Krishna

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Le 20/12/2017 L'Homme de Rio

Mercredi 20 décembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Pour finir 2017 dans la joie

L'homme de Rio

Philippe de Broca (France/Italie, 1964 - 110 mn)

« C'est un film sur le plaisir. Sur le fait qu'on peut se laisser emporter par une aventure. On tombe amoureux, et on part au bout du monde.» (Cédric Klapisch).

L’Homme de Rio (1964) est un classique inégalé du cinéma d’aventures français. Philippe de Broca lui-même nous offrit de beaux moments de cinéma de divertissement avec Cartouche ou Le Magnifique, mais il ne fit jamais mieux entouré d’une fidèle et belle équipe : Daniel Boulanger aux dialogues, Jean-Paul Rappeneau au scénario, Georges Delerue à la musique, et bien sûr Jean-Paul Belmondo en héros casse-cou, bondissant et sympathique. L’Homme de Rio est l’équivalent cinématographique des aventures de Tintin signées Hergé : ligne claire de la mise en scène et de la photographie, qui magnifient les décors naturels et urbains du Brésil, entre favélas colorées, jungle luxuriante et architecture moderne et monumentale de Brasilia ; péripéties, poursuites et action non stop, qui trimbalent notre héros de Paris à Rio à la recherche de sa fiancée enlevée par de mystérieux individus ; McGuffin (un vol d’objets archéologiques précieux) prétexte à une intrigue de sérial avec des cascades et des méchants dignes des meilleurs James Bond (Adolfo Celi reprendra du service un an plus tard dans Opération Tonnerre) ; personnage féminin aussi horripilant qu’irrésistible (la belle Françoise Dorléac) qui renvoie autant à une misogynie très Nouvelle Vague (de Broca fut longtemps considéré comme le pendant commercial des films de Godard, Chabrol et Truffaut) qu’aux ingénues excentriques de la « screwball comedy » hollywoodienne. Ce va-et-vient entre dandysme germanopratin et hommage au cinéma américain, série B et bande dessinée, virtuosité et vocation populaire ne va pas vraiment connaître de postérité en France ailleurs que dans les autres films de de Broca, hélas moins réussis que L’Homme de Rio, comme Les Tribulations d’un Chinois en Chine ou Le Magnifique. En revanche, un jeune cinéaste nommé Spielberg se souviendra de L’Homme de Rio en réalisant presque vingt ans plus tard Les Aventuriers de l’Arche perdue, qui lui emprunte certains épisodes, eux-mêmes inspirés par les serials américains des années 40. Aller-retour transatlantique Hollywood-Paris-Hollywood, comme celui de Tuttle-Melville-Tarantino à propos du film noir. Sauf que L’Homme de Rio est beaucoup plus gracieux, virevoltant et amusant que le premier épisode des aventures d’Indiana Jones, et que chaque nouvelle vision, surtout dans cette restauration numérique, est source de plaisir de d’enchantement. [Olivier Pere, 29 mai 2013 (arte.tv]

Il faut le dire une bonne fois pour toutes : L'Homme de Rio est le meilleur film d'aventures-divertissement-populaire-comédie-d'action jamais produit par le cinéma français. Un bijou, une merveille. On exagère ? Certes non. Le film ne serait pas ce qu'il est sans la fougue juvénile de Belmondo, ­ héros idéal de cette BD qui voyage de Paris à Rio pour s'achever dans la forêt amazonienne. Mais Bébel ne serait pas non plus ce héros à la fois familier et athlétique si Françoise Dorléac — kidnappée par d'odieux trafiquants — ne lui imposait pas ce copieux programme de prouesses. ­ Laquelle Françoise Dorléac est résolument irrésistible.
Mais, rendons à César ce qui lui appartient, ces deux personnages ne seraient pas si séduisants, et si élégamment placés dans des situations rebondissantes, si les quatre auteurs du scénario ne s'étaient pris le chou pour accoucher d'une histoire jubilatoirement abracadabrante et tintinophile. Histoire qui profite de la verve exceptionnelle de Philippe de Broca qui, ici, égale quelques-uns des maîtres hollywoodiens... Comme parfois dans ces cas-là, rarissimes, le film est encore supérieur à la somme de ces savoir-faire. — Aurélien Ferenczi [Télérama, 30 mars 2013]

En attendant de nous retrouver Mercredi 10 janvier 2018 à 20h,
avec au programme Le Faucon maltais ( John Huston, 1941),

Toute l'équipe du Ciné-Club de Grenoble vous souhaite une
TRÈS BELLE ANNÉE 2018 

 

Le 13/12/2017 La Vie de O'Haru, femme galante

Mercredi 13 décembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " Femmes d'Asie " (3/3)

La vie de O'Haru, femme galante
Saikaku ichidai onna

Kenji Mizoguchi (Japon, 1952 - 130 mn)

« Kenji Mizoguchi est au cinéma ce que Jean-Sébastien Bach est à la musique,
Cervantes à la littérature, Shakespeare au théâtre, Titien à la peinture, le plus grand
. »
« La critique se trouve désarmée devant une telle évidence de la perfection
(Jean Douchet).

On pourrait encore parler longuement d’un tel chef-d’œuvre. On pourrait essayer de parler de l’esthétique si forte et si puissante de Mizoguchi, qui est probablement le cinéaste qui parvient à tirer le plus de force de sa mise en scène. Cette force tirée de la mise en scène avant tout se ressent, ensuite s’explique. Pas la peine d’être un cinéaste confirmé pour ressentir toute la puissance de la mise en scène de Mizoguchi, qui provient de la perfection de tous les cadrages, de la « force tranquille » des mouvements de caméras, de l’utilisation de l’espace et des jeux de lumières resplendissants. On pourrait essayer également de convaincre que l’histoire d’O’Haru est sans nul doute la plus forte que Mizoguchi nous ait contée.
O’Haru n’est pas un résumé des personnages de Mizoguchi, car chacun de ses personnages est différent des autres. Quoi qu’il en soit, il est très difficile de ne pas être ému par son tragique destin. Finalement, on a bien le droit à un mélodrame. Mais un mélodrame bien différent de ce qui peut se faire à l’époque au Japon. Tous les films de Mizoguchi sont en fait plus ou moins des mélodrames. Et tous ses films, sans exception, recèlent une force extraordinaire. Seul un Ozu, au Japon, aura réussi l’exploit, toutes époques confondues, d’être aussi constant (dans un style très différent, attention).
On pourrait effectuer une comparaison frappante : Kurosawa, considéré par d’aucuns comme le plus grand cinéaste japonais, s’est lui aussi essayé au mélodrame. Sa plus belle réussite, incontestablement, est Vivre (1952, l’année même de La Vie d’O’Haru, femme galante) ; L’Idiot, dans son genre, n’est pas mal non plus, quoi qu’il souffre de quelques longueurs. Cependant, Kurosawa cède dans quelques uns de ses films à des élans mélodramatiques assez pathétiques : le meilleur exemple en est Le Duel silencieux ; la tendance à la « mélodramatisation » exacerbée est également présente dans Scandale (film qui par ailleurs possède de très bonnes qualités). Là où Mizoguchi nous livre des mélodrames froids et implacables, animés d’une forte quasi transcendante, Kurosawa nous pond des mélos indigestes accumulant pas mal de clichés inhérents au genre.
Reste, pour conclure définitivement, que La Vie d’O’Haru, femme galante a pleinement participé à faire connaître le cinéma japonais en Occident. En 1951, le fabuleux Rashomon (Kurosawa) obtient le Lion d’or au festival de Venise. L’année suivante, c’est au tour du film de Mizoguchi d’être récompensé par un Lion d’argent (qui reste tout de même une insulte !). Pour finir, une petite anecdote : peu après le festival, un critique occidental dit à Mizoguchi, avec beaucoup d’enthousiasme, qu’il est l’égal de…William Wyler. Mizoguchi va voir un film de ce cinéaste (qu’il ne connaissait pas avant que le critique lui en parle). Il dira peu après « Eh bien, je n’ai rien à craindre »…
[Kim Berdot (iletaitunefoislecinema.com)]

 

 

Le 6/12/2017 Charulata

Mercredi 6 décembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " Femmes d'Asie " (2/3)

Charulata

Satyajit Ray (Inde, 1964 - 117 mn)

xxxx

En quoi les émois d’une épouse délaissée tentée par l’écriture et l’adultère dans le Bengale de la fin du XIXème siècle peuvent-ils nous toucher en plein cœur ? Il suffit de regarder « Charulata », un des chefs d’œuvre de Satyajit Ray, pour tomber sous le charme. Le film, réalisé en 1964, nous livre le portrait subtil d’une femme en quête d’émancipation et la radiographie du mouvement des âmes dans le huis clos d’une maison, microcosme du monde. Le maître du cinéma d’auteur indien, amoureux de Jean Renoir et admirateur des néo-réalistes italiens, a été longtemps à lui seul un « continent » dans son propre pays, du fait du caractère protéiforme de son œuvre, avant de connaître la reconnaissance nationale et la notoriété internationale. Aujourd’hui, « Charulata », que son auteur lui-même considérait comme son plus beau film, nous revient, dans l’absolue modernité de son sujet et de sa forme. 
Une mise en scène dans la pénombre des âmes
Ecrivain, scénariste, compositeur, Satyajit Ray, en véritable « homme-orchestre » sait ce que le cinéma doit aux autres arts : la littérature, la musique et la danse. Il sait aussi ce qu’il doit aux cinéastes qu’il a aimés : Jean Renoir, qu’il assista un temps sur le tournage du « Fleuve », aux environs de Calcutta, sa ville natale, Vittorio de Sica pour « Le voleur de bicyclette », dont la vision dans une salle à Londres fut déterminante. Il partage, en effet, avec les cinéastes européens, les néo-réalistes en particulier, ce regard humaniste, cette infinie attention aux êtres et à leurs aventures intérieures, que l’on retrouve dans « Charulata ».
Ici le visage de l’héroïne, tantôt saisi en gros plans fixes, tantôt en plans plus larges et mouvants, s’apparente à une plaque sensible dont la caméra capte les moindres frémissements, dont la musique, composée par Ray lui-même, transcende les sentiments à travers la variété thématique et la tonalité dominante. Pour donner à voir la perception du temps et la durée d’une transformation en profondeur, -la marche lente d’une femme à la découverte d’elle-même et l’effritement irréversible d’un couple-, le cinéaste invente sans cesse des mouvements d’appareil audacieux - travellings, zooms et superpositions de plans fixes- en une sorte d’harmonie imitative des états successifs de la conscience. L’évolution des lumières à l’intérieur de la demeure, ses variations du noir et blanc contrasté et chatoyant aux clair-obscur prégnants, crée ainsi une atmosphère de désenchantement qui gagne. Et le visage de Charulata en larmes, terrassée par le départ d’Amal, penchant sa tête en bordure du lit, fait revenir l’image d’un autre visage, celui d’Henriette, juste après le baiser du séducteur dans « Une partie de campagne » de Jean Renoir : des lèvres entrouvertes, un regard douloureux qui se déplace vers un ailleurs et l’humidité de la joue sous la paupière perlée de larmes. [Samra Bonvoisin (cafepedagogique.net, 09 avril 2014].)]

 

 

Le 29/11/2017 La Servante

Mercredi 29 novembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " Femmes d'Asie " (2/3)

La servante / Hanyoe

Kim Ki-young (Corée du Sud 1960 - 102 mn)

Le film est à l'Asie ce que Psychose est à l'Occident : la pierre fondatrice du cinéma d'épouvante.»

En voyant La Servante, qui ressort le 15 août en France, on se rend compte qu’on n’est plus très souvent choqué au cinéma. Il faut un film coréen vieux de plus d’un demi-siècle pour sortir de l’accoutumance à la violence, à la trahison, à la débauche qui s’est emparée du spectateur. La Servante a été tourné en 1960, est sorti en 1961, pendant la seule année de liberté d’expression que la Corée du Sud ait connue entre sa fondation en 1948 et les élections libres de 1987.
La nécessité d’exprimer tout ce qui avait été refoulé pendant la guerre et la dictature explique sans doute en partie l’incroyable violence du film. Celle-ci tient aussi au caractère provocateur de son réalisateur, Kim Ki-young, oublié pendant une décennie avant de devenir, au tournant du siècle, la figure tutélaire du nouveau cinéma coréen, juste avant sa mort dans l’incendie de sa maison, en 1998.
Les raisons importent finalement moins que le résultat. La Servante, c’est cent dix minutes de concentré de désir destructeur, de haine de classe, de perversité, une image saisissante d’une société ravagée par la violence. Sans vouloir se risquer à la psychanalyse de toute une nation, les séquelles de la guerre ne sont pas étrangères au climat délétère qui règne de bout en bout.[...]
Un mélange de grâce et de voyeurisme
L’irruption de cette créature étrange, fantasque, primitive, détruit en quelques semaines l’harmonie du foyer en un crescendo de transgressions qui ira jusqu’à l’horreur. Il ne faut pas se leurrer, La Servante relève en partie de ce genre, l’horreur, suscitant un plaisir pervers né du spectacle du dérèglement violent de la norme sociale et morale.
C’est aussi, et surtout, un film d’une immense beauté formelle. L’aisance avec laquelle Kim Ki-young installe son histoire dans une société qui plonge dans la modernité (les séquences à l’intérieur du chaebol, où les ouvrières compensent la contrainte par le libertinage) laisse bientôt la place au huis clos familial, dans lequel la caméra s’insinue avec un mélange proprement terrifiant de grâce et de voyeurisme. [...]
En 1997, une première rétrospective de son œuvre est organisée au Festival de Busan, et l’année suivante, la Berlinale lui rend hommage. En 2006, c’est la Cinémathèque française qui lui consacre une rétrospective.
Ce retour en grâce a pour promoteurs les jeunes cinéastes coréens, au premier rang desquels Im Sang-soo. Celui-ci réalise en 2010 un remake de La Servante, The Housemaid, présenté en compétition au Festival de Cannes. La comparaison entre l’original de Kim Ki-young et le film d’Im Sang-soo est passionnante. Si la trame du récit reste la même – l’irruption d’une créature étrangère dans une famille –, le milieu dépeint n’est plus la petite bourgeoisie mais le monde des très riches. Là où le père de famille de 1962 tapait laborieusement sur un piano droit pour gagner sa vie, le jeune et beau patriarche de 2010 joue en virtuose sur un instrument à queue. Manque cependant à cette variation la vigueur féroce de l’original. 
[Thomas Sotinel, Le Monde, 14 août 2012]

 

Le 22/11/2017 Stalker

Mercredi 22 novembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " URSS et RUSSIE " (3/3)

Stalker

Andreï Tarkovski (URSS, 1979 - 161 mn)

« Il [AT] est le plus grand, parce qu’il se promène dans l’espace des rêves sans rien à expliquer. » (Ingmar  Bergman).
« Le film devrait être pour l’auteur et pour le spectateur un acte purificateur. » (Andrï Tarkovski).

Il réapprend la lenteur
Stalker est un film à suspense, mais c’est tout sauf un film d’action. Une œuvre énigmatique dès le départ, qui prend son temps pour avancer, tout comme le Stalker et ses acolytes, qui n’emploient jamais la ligne droite (“Trop dangereux !”). Non seulement le film est lent, mais les personnages font de longues haltes au cours desquelles ils somnolent et débattent de sujets philosophiques ou éthiques.
Si on a célébré les vertus de la slow food, par opposition au fast food, on peut aussi réapprendre la lenteur grâce à Tarkovski. Son cinéma nous permet de regarder et de sentir en toute liberté, sans avoir à se soucier d’une quelconque finalité, en oubliant toute précipitation. La quête des héros de Stalker est tout simplement le sens de la vie. Ils s’attendent à sortir de leur misérable condition humaine grâce à cette expérience indicible. Donc, aucune raison pour se presser.
Il réinsuffle la croyance dans le cinéma
Toute l’histoire repose sur des postulats, des affirmations du Stalker, conteur dans le conte. Tout tient sur sa parole, sur son affirmation que la chambre exauce les désirs les plus fous. Le Stalker prétend également que si l’on ne suit pas ses procédures, on risque sa vie. De toutes ces affirmations et avertissements, rien ne sera confirmé ni infirmé. Un des protagonistes en fait d’ailleurs la remarque à un moment, se demandant si tout cela n’est pas un bluff. D’où la beauté du film, qui fait vibrer et frémir au diapason des personnages, mais sans jamais fournir aucune preuve que toute cette inquiétude soit fondée.
Aucun indice, aucune manifestation surnaturelle, à part les pouvoirs télékinésiques de la fille du Stalker – périphériques au récit. Malgré cela on est tenu en haleine de bout en bout. A chaque détour du chemin, on se demande ce qui va survenir. En cela, le Stalker, joué par le très habité Alexandre Kaïdanovski, est fort convaincant. Le film agit sur nous et nous change. Le film c’est la Zone, la Zone c’est le film : un écrin fermé et intime où tout semble possible et imaginable. [Vincent Ostria (Les Inrocks, 10 juin 2016)]

Le 15/11/2017 Ballade du soldat

Mercredi 15 novembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " URSS et RUSSIE " (2/3)

La Ballade du soldat

Grigori Tchoukhraï (URSS, 1959 - 92 mn)

Tchoukhraï fait parti des cinéastes du « dégel », cette période correspondant aux années où Khrouchtchev était au pouvoir en URSS (1955-1964) durant laquelle furent à nouveau autorisés les points de vue individuels dans les oeuvres d’art après le totalitarisme stalinien (dès 1964, la glace se reforma – la période stalinienne avait laissé trop de secrets lourds à porter et de massacres inavouables  – pour ne se rouvrir qu’à la faveur de la Perestroïka de Gorbatchev). Au moment de l’obtention de son visa cinématographique, La Ballade du Soldat eut maille à partir avec quelques tristes sirs qui trouvèrent notamment à redire devant cette scène où l’on voit un adjudant donner généreusement les deux uniques savons d’un bataillon à Aliocha (mais alors, le bataillon est-il condamné à devenir sale ? On a envie d’en rire, mais sans doute que Tchoukhraï avait plutôt envie d’en pleurer). Le film ne sortit donc que dans un circuit parallèle en URSS avant de rencontrer plus tard un succès aussi retentissant qu’inattendu. Qu’un tel film, qui donne une image aussi fière et (certainement) idéalisée des soldats soviétiques, ait pu rencontrer des difficultés avec la censure, voilà qui donne une idée du caractère relatif du dégel soviétique du temps de Khrouchtchev.[https://newstrum.wordpress.com/2017/02/04/la-ballade-du-soldat-de-grigori-tchoukhrai-eloge-de-la-fidelite/]

« La Ballade du soldat est un film d'une grande sensibilité (...). La compassion pour le destin des individus s'exprime ici dans sa plénitude et l'on est bien loin des discours officiels sur les héros. C'est la guerre qui est la véritable ennemie, car elle tue tout ce qui est humain (...) », écrit Jean-Marie Carzou. « (...) Tchoukhraï n'a pas éprouvé le besoin de broder des fioritures sur ce qu'il ressentait fortement. (...) Dans l'ensemble, secondé par les admirables "gris" de son opérateur, il se borne à faire surgir la poésie des êtres et des paysages. (...) On pourrait multiplier les exemples de cette magie visuelle qui naît de la chaleur du sentiment éprouvé et non du tarabiscotage formel. »
« J'ai été soldat. C'est comme soldat que j'ai parcouru le chemin de Stalingrad à Vienne. En route, j'ai laissé beaucoup de camarades qui m'étaient chers. (...) Ce que nous avons voulu montrer, Valentin Ezhov et moi, ce n'est pas comment notre héros a fait la guerre, mais quelle sorte d'homme il était, pourquoi il s'est battu. Renonçant aux scènes de bataille (...) nous avons cherché un sujet qui flétrit la guerre. (...) Ce garçon (le jeune soldat Alecha) pouvait devenir un bon père de famille, un mari affectueux, un ingénieur ou un savant, il pouvait cultiver le blé ou des jardins. La guerre ne l'a pas permis. Il n'est pas revenu. Combien d'autres ne sont pas revenus ! »
(Grigori Tchoukhraï, propos reproduits dans Le cinéma russe et soviétique, L'Équerre, Centre Georges-Pompidou, 1981).
[http://la-loupe.over-blog.net/2014/10/la-ballade-du-soldat.html]

 

 

 

Le 8/11/2017 Octobre

Mercredi 8 novembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " URSS et RUSSIE " (1/3)

Octobre

Serguï Eisenstein (URSS, 1927 - 80 mn)

"La révolution m’a donné ce que j’ai de plus cher dans la vie ; elle a fait de moi un artiste, et si la révolution m’a conduit à l’art, l’art, à son tour, m’a entraîné tout entier dans la révolution. Notre art doit être fondé sur le communisme." [d’après les Mémoires d’Eisenstein].
" L’importance du cinéma soviétique est très grande – et pas seulement chez nous. A l’étranger, il n’existe que peu de livres avec un contenu communiste. Mais on y regarde nos films avec attention et chacun peut les comprendre. Vous autres cinéastes n’avez aucune idée de la responsabilité qui repose entre vos mains. Considérez avec la plus grande attention chaque parole, chaque action de vos héros."
[citation de Gregori Alexandrov, l’assistant réalisateur d’Octobre, rapportant des propos prêtés à Staline en 1929].

Fin octobre 1917, Lénine et les bolcheviks déclenchent la révolution armée contre la démocratie bourgeoise de Kerenski... Film de commande pour le dixième anniversaire de cette révolution, Octobre se fit dans la fièvre de l'inspiration, les nuits sans sommeil (avec, parfois, onze mille ouvriers, soldats et habitants de Leningrad réunis pour la figuration sur la place du palais d'Hiver) et une atmosphère de tension extrême. Luttant contre le temps, harassé, surexcité, Eisenstein réalisa une oeuvre de visionnaire, certes moins maîtrisée dans son langage filmique que Le Cuirassé Potemkine, mais emportée par un paroxysme lyrique, des métaphores inattendues, une liberté artistique (expérimentale) qui déconcerta, d'ailleurs, les spectateurs soviétiques lors de la sortie, en 1928.
Malgré ses efforts, Eisenstein n'avait pu terminer Octobre à temps. Trotski ayant été éliminé par Staline, il avait reçu l'ordre de supprimer les scènes où apparaissait celui qui était désormais considéré comme « traître ». C'est seulement en 1966 que cette surprenante fresque d'un génie de l'art muet fut présentée au grand public, à Paris, dans sa version intégrale.
[Jacques Siclier (Télérama, 11 février 2012)]

Le 7/11/2017 Pour en finir avec Benoit Grimalt

Attention: séance exceptionnelle le MARDI

Mardi 7 novembre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

En partenariat avec "Sensation Fraîcheur"

POUR EN FINIR AVEC BENOIT GRIMALT

BENOIT GRIMALT
Né en 1975, l’artiste Benoît Grimalt obtient son diplôme à l’école des Gobelins en 1998. Dès les années 2000, il commence à travailler à son compte et couvre deux éditions du Festival de Cannes pour le magazine Zurban. C’est là qu’il manque, en 2005, de photographier Penelope Cruz dans un hôtel. Il garde en mémoire la scène et décide de la restituer par un croquis. Dans sa série 16 photos que je n’ai pas prises il représente par le trait de ses crayons les images qu’il n’a pas pu prendre en tant que photographe. Alors que son approche s’amuse de la question fondamentale en photographie de « l’instant présent » et joue du rôle de la mémoire dans la restitution des événements, Grimalt réunit avec une impertinence enfantine deux genres artistiques que tout semble à priori opposer : le dessin et la photographie.

Retour à Genoa City - 2017 - 29 min : "Mémé et son frère Tonton Thomas regardent le même feuilleton, Les Feux de l'Amour, tous les jours à la même heure, depuis 1989. Vingt ans après mon départ de Nice, je reviens les voir pour qu’ils me racontent les 3527 épisodes que j’ai manqués." Le film a reçu le Prix du court-métrage de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2017.

Pour en finir avec Paris - 2016 - 3 min : Trois minutes de décentralisation brutale et sans paroles.

Say No More - 2012 - 29 min : Collection de très courts films absurdes tournés au téléphone portable.

La projection des films sera suivie d'une rencontre avec le réalisateur, qui eségalement photographe, dessinateur et amateur éclairé de pâtisseries fines. Proposée par Sensation Fraîcheur, cette soirée est le complément idéal à l'exposition des "16 photos que je n'ai pas prises" (dessins de Benoît Grimalt) à llibrairie Les Modernes (15 rue Lakanal, Grenoble) à l'occasion du Mois de la Photo. Vernissage à la librairie, en présence de l'auteur, le mercredi 8 novembre à 19h.

Le 18/10/2017 Serpico

Mercredi 18 octobre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Cycle " Polars " (3/3)

Serpico

Sidney Lumet (États-Unis, 1973 - 125 mn)

" On ne peut pas se fier à un flic intègre " (un flic dans Serpico).

Sidney Lumet: le pouvoir et la loi
Tout est soumis à l'épreuve du réel : "Le monde est une zone plus grise que noire et blanche ", paroles du héros de Dans l'ombre de Manhattan. Le monde est complexe, sombre, incompréhensible, tentaculaire comme sa vision de New York, sa ville fétiche, décor d'une trentaine de ses films. Cette complexité, nous la retrouvons également dans les intrigues parfois obscures de ses films, où le personnage comme le spectateur se perd. Sidney Lumet analyse les rapports entre l'homme et l'institution, et surtout comment les institutions se retournent contre l'individu. Il critique les excès des différents pouvoirs, politique (Les Coulisses du pouvoir) médiatique (Network, Un après-midi de chien), policier (Serpico, Le Prince de New York, Dans l'ombre de Manhattan), judiciaire (Douze hommes en colère, Le Verdict). Il dresse un constat amer, celui de l'impossibilité de réunir deux conceptions en théorie compatibles selon les fondamentaux de la démocratie américaine : morale et loi, justice et pouvoir.
[Florent Dudognon (Le Figaroscope - 31 août 2007)].

Pacino Studio
Si Serpico peut compter parmi les chefs-d'oeuvre de Sidney Lumet après Douze hommes en colère (1957) ou La Colline des hommes perdus (1965), hommage doit être rendu à l'acteur qui tient le film sur ses épaules, au point de faire cavalier seul sur l'affiche. Sidney Lumet a eu du "pif" en choisissant cet acteur d'une trentaine d'années, quasiment inconnu au bataillon. A son actif ? Un second rôle prometteur dans le premier épisode du Parrain de Francis Ford Coppola un an plus tôt. Il y incarnait le fils de Marlon Brando/Don Corleone. Avec ce premier "rôle principal", Al Pacino opère un drôle d'enchaînement : après avoir campé le fils du parrain de la mafia, le voilà qui s'attaque au flic le plus intègre de New York. Et la performance est de taille. Suivant les méthodes héritées de son passage à l'Actors Studio, le comédien entre totalement dans la peau de son personnage jusqu'à travailler son regard dans les moindres détails. Des soudains et violents changements d'humeur d'un Serpico acculé à l'ataraxie du Serpico dépité, Al Pacino offre toute sa palette d'émotions au personnage, des plus blafardes aux plus criardes. Cette performance, exceptionnelle à plus d'un titre, se confronta en outre à des obstacles de taille car pour des raisons techniques, le film se tourna "à l'envers" : Lumet a mis en boîte d'abord les scènes d'un Serpico barbu aux cheveux longs pour remonter dans le temps en lui coupant les cheveux. Parvenir à faire venir des émotions à rebours, voilà un exploit de taille.
[Mathieu Durand (Le Figaroscope - 27 février 2009)].

Le 17/10/2017 Pas de gué dans le Feu

Attention: séance exceptionnelle le MARDI

Mardi 17 octobre 2017 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

En partenariat avec DROUJBA 38

PAS DE GUÉ DANS LE FEU

Gleb Panfilov (URSS - 1968, 95 mn)

Pas de gué dans le feu est le tout premier film de Gleb Panfilov. Le film a obtenu le Léopard d’or au Festival international du film de Locarno en 1969. Marcel Martin dans son livre Le cinéma soviétique de Khrouchtchev à Gorbatchev (L’âge d’homme, 1993) : « La lumineuse beauté des images (noir et blanc), la stricte sobriété de la mise en scène, l’émotion contenue du drame, la finesse des portraits, tout concourt à faire de Pas de gué dans le feu (un titre bien symbolique) une manière de chef-d’œuvre. » Le rôle principal de Tania est interprété par Inna Tchourikova, la femme de Gleb Panfilov. Marcel Martin dira à son propos dans son livre : « admirable comédienne dont l’insolite beauté, qui la fera comparer à Giulietta Masina, reflète une intense vie intérieure qui la transfigure. Elle est merveilleusement convaincante dans son personnage de petite paysanne découvrant que l’art peut être une raison de vivre alors que la tourmente politique exige un engagement plus concret et plus immédiat. » [institut-lumiere.org].

Cette première incursion dans l'univers visuel et idéologique de Gleb Panfilov est donc fascinant : c'est un film vital. Profondément humain. Il nous est proposé de réfléchir sur les rapports entre art et politique. Le point de vue est particulier : les jeunes auteurs communistes des années soixante veulent saisir l'occasion historique de surmonter le traumatisme du stalinisme pour en revenir aux valeurs et aux idéaux de la révolution russe. Cela passe par une vision magnifiée du léninisme, certes, mais cela a le mérite de se demander comment un mouvement humaniste et égalitariste a pu dégénérer. Les causes sont discutées, des pistes sont données : une certaine honnêteté intellectuelle réapparaît. Mais il faut toujours avoir à l'esprit que Gleb Panfilov est un véritable communiste : au-delà du fait que cela lui aurait été tout bonnement interdit, il ne remet pas en cause l'idéal communiste en tant que tel (le système soviétique, quant à lui, sera critiqué plus sévèrement dans ses films suivants). Il veut seulement s'interroger, et interroger, sur les causes d'un échec collectif. Une piste de réponse nous est apportée par le titre du film : Pas de gué dans le feu sous-entend qu'une période de tension, de troubles, d'affrontement et de guerre, ne peut qu'éliminer les personnes raisonnables, sensibles, naïves ou simplement passionnées. Elles seront brûlées. Et l'image de Tania, fusillée par un officier tsariste, qui écarquille monstrueusement les yeux et fixe son bourreau, ne cessera jamais de nous hanter. D'ailleurs, quelle toile aurait-elle pu peindre dans ses derniers instants ? [Floriand Bezaud (dvdclassik.com].

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