Le 23/05/2018 La Corruption
- Publié dans Corruption
Mercredi 23 mai 2018 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Corruption " (4/4)
La corruption / La corruzione
Mauro BOLOGNINI (Italie, 1963 - 82 mn)
Mauro Bolognini, la mélancolie à l’italienne
Lorsque l’on vous parle de cinéma italien, le nom de Mauro Bolognini n’est pas le premier qui vient en tête. On pense Antonioni, Fellini, Visconti, Pasolini... Mais ce serait une erreur de minimiser l’œuvre d’un cinéaste qui aura marqué de son empreinte une période du cinéma en Italie.
Pour cela, il convient d’abandonner tous les préjugés et les idées reçues qui ont accompagné la sortie des films de Mauro Bolognini dès les années soixante. Né du côté de la Toscane, à Pistoia en 1922, Il maestro a su faire évoluer son cinéma avec l’air du temps. Une carrière qui début d’abord avec des comédies, comme Une fille formidable en 1953, film qui signe les débuts de la sublime Sophia Loren au cinéma. La collaboration scénaristique avec Pier Paolo Pasolini opère un chamboulement dans l’œuvre globale du cinéaste italien. D’abord, avec Marisa la civetta en 1957, jusqu’en 1961 où le fruit de leur travail accouchera notamment de Les Jeunes Maris (1958), magnifique film mélancolique sur l’évolution du temps sur la jeunesse italienne, Les Garçons (1959) ou encore Le Bel Antonio (1960), avec le duo Marcello Mastroianni et Claudia Cardinale.
Architecte de formation, Mauro Bolognini est un cinéaste du mélodrame, cette forme spécifique du cinéma méditerranéen qui se nourrit des dysfonctionnements de la famille. Son propos est souvent pessimiste, éminemment nostalgique. Dès 1961, son émancipation se manifeste avec La viaccia dont le style fera la renommée du cinéaste. Il y raconte l’exil d’un jeune paysan à la ville et son amour impossible pour une prostituée. Mais, Bolognini est aussi un cinéaste engagé. La critique sociale orne une partie de sa longue filmographie. Elle est présente, notamment, dans Quand la chair succombe (1962) et en 1963, avec La Corruption qui décrit les manœuvres d’un père, riche industriel, pour empêcher son fils d’entrer dans les ordres.
[FESTIVAL CINÉMA MÉDITERRANÉEN, MONTPELLIER 21-29 OCTOBRE 2016]
“ LA CORRUPTION est captivant, chaque plan mériterait d’être observé avec attention. Du grand cinéma !”
Bolognini propose une œuvre d’une grande beauté, à la réalisation extrêmement riche, précise et réfléchie. Rien n’est dû au hasard avec Bolognini. Chaque plan, chaque composition, chaque éclairage et chaque façon dont se succèdent les scènes, est réfléchie avec minutie. Car le réalisateur exprime les choses aussi bien par les dialogues et par son scénario, que par l’ensemble de sa réalisation, fondée en grande partie sur les regards. Des regards sur lesquels il insiste dès le générique, lors de la remise de diplôme de Stefano. Celui-ci observe déjà le monde avec incertitude. A son retour du lycée, il observera cette fois sa mère, internée dans un hôpital et obnubilée par son apparence. Après un échange de regards complices avec un employé de son père, il verra la vraie nature de celui-ci. [...]
Ainsi, même si le grand intérêt de La corruption ne réside pas vraiment dans son histoire, somme toute relativement prévisible, Bolognini parvient à offrir une vision dure mais personnelle du monde. Un monde cruel, vicieux et matériel, qu’incarne Leonardo. Un monde qui n’a plus de valeur, amoral et uniquement dans l’apparence, qu’incarne également Adriana. Enfin, un monde superficiel, formaté et régi par l’argent, qui ne laisse plus de place à l’honnêteté et à l’ouverture vers l’autre. En atteste, cette dernière séquence à la symbolique terrifiante, d’un groupe de gens qui dansent le Madison. De véritables robots réalisant les mêmes pas, dans le même rythme et qui n’échangent cette fois plus aucun regard (le Madison se dansant sans partenaire). On laisse alors Bolognini refermer brillamment son œuvre par un dernier symbole. Comme avec Le Bel Antonio, où Antonio restait face à lui-même devant son miroir, destiné à vivre avec son secret, La corruption se termine de manière tragique, Stefano en larme devant ce monde antipathique qui a eu raison de lui. Un film captivant jusqu’au bout, où chaque plan mériterait d’être observé avec attention. Du grand cinéma !
[Pierre Siclier (leblogducinema.com)]