pas être du tout compris. Des gens rejettent le film d’un bloc, pour d’autres c’est clair tout de suite. Pour moi, le plus important est que le spectateur se sente en empathie avec les personnages, tout le film repose là-dessus mais je veux aussi créer ce monde à part, décalé, et donc, hum... délicat (rire).
Fiche du cinéma Le France [www.abc-lefrance.com]

Les comédies de Wes Anderson se démarquent par la gravité des sujets abordés et leur tonalité dépressive. Il est toujours question de la difficulté à sortir de l'enfance et de la recherche obsessionnelle de filiation ou de paternité. Le style visuel est très marqué : couleurs vives, plans composés, costumes et accessoires clinquants. La musique, enfin, notamment la pop des années 60 et 70, souligne la portée sentimentale de ces comédies brillamment écrites. Alors qu’on dit qu'on va voir « le dernier Jim Carrey » comme si l'acteur était l’auteur du film, les films de Wes Anderson portent avant tout la marque de leur réalisateur.
Simon Gilardi, Les Cahiers du cinéma pour Lycéens au cinéma.

A la fois traversée des registres (héroïcocomique, didactique, mer- veilleux...) et périple sans boussole dans une aire difficilement mesurable (de Port-au-Patois aux îles Ping), le film s’affole, ne sait plus s’il va vite ou lentement mais ne s’épuise pas. Le cinéaste joue avec brio de la possibilité d’une ample forme aventurière (hélicoptères, sous-marins, attaque de pirates, abordage d’îles exotiques...), qu’il fait claquer au vent avant de la rétrécir violemment au lavage. Les tempêtes mythologiques tournoient dans un verre d’eau, les marins sont des Playmobil humains dans la coupe transversale du bateau-termitière, l’océan grouille d’amphibiens de fantaisie (dauphins albinos, crabe-berlingot, raies roses...), les balles sont (peut-être !) tirées à blanc.
La bande-son accentue cette dérision quand elle emboutit le lyrisme pur des seventies de David Bowie (Life on Mars, Queen Bitch...) et l’électro-pop naine du thème de Zissou. 
Wes Anderson sait habilement naviguer dans le creux des vagues, ayant l’air de ne pas y toucher, de faire au plus simple (caméra à l’épaule, zoom), avant de crever l’écran de superbes travellings latéraux et de mises en place incroyablement sophistiquées. Logique de l’écart qui crée l’émotion et la drôlerie comme chez JD Salinger, l’une des références massives du cinéaste, dont chaque film renvoie secrètement à l’auteur de Franny et Zooey. Très salingérien par exemple, ce coquillage enfilé dans un fil dentaire mentholé qu’Owen Wilson offre à Cate Blanchet.
La netteté des contours du moindre détail dans le décor (telle cette photo de Jacques Henri Lartigue visible dans trois plans) oblige le spectateur, dans un même mouvement, à se concentrer un maximum et à se perdre sans regret. La sympathie qu’on ressent pour les personnages s’accentue d’autant qu’on devient comme eux, énergumènes, tous attachés à une idée fixe mais incapables de la suivre jusqu’à son terme, emportés par la distraction, les vents contraires, le Campari et l’incohérence échevelée du projet. (...)
Didier Péron [Libération, 9 mars 2005].

On trouvera en attaché la fiche du cinéma Le France, ainsi qu'un article de J.B. Thoret sur le cinéma de Wes Anderson.

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