Répulsion

Mercredi 5 novembre 2014, 20h
 
Suite du cycle "Folies ordinaires"
Répulsion (Repulsion, Roman Polanski, GB - 1965)
Salle Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

Gilles Jacob distingue « deux Polanski », « Le réalisateur audacieux des premiers films et des courts métrages. Et l'autre celui des grands films à vocation populaire [...]. L'un, inventeur de surprises, de formes cinématographiques, de trouvailles bizarres (les pommes de terre qui germent dans le frigo de Répulsion, les œufs de Cul-de-sac), l'autre, plus accompli peut-être, mais plus attendu aussi. ».

Polanski sur Répulsion: 
Pour exprimer l’univers mental de Carol, j’ai eu recours à toutes sortes de poncifs que j’ai voulu exploiter jusqu’au bout. Prendre un thème très cinématographique - vous savez que j’aime passionnément le cinéma et surtout son côté « magique » - mais aussi m’emparer d’une matière ingrate et en tirer quelque chose, accomplir en quelque sorte un « tour de force » (et non un « exercie de style », comme on l’a dit) telle a été ma démarche. J’ai fait ce film pour me faire plaisir. […]
Polanski par Polanski,
Texte et documents réunis par Pierre-André Boutang, (Les Editions Chêne 1986, p. 57-70).

Les vierges folles des années 60
L’espace de la folie prend corps à travers les voix off, les fissures aux murs et les dessins de lumière. Dans Répulsion, l’incarnation est poussée plus loin par le jeu des mains. Carole, jeune femme belge qui fait des manucures dans un salon de beauté, en vient à se cloîtrer dans l’appartement londonien de sa sœur, terrorisée à l’idée d’être touchée par les paumes masculines. Elle tourne en rond dans le salon, s’enferme dans la chambre, rase les parois. Ses délires prennent des dimensions sonores et visuelles hallucinantes, les séquences se passant peu à peu intégralement dans son espace mental ; ce qui n’enlève en rien à leurs vibrants effets. Les murs, censés protéger les différentes zones d’habitation et en marquer les frontières, deviennent une interface plastique entre l’architecture du lieu et les projections psychologiques de l’héroïne. Leurs déformations rythment la progression de la folie dans le récit : apparitions alarmantes de fissures, empreintes en négatif de mains, surgissements de bras agripeurs qui empoignent le buste d’une Carole maquillée à outrance, comme si le lieu allait lui faire l’amour. Le fantasme d’un corps à corps entre la jeune femme agitée et l’espace du délire est remis en scène quand des membres sortent à nouveau des parois du couloir pour la posséder.
Diane Arnaud, Positif, n° 581/582 (Juillet/Août 2009), p. 24-27.

Rappelons que le Dr Patrice Baro, psychiatre au CHU de Grenoble, interviendra après la projection en co-animation avec le C.C.C. offrant ainsi deux axes de lecture et d’échange, le cinéma et la médecine.

 

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Le couteau dans l'eau

Mercredi 13 mai 2015, 20h
Regards vers l'Est (1)
Le couteau dans l'eau / Noz w wodzie
[Roman Polanski (Pologne - 1962)]
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)

ROMAN POLANSKI, principes d’incertitude
1962, Roman Polanski a 29 ans. Quinze longs-métrages de cinéma l’attendent…au minimum. Le premier d'entre eux affiche sa modernité, aussi désinvolte que construite, aussi spontanée que composée. Le couteau dans l'eau, co-écrit par Skolimowski, frère de Lodz, frappe par son économie de moyens. Deux hommes et une femme sur un bateau, un couteau passant de main en main pour aiguiser le suspens, et le tour est joué. Photo en noir et blanc, inventivité constante du cadre, maîtrise de l'espace clos (et extérieur), la rigueur de Polanski impressionne d'autant plus qu'elle ne se prend jamais au sérieux. Le couteau dans l'eau introduit dans son intrigue un troisième larron pour tendre encore davantage les rapports humains. Un étudiant auto-stoppeur libre comme l'air s'immisce dans la cage dorée d'un couple embourgeoisé. Sans le faire imploser, il le déstabilise et le remet en question. Pour dépeindre la violence ou la sexualité, Polanski use du même procédé. L'une et l'autre sont pratiquement élidés, pour mieux être mis en valeur. L'érotisme des corps semi-nus débouche pendant les deux-tiers du film sur une frustration (pas de passage à l'acte !) qui finit par prendre forme…hors-champ. Polanski n'a pas besoin de montrer Krisztina faisant l'amour avec son amant tant l'intensité sensuelle qui prévalait jusque-là, a décuplé l'effet attendu.[…]
Dans ce contexte réaliste, le fantastique s'immisce naturellement. C'est l'une des caractéristiques majeures du cinéma de Roman Polanski.
L’insistance sur un détail visuel ou sonore peut déboucher sur l’étrange : des enfants jouant en bas d'un immeuble, un orchestre de rue, le bruit d'un frigidaire ou l'eau qui goutte d'un robinet, tous ces éléments banals paraissent soudain transfigurés dans le contexte du film. Ils inquiètent.
Bernard PAYEN, rédacteur en chef d'Objectif Cinéma. [http://www.roman-polanski.net]

Un huis clos initiatique.
Pologne, début des années 60. Un couple de bourgeois invite un jeune auto-stoppeur à passer le week-end sur son yacht... Ce premier long métrage de Roman Polanski est l'oeuvre d'un cinéphile passionné. Deux hommes, une femme et un bateau lui suffisent pour faire sourdre une menace hitchcockienne sur une eau dormante. Et pour retrouver, par la sophistication de ses plans, la violence sexuelle latente d'un Mankiewicz ou d'un Kazan adaptant Tennessee Williams. Cette virtuosité sert des intentions multiples. Il y a la critique transparente d'un régime socialiste favorisant les privilèges qu'il était censé abolir. Et, au-delà, celle de l'embourgeoisement, que ce soit dans le couple ou dans le confort matériel. C'est, avant 68, le procès de la société de consommation. C'est, avant Pierre Bourdieu, celui de la domination masculine. Sauf que Polanski, lui, semble déjà sans illusions. Le jeune rebelle qu'il met en scène est fasciné par la puissance de l'homme arrivé. L'incartade féminine restera sans lendemain, et l'ordre conjugal et bourgeois, indépassable. En ce sens, le film rend compte d'un terrible processus de dressage.
Louis Guichard [Télérama, 15 janvier 2011]

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