Mademoiselle de Jonquières
Mademoiselle de Jonquières, Emmanuel Mouret, 2018. disponible sur ARTE VOD gratuite jusqu’au 16 février.
Ne le ratez pas! Dès le début, j’ai été saisi puis baladé de surprises en surprises sans ménagement jusqu’à l’effroi, quand les douces liqueurs et les beaux atours se muent en venin et en linceul en parvenant à mêler le complexe des situations et le limpide des images…
J’ai été pris par une scène d’ouverture intrigante et belle à souhait (qui se révèle être un plan séquence très maîtrisé) une voix d’abord, une voix de femme qui énumère, faussement admirative une longue liste de noms, un couple vient vers nous, élégants et légers dans le décor idéal d’un parc aux arbres centenaires, un couple qui vient de loin, du fond du cadre et du profond des siècles. Elle pourrait chanter il catalogo è questo, la liste des conquêtes de Don Giovanni ( tiens, un contemporain)… Lui, le libertin, flatté, reste séducteur, semble mener le jeu… Pas pour longtemps.
Plus que pris, happé, chopé, je me suis surpris à me rapprocher de l’écran pour pas en manquer une miette. Des ingrédients connus s’invitent et s’imposent, en quelque sorte naturellement : désir, séduction, jeux de pouvoirs, déception, ressentiment, manipulation, machination, emprise, cruauté mais aussi rapports de classe et la persistance d’une troublante sincérité, de la recherche pour chacun de sa vérité, quel qu’en soit le prix.
Millefeuille de vengeance et de haine, vengeance amoureuse, vengeance de genre combinées à une vengeance de classe… Les valeurs, les personnes, les sentiments sont piétinés sans la moindre pitié… Et la fluidité de la caméra agit comme un mirage trompeur, hypnotisant, d’une ironie grinçante, sous le beau décor, ça grouille…
L’oeuvre d’un entomologiste, cependant capable d’humour loufoque (ah! les deux fauteuils…) Les mots aussi sont acteurs - et les silences, donc - dans cette langue française magnifique du XVIII ème siècle, ceux/celles qui la maîtrisent, ceux/celles qui la subissent, ceux/celles qui la chuchotent, ceux/celles qui se taisent…
Ce moment, fugace, où au détour d’un couloir, le simple geste d’un domestique et le tempo qui l’accompagne, suffisent d’abord, à intriguer sur le statut de la personne introduite mais aussi à l’indiquer, sans fard, ça, c’est du cinéma. Et à un autre moment, le titre qui prend sens, la seule ligne droite, mais implacable, du film. La cruauté n’est pas l’apanage des brutes et le raffinement n’exclut pas, loin de là, les projets les plus noirs et les plus dénués d’humanité… Rien de manichéen, bien malin qui pourra tracer une ligne entre le bien et le mal…
La violence d’une situation ne se mesure pas forcément à la quantité d’hémoglobine répandue, oh! que non…Ce qui n’empêche nullement d’apprécier Tarantino et son cinéma…
Enfin le plaisir vient aussi de la qualité des interprètes, tous, toutes, Emmanuel Mouret grand directeur d’acteurs assurément… Ah! n’oublions pas, cinéphiles nous sommes…Des liens de parenté avec, par exemple La religieuse (d’après Diderot également), le terrifiant Les proies de Don Siegel, Que la fête commence de Bertrand Tavernier pour l’analyse politique et historique, Ridicule de Patrice Leconte, Barry Lindon et bien sûr, le Renoir de La règle du jeu. Pas moins… “Ce qui est terrible dans ce monde, c’est que tout le monde a ses raisons.”
Daniel Buisson, 11 février 2021.
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