La jeune fille au carton à chapeau
- Publié dans Cycle Russe
La Jeune fille au carton à chapeau
(Devushka s korobkoy, Boris Barnet, URSS - 1927)
Ciné-Concert / Stéphane Damiano (piano)
Mercredi 20 novembre 2013 à 20h
Salle Juliet Berto - Grenoble
« Le cinéma de Barnet est comme un commentaire mineur,
intérieur au cinéma soviétique, un point de vue d’en bas,
un mélange raffiné de drôlerie et de sensualité, un dégel constant ».
Serge Daney, Libération (26 juillet 1982).
Plus que le tendre et virevoltant mélange des genres de Okraina, plus que les célèbres et merveilleuses séquences du baiser ou de la première nuit des deux protagonistes de La Jeune fille au carton à chapeau, il est un plan dans ce dernier film qui résume, me semble-t-il, cette rare et subtile liberté qui fait des « trouvailles visuelles » chez Barnet autre chose que les éléments d’un système - narratif ou réflexif -. L’écran est partagé en deux, horizontalement, par la ligne de crête d’une colline enneigée, sur laquelle court un petit bonhomme noir c’est presque une image de dessin animé (la comparaison de l’ironie de Barnet et celle de Tex Avery pourrait par ailleurs se révéler tout à fait riche) tant la stylisation est poussée : un rectangle blanc, un rectangle gris, et un petit personnage gesticulant qui traverse tout l’écran de droite à gauche. Il y a là le "comique de situation" d’abord du prétendant essoufflé dérapant sans cesse en essayant de rejoindre au plus vite la jeune fille ; il y a surtout cette mise en scène qui, par le partage des volumes, l’éloignement du personnage et la longueur du plan, situe l’image bien au-delà de son contenu. On a ici un humour de forme bien plutôt qu’un comique de situation, et qui éclaire de son ironie le film entier, qui instaure la fantaisie au double niveau, diégétique et filmique.
Voilà la fantaisie absolue : faire rire s’étonner, s’émouvoir du film lui-même et non pas seulement de l’histoire qu’il raconte. Il y faut de l’audace et une certaine naïveté, il faut tout savoir du cinéma sans en reconnaître aucune règle. La poésie qui en résulte est surprenante elle hisse la création à son plus haut niveau, en lui permettant d’exister telle quelle.
Vincent Amiel, Postif, n° 273 (Novembre 1983).