Impitoyable

Mercredi 3 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Retour vers l'Ouest " (4/4)

Impitoyable / Unforgiven
Clint Easwood (USA - 1992)

  • « Je ne laisserai pas huit millions de mangeurs de pop-corn me dire ce que je dois faire. »
    [Cahiers du cinéma, n° 460 (0ctobre 1992), p. 68].

Clint Eastwood sur Impitoyable
« Le western est toujours un miroir. Aujourd’hui, notre société est devenue permissive à ‘égard de la violence ; nos parents n’auraient jamais toléré ce que nous tolérons. Nous acceptons la violence, du moins tant qu’elle ne touche pas directement. Mon film parle de ça et de l’effet de violence sur celui qui l’exerce comme sur celui qui la subit. Dans la plupart des westerns, y compris les miens, celui qui tuait n’éprouvait aucun remords. Il tuait les méchants et c’est tout. Cette fois, le personnage réfléchit, il éprouve des sentiments
[in Noël Simsolo, Clint Eastwood, Un passeur à Hollywood, Cahiers du cinéma / Auteurs, 2003, p. 182].
« Je crois que c’est d’une fable qu’il s’agit, mais d’une fable qui démystifierait l’Ouest, d’une certaine manière, en faisant appel à d’autres éléments que le western classique. Comme par exemple, le fait que les choses ne se passent pas si facilement, que le tir n’est pas si précis, que les armes ne fonctionnent pas toujours à tous les coups comme elles devraient. Je ne sais pas si c’est la vérité sur l’Ouest, le film s’en rapproche sans doute. Il y a étrangement deux histoires qui coexistent parallèlement, celle du journaliste qui veut imprimer le mythe de l’Ouest, et celle qui traverse le film et la contredit complètement. La rencontre de ces deux histoires, c’est ce qui me plaisait dans le scenario. »
[Cahiers du cinéma, HS 1992, p. 70].

La critique de Télérama [Vincent Rémy, 9 sept. 1992]
Clint Eastwood, lui, a non seulement signé son meilleur film, mais un des plus beaux westerns de l'histoire du cinéma. Que signifie le retour régulier de Clint Eastwood au western, sinon ce besoin irrépressible de revenir sur le « lieu du crime », à l'endroit où s'est forgé son propre mythe ? Retour plus émouvant de film en film, alors que l'homme vieillit... Misogyne, Eastwood ? Il est loin, l'ange exterminateur de L'Homme des hautes plaines, qui commençait par zigouiller trois malheureux lascars et violer une pauvre fille. Certes, c'est pour la prime, pas pour la cause des putes, que Munny reprend du service. Mais lorsque l'une d'elle lui propose une avance « en nature », il décline élégamment. Raciste? On chercherait en vain une preuve à charge dans sa filmographie. Et là, on tient celle du contraire : Munny a pour meilleur ami un Noir, dans cet Ouest où ils n'étaient pas légion. Et ce n'est qu'après avoir appris son martyre ­ un sort annonciateur des pratiques du Ku Klux Klan ­ que Munny décide vraiment de se venger. Facho ? Comme tous les personnages incarnés précédemment par Eastwood, Munny n'aime pas l'ordre établi, en l'occurrence celui de Little Bill Dagget. Mais s'il fait le ménage à Big Whiskey, ça n'est sûrement pas pour installer un ordre nouveau. Quel ordre, d'ailleurs? Individualiste forcené, Munny ne croit même pas en lui-même. Hanté par son passé, que Little Bill Dagget ne manque pas de lui renvoyer en pleine gueule ­ « Tueur de femmes et d'enfants ! », Munny n'a aucune certitude, juste un souhait : être « un type comme les autres ». Et, comme les autres, il tue. Dépassé par son destin. Marqué par la fatalité d'une nation qui a conquis son territoire par la violence. Mais conscient, lui, de cette tâche originelle. Et donc désabusé, écoeuré. Au sens propre : sans foi, ni loi. C'est à ce moment qu'Impitoyable prend sa véritable dimension : une traque très précisément "impitoyable" de la violence originelle de l'Amérique. Eastwood bute sur un constat accablant : la violence est probablement la seule chose que ce pays ait su sauvegarder de ses origines. Ce constat passe par une relecture de la mythologie du western. Prenez la première fusillade : on croit l'avoir vue mille fois, cette scène de mitraille dans la rocaille. Mais, chez Eastwood, elle n'a plus rien d'un fantasme d'artiste. Munny vise froidement un pauvre gaillard qui n'a peut-être jamais tué. C'est une boucherie grotesque, inutile : « Donnez-lui de l'eau, Bon Dieu ! », finit par crier Munny à ses ennemis. Le voilà maintenant debout, sous un arbre, dos tourné à Schofield Kid, son jeune comparse, qui vient de lui avouer en pleurant n'avoir jamais tué avant de le rencontrer. Munny se rend compte qu'il vient d'initier un enfant à la violence : « C'est quelque chose de tuer un homme. On prend tout ce qu'il a et tout ce qu'il n'aura jamais. » En arrière-plan, le paysage grandiose de montagnes enneigées donne à ses paroles une dimension prophétique. L'instant d'après, pourtant, parce qu'il va jusqu'au bout de son destin, Munny remet ça : carton final sur tout ce qui bouge. "Je ne méritais pas ça", hoquette Little Bill Dagget. Et ce n'est pas faux : crapule certes, sadique même, mais adversaire farouche de l'autodéfense, Dagget ne combat-il pas un droit funeste inscrit dans la Constitution américaine, le port d'armes ? Il n'a oublié qu'une chose, Dagget : on ne se place pas impunément au-dessus des lois qu'on édicte. Ses méthodes sont ignobles, et ses jugements iniques, comme le sont aujourd'hui ceux des juges américains qui acquittent les matraqueurs de Noirs... Eastwood ne donne pas de leçons, il observe la réalité américaine. Le personnage de W.W. Beauchamp, plumitif bouffon et biographe encenseur du premier voyou venu, c'est la supercherie démasquée d'un pays qui réécrit à chaud sa propre Histoire. Que reste-t-il, après cela, de la mythologie pionnière ? Beaucoup, justement, et c'est l'ultime et ironique paradoxe de ce chef-d'oeuvre. Car, dans le même temps qu'il traque les mensonges originels du pays, Eastwood filme les grands espaces, les chevauchées ou les feux de camp avec le lyrisme d'un John Ford, d'un Anthony Mann ou d'un Delmer Daves. C'était si beau l'Amérique...  

On trouvera en fichiers téléchargeables une très belle étude sur le film par Jean Douchet, ainsi qu'un dossier (en Anglais) proposé par l'Université de New-York (Buffalo).

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Les Enfants de la belle ville

 

Mardi 9 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec CINEDUC 2016: "Cinéma d'ici et d'ailleurs"

Les enfants de belle ville / Shah-re ziba 
Asghar Farhadi (Iran - 2012)

Ala et la fureur de vivre
En juin 2011, comme pour mieux contourner le rance et insidieux embrouillamini franco-français sur l’islam et la laïcité, notre société se ruait dans les salles d’art et d’essai voir un film iranien, Une séparation. Depuis cette déflagration, Farhadi en France, c’est l’œuvre à l’envers. Après un film inégal de 2006, La Fête du feu, et l’inégalé À propos d’Elly en 2009, le distributeur Memento Films expie sa frilosité passée en nous présentant aujourd’hui un opus du cinéaste daté de 2004, Les Enfants de Belle Ville. Le public y retrouvera l’écheveau complexe qui a fait le succès des films suivants. Au milieu des couleurs, il fera surtout une rencontre restée orpheline dans sa filmographie, d’une passion-obsession plus grande que la mort : Ala et sa fureur de vie.
Farhadi a dit : « La tragédie moderne n’est pas le combat du bien et du mal, mais du bien et du bien. » Quand ce combat se condense dans l’esprit malmené d’un seul personnage, on appelle ça un dilemme ; quand tous les personnages d’un écheveau en portent un avec les contraintes, le passé et les désirs qui leur sont propres, on obtient une situation. Enfin, quand chacune des branches des alternatives n’obligent pas seulement les vies et l’honneur des concernés, mais force toute une société à constater que les lois des hommes ne sont pas à l’image de celles du Dieu dont ils se réclament, on appelle ça un film de Farhadi. Ajoutez un plan ou un personnage manquant, et la recette est complète. Certes, cela pourrait bien finir par lasser. Mais Farhadi n’a rien de l’aventurier, de l’homme des lointains. Quand certains nomades arpentent le champ formel des possibles cinématographiques (Kiarostami, Panahi), Farhadi, démiurge casanier, reste l’esprit bien planté dans son sol, à triturer les matériaux jadis rencontrés sur son infime parcelle.[...]
Voir Les Enfants de Belle Ville, c’est regarder opérer sous nos yeux la mutation d’un schéma actanciel en course passionnelle. À côté de la passion d’Ala, de sa force qui va, le reste du film n’est plus qu’une affaire de vis et de boulons. À rebours, mais encore une fois, Farhadi nous prouve qu’il est un cinéaste de l’éthique, jamais un moraliste. En ces temps de discours populistes, une telle intelligence de la formulation plutôt que de la solution, une foi inconditionnée dans le principe plutôt que l’action du cynique, deviennent libérateurs. Dans un film de Farhadi, l’esprit respire.
                                                                                                                                                      Matthieu Bareyre [critikat.com]


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Un temps pour l'ivresse des chevaux

Mercredi 10 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
En partenariat avec CINEDUC 2016: "Cinéma d'ici et d'ailleurs"

Un temps pour l'ivresse des chevaux
Zamani baraye masti-ye asbha 
Bahmam Ghobadi (Iran - 2000)
Caméra d'or - Festival de Cannes 2000

Bahmam Ghobadi :
« Je me suis inspiré d'une histoire vraie. Il y a deux ans, lors des repérages de Vivre dans le brouillard, j'ai rencontré des jeunes qui faisaient de la contrebande entre le Kurdistan iranien et le Kurdistan irakien. Et j'ai décidé de travailler avec eux. Les gens du village où a été tournée l'histoire n'avaient jamais vu de caméra avant et n'avaient même pas l'électricité. Ils ne jouaient pas, mais vivaient simplement leur propre vie. Madi, le jeune handicapé, a encore une espérance de vie de deux ans. Il existe en Allemagne un endroit où on pourrait l'opérer mais il faudrait trouver de l'argent.»

La critique des Inrocks
Cinéaste kurde iranien, Barman Ghobadi a été premier assistant de Kiarostami sur Le Vent nous emportera, il a joué dans Le Tableau noir de Samira Makhmalbaf, et a déjà à son actif une dizaine de courts métrages. Un temps pour l’ivresse des chevaux, Caméra d’or 2000, est un film d’endurance et d’état d’urgence, un film épuisant, projeté à toute vitesse, dans lequel les protagonistes n’arrêtent jamais de courir d’un point à un autre, de se battre contre les éléments et la tragédie omniprésente, et sont cependant profondément concentrés sur leur objectif unique, la défense de leurs proches.
Le cœur du film : une poignée de frères et sœurs, orphelins, livrés à leur sort dans un petit village du Kurdistan iranien. Ayoub, le fils aîné qui n’a guère plus de 12-13 ans, se démène pour nourrir les siens, au milieu d’essaims d’enfants de son âge qui se battent pour n’importe quelle embauche à l’heure. Il se fait engager par des contrebandiers pour passer des cargaisons en fraude à dos de mules à la frontière irakienne. Nous sommes ici dans la logique d’une économie de survie. Mais avant tout, Ayoub veut sauver la vie menacée de son petit frère atteint d’une grave malformation physique, que seule une opération peut sauver. Pour cela, il a besoin d’une certaine somme d’argent.
Le film ne raconte que cela, la folle volonté d’un enfant tendu tout entier vers la survie de ce frère martyr, Madi, au corps atrophié par la maladie. D’ailleurs ici, tous les corps sont, à un degré divers, suppliciés. Celui de Rojine sera vendu à un Irakien en échange du financement de l’opération de Madi, les carcasses des mulets soûlés à la gnôle pour tromper le froid s’effondrent sous l’effet des charges, des coups et de l’ivresse, et celui d’Ayoub, infatigable, arpente les terres truffées de mines en état de résistance permanente. Ces enfants ne sont plus que des corps-marchandises, exploités par les adultes.
Et pourtant, sous l’amoncellement des catastrophes, aucun des cinq ne s’effondre. Chacun cherche l’autre en permanence, et chacun rive son existence à celle de Madi, devenue la condition sine qua non de la leur. Les espaces géographiques chevauchent les espaces mentaux. Les lignes d’ascension horizontales, tracées le long des montagnes enneigées par les cortèges de contrebandiers, sont autant de lignes de fuite vers la frontière, c’est-à-dire vers la guérison possible de Madi, malgré les embuscades mortelles toujours possibles. La mise en scène de Bahman Ghobadi, à la fois nerveuse et sur la retenue, tenant du documentaire et admirablement composée, donne à ce combat intime une intensité qui nous vrille les tripes, et un caractère universel.
                                                                                                          Sophie Bonnet [Les Inrocks, 30 novembre 1999].

On trouvera en fichier téléchargeable un dossier rédigé par Christine Fillette.

 

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Morse

Mercredi 17 février 2016 à 20h
Cinéma Juliet-Berto (Place Saint-André, Grenoble)
Cycle " Vent du Nord " (1/3)

Morse
Tomas Alfredson (Suède - 2008)

                        • Tomas Alfredson sur son film
                          " Le mélange entre réalisme social, le portrait de ce garçon malmené et renfermé… C'était vraiment dénué de sentiment et, en même temps, cela provoquait énormément d'émotions en moi. A mon sens, lorsqu'un film est trop sentimental, on décroche assez vite et je déteste ça. J'aime davantage que les sentiments d'un métrage ne soient pas forcés et qu'ils soient en partie créés par moi. C'était d'ailleurs l'une des grandes qualités du livre original. Mais aussi parce que j'ai eu pas mal de mauvais moments à cet âge là moi-même. Cela m'a ramené beaucoup de souvenirs et de sentiments assez forts de mon enfance. Ce type d'émotion, ceux que l'on éprouve à cet âge là, sont souvent très forts et ils font partie de vous même. C'était d'ailleurs un bon moteur pour avancer sur un film que l'on développe sur plusieurs années."
                          [http://www.devildead.com/indexdossier.php3?langage=1&dossier=31&page=3]

                          Subversif et choquant, onirique et touchant, hypnotique et horrifiant, MORSE (LET THE RIGHT ONE IN) est tout cela et beaucoup plus encore. Tout en situant dans un contexte actuel les règles du mythe du vampire, le film frappe fort en devenant à la fois un sombre «coming-of-age flick» et une mystérieuse histoire d’amour explorant les côtés sombres de l’aliénation adolescente. Des performances extraordinaires, un scénario inoubliable (que le Suédois John Ajvide Lindqvist adapte de son propre best-seller), une mise en scène maîtrisée et une splendide direction artistique usant brillamment de contrastes entre les scènes d’intérieur et d’extérieur s’unissent en une parfaite tempête noire. Il n’est pas surprenant d’apprendre que JJ Abrams a été séduit par ce film et qu’il tente présentement de mettre un remake en chantier. Le réalisateur Tomas Alfredson émerge avec un chef d’œuvre absolu et un classique instantané du cinéma d’horreur contemporain.
                          Mitch Davis [http://www.fantasiafestival.com/2008/fr/films/film_detail.php?id=42]

                    • Enfants acteurs
                      Le film repose en grande partie sur la performance de deux très jeunes interprètes inconnus du public. Après un casting qui a duré près d’un an, le réalisateur arrête son choix sur la brune aux yeux noirs Lina Leandersson pour Eli et le blond aux yeux clairs Kåre Hedebrant pour Oskar.
                      Leur jeu est complémentaire pour souligner leurs différences, la fragile détermination et le caractère lunaire du garçon avare de mots répondant à la troublante force d’incarnation de Lina Leandersson, tiraillée entre les âges. L’actrice a la faculté de moduler ses traits de manière à passer à vue, et grâce au maquillage, d’un visage de gamine à celui d’une femme usée par le temps. En revanche, Tomas Alfredson a recouru à Elif Ceylan pour doubler intégralement la voix trop aiguë de Lina Leandersson et obtenir des tonalités vocales plus caverneuses dans le but de suggérer plus encore le caractère sans âge et l’androgynie du personnage.
                      [Dossier d'étude proposé par le CNC] 

                    • On trouvera ci-dessous, en fichier téléchargeable, le dossier d'étude proposé par le CNC.
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