L’Ange exterminateur

L'Ange exterminateur 

(El angel exterminador, Luis Bunuel, Mexique - 1962)

Mercredi 2 avril 2014 à 20h

Salle Juliet Berto - Grenoble

« Ce que je prétends faire par mes films, c'est inquiéter,
violenter les règles d'un conformisme qui veut faire croire

aux gens qu'ils vivent dans le meilleur des mondes possibles » Luis Bunuel.

" Si le film que vous allez voir vous semble énigmatique, ou incongru, la vie l'est aussi. Il est répétitif comme la vie et, comme, elle, sujet à beaucoup d'interprétations. L'auteur déclare qu'il n'a pas voulu jouer sur des symboles, du moins consciemment. Peut-être la meilleure interprétation pour L'Ange exterminateur,
c'est que, raisonnablement, il n'y a aucune.
Luis Bunuel [Texte passant avant le générique lors de la projection à Paris]

Le cycle Buñuel " Mexicain "

Dans l'oeil de Luis Buñuel
La cruauté, le fétichisme, le désir et la frustration sexuelle, la bourgeoisie, la lutte des classes, la religion, le surréalisme, la puissance de l'imagination : les principaux thèmes qui traversent l'œuvre de Luis Buñuel (1900-1983) portent en eux la promesse d'un cinéma puissant, parfois dérangeant, irrationnel et subversif au sens le plus complexe et le plus intéressant du terme (souvent galvaudé par ailleurs). " Le cinéma est la meilleure arme pour exprimer le monde des songes, des émotions et de l'instinct ", annonce le réalisateur d'Un chien andalou (impressionnant premier court-métrage écrit avec Salvador Dali en 1929), de Los Olvidados (1950) ou encore du Charme discret de la bourgeoisie (1972).
"Pour Buñuel, le mal est inhérent à la nature humaine. La poésie qu'elle délivre révèle quelque chose d'atroce et de sordide", explique l'écrivain et metteur en scène Jean-Claude Carrière, scénariste de nombreux films, dont La Voie lactée (1969), certainement l'un des plus beaux et aboutis du cinéaste d'origine espagnol naturalisé mexicain. " Il y a un inconformisme chez moi depuis mon enfance ", précise Buñuel.
Si l'on qualifie parfois rapidement son cinéma de "pervers", le comédien Michel Piccoli , qui a tourné avec Jeanne Moreau sous la direction du réalisateur dans Le Journal d'une femme de chambre (1964), mais aussi avec Catherine Deneuve dans Belle de jour (1967), nuance et approfondit cette image : " Il aimait beaucoup raconter des histoires d'hommes irresponsables de leur vulgarité et de leur comportement immonde, surtout sexuellement. Il n'y a pas de perversité chez Buñuel. Il y a de la tragédie et du silence."[…]
Hélène Delye, Le Monde (1er juillet 2013).

Jean-Claude Carrière sur Luis Buñuel
Généralement considéré comme un cinéaste « surréaliste », il était sans doute un homme d’imagination, faculté de l’esprit qu’il mettait au premier plan. Et cette imagination était aussi libre, insolente et vagabonde que possible. Aucun territoire ne lui était interdit. Il affirmait qu’elle était toujours innocente, même si elle inventait les pires crimes, perfidies ou dépravations. Pourtant, malgré cette apparente liberté, malgré ce qu’on appelle l’« audace » de Buñuel, son travail obéissait à des règles secrètes, que j’ai partagées et observées pendant dix-neuf ans, sans jamais pouvoir les formuler. Ces règles sont probablement inscrites dans une relation invisible qui s’établit – dans le meilleur des cas – entre le conscient et l’inconscient des cinéastes et des spectateurs.
D’un côté, il est évident que nous devons éviter le banal, le prévisible, le cliché. Rien de plus personnel qu’un film de Buñuel, qui a tracé dans le cinéma un chemin qui ne ressemble à aucun autre, et qui ne peut ni se définir ni s’imiter. Mais nous devons aussi écarter l’extravagant, le saugrenu, le bizarre facile. Comme il me l’a dit une fois : « On peut faire n’importe quoi, sauf n’importe quoi. »
Autrement dit : rien de facile dans cet imaginaire. Au contraire. Il s’agissait d’une recherche patiente, difficile, constante et souvent décevante. Buñuel évoluait toujours entre deux gouffres, où il évitait soigneusement de tomber. D’un côté les histoires toutes faites, souvent racontées, les situations attendues, de l’autre côté les vampires grimaçants ou – par exemple - l’intrusion d’un hippopotame dans un salon de thé.
Le « n’importe quoi ». Entre les deux s’avance lentement un chemin très étroit, presque une corde raide, avec le danger de tomber de ce côté-ci, ou de ce côté-là. Sans oublier le maintien nécessaire d’une relation d’intérêt avec le public, et cela jusqu’à la dernière image. Et aussi le fait, pour les films que nous avons écrits ensemble, que nous possédions chacun un droit de veto sur les idées proposées par l’autre. Droit de veto instantané, qui devait être formulé en moins de trois secondes (pour éviter toute intervention de la raison, de la logique quotidienne, qui a tendance à tout justifier), veto que nous ne pouvions pas contester, discuter, et sur lequel il nous était impossible de revenir.
Il fallait oublier - à regret, quelquefois - l’idée rejetée par l’autre et passer aussitôt à autre chose, à une autre action, à une autre image. De là une immense sollicitation de l’esprit, la plus ardue peut-être de toutes celles auxquelles j’ai participé. Et cela se continuait – avec parfois de longs silences – jusqu’à ce que nous tombions d’accord, tous les deux. Il m’a dit, une fois : « Quand il ne reste plus qu’une seule idée, c’est la bonne. »
Jean-Claude Carrière [ARTE - Magazin].

La critique de Marine Landrot, [Télérama, 28 mai 2011].
On connaît la naissance simultanée du cinéma avec celle de la pratique psychanalytique. Et si Freud ne croyait pas beaucoup à la capacité de mettre sur pellicule les processus de transformation de l’inconscient*, il n’en demeure pas moins que leurs résultats, c’est-à-dire nos étranges comportements, sont quant à eux parfaitement filmables (c’est même ce qui « occupe » le cinéma dans la plupart des cas !). Buñuel fut certainement l’un de ceux qui filma au plus près nos déviations avec un souci maniaque. L’ange exterminateur est de ce point de vue l’un des films les plus énigmatiques de son auteur.
Lors d’une réception dans une maison de notables mexicains, l’ensemble des invités se trouvent dans une impossibilité physique (et probablement psychique) de quitter les lieux. Ce « blocage » produit des comportements violents et surtout  différents selon la nature profonde de chacun des invités et de leurs hôtes.  Et cette violence, sur l’autre ou sur soi, prend totalement possession de l’assemblée qui, poussée par la soif et la faim perd alors toute sa dignité et ses conventions sociales. Pour se libérer de l’entrave inconnue, il convient de désigner un bouc émissaire. Celui-ci ne devra la vie sauve qu’à l‘intuition d’une invitée qui demandera que chacun retourne à la place qu’il occupait au tout premier moment du « blocage ». Ce  retour à « l’origine de la malédiction » délivrera les malheureux. On ne saura pas grand-chose sur la nature de ce blocage, mais comme celui-ci prenait sa source dans une sorte d’inconscient collectif, ses effets collatéraux retomberont sur un autre groupe: des prêtres qui, tout à coup, à leur tour, ne pourront plus sortir de leur église. Le mal voyage, c’est bien connu…
L’ange exterminateur est une parfaite illustration de ce que nos inconscients peuvent produire comme enfermement et surtout de ce que nos énergies vitales inventent comme stratégies pour s’échapper à tout prix : cruauté, sexualité, cupidité et même suicide. Buñuel nous avertit que le mal est un patrimoine qui se partage et qu’on a tôt fait de dénoncer chez l’autre la chose qui vous appartient et vous accable inconsciemment. Ce film, comme une vaste auto-analyse collective, ressemble à une longue nuit d’où émergent les plus lucides. Quand l’oppresseur ne se montre pas, il y a tout lieu de penser que c’est alors un bel enjeu cinématographique que de montrer justement l’«infilmable». Et comme la chose se tient en l’homme, en tout homme, pauvre ou riche, puissant ou impuissant, croyant ou athée, c’est bien cet homme que Buñuel filme sans complaisance mais avec une force cinématographique que peu de réalisateurs atteignent sans quelques compromis…
* « Il ne me paraît pas possible de faire de nos abstractions une présentation plastique qui se respecte un tant soit peu » (Freud).

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Les Hauts de hurlevent

Les hauts de hurlevent 

(Abismos de pasion, Luis Bunuel, Mexique - 1954)

Mercredi 9 avril 2014 à 20h

Salle Juliet Berto - Grenoble

« Avant tout, on a voulu respecter l'esprit du roman. Les personnages sont esclaves de leurs instincts.
Pour eux les convenances sociales n'existent pas. L'amour d'Alejandro
est un sentiment féroce et inhumain et ne pourra se réaliser que dans la mort

Luis 
Buñuel.

" Le film est à conseiller aux buñueliens inconditionnels, ils retrouveront quelques images du maître : papillons épinglés, cochons saignés et araignées, quelques personnages aussi (…). Il ne faudrait pas croire qu’il s’agit là simplement d’un film de commande : Buñuel travailla dès 1932 à une adaptation du roman d’Emily Brontë. Ce film est donc beaucoup plus buñuelien que certaines grosses productions comme La mort en ce jardin".
Michel Polac, [Art, 19 juin 1963].

Abismos de pasion de Luis Bunuel (1953).
En espagnol, les Hauts de Hurlevent se dit Cumbres borrascosas et si Luis Buñuel avait voulu en faire l'adaptation littérale, il l'aurait sans doute appelé ainsi. S'il a pourtant choisi de le baptiser Abismos de pasion, c'est sans doute pour des raisons qui ne tiennent pas qu'au contexte commercial du Mexique des années cinquante: il va de soi que dans cette affaire comme en toutes choses, Don Luis Buñuel est un créateur souverain. On ne s'étonnera donc pas d'un carton prégénérique qui dit à peu près: « Nous nous sommes avant tout attachés dans ce film à respecter l'esprit de l'oeuvre immortelle d'Emily Brontë», convention qui va surtout permettre au cinéaste de faire exactement ce qu'il veut d'une trame universelle. Mais qu'a-t-il voulu en faire, au juste?
On pourrait dire: un concentré, une essence. Abismos de pasion est en effet un film à la rapidité extraordinaire. Un film qui démarre au canon et nous plonge d'emblée au coeur du problème. Lorsque s'ouvre la première scène, Catarina, déjà mariée à Eduardo, apprend le retour d'Alejandro-Heathcliff après des années de disparition: « Pour lui, je vendrais mon âme », prévient-elle illico. Dès lors, les scènes vont s'emboîter au pas de charge, dans un incessant crescendo de passion morbide, de violence et de cruauté, au rythme de dialogues excessifs et fous, qui évoquent autant le premier degré d'un roman de gare outrancier que le second d'une fable à l'ironie méchante. Dans Abismos de pasion, les haines sont irrévocables, les amours irréversibles, les caractères absolus, les visages transfigurés, les sentences définitives. Cette exacerbation du moindre élément dramatique a pour effet d'enchaîner le spectateur à l'avant d'une locomotive échevelée et de lui faire traverser dans cet état de stupéfaction un théâtre tout à fait dément, où les effluves de l'alcool se mêlent à celles d'une fièvre mortelle. Un théâtre où chaque personnage joue son destin à chaque réplique, où les enfants sont roués de coups, les animaux massacrés et les domestiques sempiternellement humiliés. Pour mieux souligner encore la folie abstraite de cette histoire insoutenable, Buñuel ne la situe jamais: le décor est un huis clos, une latifundia magnifique perdue on ne sait où, probablement au pays du cinéma, un cinéma pseudo-hollywoodien auquel Buñuel semble s'amuser à donner le change.
Souvent, la construction dramatique se ressent de ce rythme tachicardiaque, mais le film y gagne une manière de filer droit au but, qui laisse pantois, surtout lorsque l'on sait qu'en 1952-1953, l'insolent cinéaste réalisa cinq films, dont El et Robinson Crusoé !
D'un casting qui lui fut imposé, Buñuel n'a pu transcender que l'héroïne, Lilia Prado, danseuse de rumba plutôt décalée mais excellente de morgue dominatrice, qui, seule, se sort avantageusement de son rôle, laissant loin derrière les très mauvais Jorge Mistral et Ernesto Alonso. C'est sans doute pourquoi le metteur en scène ne perd pas plus de temps avec ses acteurs qu'avec son histoire: ce qui l'intéresse, c'est autre chose. Cet «autre chose» forme toute l'ineffable matière d'Abismos de pasion, qui surgit entre les événements visibles, à la faveur de petites scènes miniatures où la caméra s'égare en considérations animalières au goût des plus troublants. Des plans d'animaux martyrisés, qui voient un papillon transpercé d'une aiguille, un cochon étripé, une grenouille carbonisée, un oiseau en cage et une phalène dévorée par une araignée. Ces plans sont les pépites d'un filon qui va courir ainsi tout le film, un bestiaire métaphorique animé d'un sadisme assez ahurissant. Mais en passant ainsi à la trappe le «gothisme fantastique» prévisible d'une adaptation des Hauts de Hurlevent au profit d'une sauvagerie bien plus concrète, Buñuel parvient à son but: l'ensorcellement de Catarina et Alejandro est là, dans sa naturelle monstruosité; nul besoin de le démontrer ou de le justifier tant il est déjà indiscutable.
Conçu sur les chapeaux de roues, un tel film ne pouvait avoir de fin que paroxystique et celle que Buñuel a cette fois concoctée est un monument de nécrophilie baroque. Elle vient asséner, dans un tonnerre musical empesé de grandiloquences wagnériennes, le coup de gong final sur le mental déjà passablement ahuri du spectateur, le laissant à la fois pantelant et rasséréné, mais toujours dubitutatif quant à la nature de ce qui vient de lui passer sur le corps: était-ce une étreinte ou un passage à tabac ?
OLIVIER SÉGURET [Libération, 8 JUILLET 1995]

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Les Aventures de Robinson Crusoé

Les aventures de Robinson Crusoé

(Robinson Crusoe, Luis Bunuel, Mexique - 1954)

Mercredi 16 avril 2014 à 20h

Salle Juliet Berto - Grenoble

Longtemps négligé parmi les films « mexicains » de Buñuel, son adaptation du roman de Daniel Defoe ne se limite pas, loin de là, à « un bel hommage cinématographique à l’athéisme » comme on l’a écrit parfois. Cettte confrontation de l’homme à la nature (comme le sera Simon du désert), puis de l’homme à l’homme (au sous-homme dans l’esprit de Robinson, en passant par la relation homme-animal – voir le Luis Buñuel de Charles Tesson, Ed. Cahiers du cinéma, p. 213-214) est un cas unique de relecture totale d’un classique de l’humanisme naïvement colonialiste sous le regard perçant d’un esprit plus lucide que provocateur. Malgré un Pathécolor aux effets discutables (et en tout cas dénaturalisant), Les Aventures de Robinson Crusoé est un grand Buñuel méconnu.
Cahiers du cinéma, n° 497 (Décembre 1995), p. 17.

Le génie de Buñuel, manifestement assisté du blacklisté Hugo Butler pour le scénario, transparait toutefois. Il y a d’abord une ironie constante à l’égard de ce personnage de bourgeois qui se plait à établir une civilisation dans la nature, d’un oisif qui découvre soudainement qu’il aime construire, pêcher, etc, toutes sortes d’expériences qui lui étaient jusqu’alors inconnues. De plus, le film se plait à souligner la facilité avec laquelle Robinson fait de Vendredi son valet, qu’il perçoit d’emblée comme inférieur. On sent enfin que le cinéaste s’amuse de cet homme ridicule qui persiste à croire en l’espoir d’être secouru et l’exprime à travers force bondieuseries. Les touches d’humour abondent: Robinson se balade avec une ombrelle de peaux, parle avec des fourmis ou dialogue avec l’écho de sa voix dans la vallée ; affamé, Robinson casse un œuf puis le « referme », s’apercevant qu’il est occupé par un poussin ; et, dans une scène de délire, Robinson rêve qu’il discute avec son père, caricature réactionnaire.
Le Robinson Crusoéde Buñuel surprend de son auteur par le paradoxe de sa sagesse évidente et de sa discrète subversion.
[http://labruttin.blogspot.fr/2012/07/robinson-crusoe-les-aventures-de.html]

 

 

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Naissance des pieuvres

Naissance des pieuvres

(Céline Sciamma, France - 2007)

Mercredi 23 avril 2014 à 20h

Salle Juliet Berto - Grenoble

Voici deux films réalisés par des réalisatrices débutantes, Céline Sciamma et Mia Hansen-Love, toutes deux couronnées par le prix Louis Delluc du premier film. La relève du cinéma français sera-t-elle plutôt féminine ?
A la dernière cérémonie des César, le cinéma français fêtait les 60 ans de carrière de Jeanne Moreau. Un hommage auquel la doyenne répondit par un cadeau, conviant sur scène la pas encore trentenaire Céline Sciamma et les actrices adolescentes de Naissance des pieuvres pour leur offrir son césar d'honneur. Un passage de relais entre l'ancienne et la nouvelle génération, et une jolie manière d'affirmer que le futur du cinéma français s'écrira aussi au féminin. Une autre réalisatrice débutante aurait tout aussi bien pu être appelée sur scène ce soir-là : Mia Hansen-Love, colauréate, avec Céline Sciamma, du prix Louis-Delluc du premier film pour Tout est pardonné.
Les deux réalisatrices, comme leurs films, n'ont guère en commun que leur jeunesse. Céline Sciamma, 29 ans, est issue de la section scénario de la Femis alors que Mia Hansen-Love, 26 ans, revendique son statut d'autodidacte « " formée " par la critique aux Cahiers du cinéma. D'un point de vue formel, Naissance des pieuvres est le plus impressionnant. La mise en scène tirée au cordeau de Céline Sciamma restitue l'ambiance moite et ouatée d'une piscine, jolie métaphore du monde clos de l'adolescence où nagent (ou, plutôt, rament) trois filles de 15 ans confrontées à la découverte de la sexualité. Mais l'émotion est plus forte encore dans Tout est pardonné, moins maîtrisé et plus libre. Par le récit sur douze années d'une relation magnifique entre un père mal dans sa vie (Paul Blain, magnétique) et sa fille (la révélation Constance Rousseau), Mia Hansen-Love se place dans la tradition romanesque de Truffaut, avec un style et une direction d'acteurs qui rappellent le cinéma à fleur de peau d'Eustache. Après ces brillantes premières fois, on ne peut que souhaiter aux deux jeunes cinéastes de rester fidèle à l'injonction du poète Joseph von Eichendorff, cité dans les derniers instants de Tout est pardonné : « Prends garde, reste alerte et plein d'entrain ! »
Samuel Douhaire, Télérama, n° 3039 (12 avril 2008).

Un premier film très réussi sur la sidération des premiers émois sexuels teenage.
On ne peut pas dire que les eaux dans lesquelles naissent ces pieuvres soient les moins fréquentées du jeune cinéma d’auteur. Il y a même un lien organique, et assez typiquement français (sous les auspices Vigo/Truffaut), entre deux types de première fois : la réalisation d’un premier long métrage et le passage de l’enfance à l’âge adulte. Dans ce cadre ainsi familier de jeune cinéma et cinéma de jeunes, Naissance des pieuvres a donc un certain mérite à s’aménager un petit territoire à soi, à tracer ses propres chemins de traverse et affirmer au final moins de ressemblances et plus de singularité.[...]
Céline Sciamma a indéniablement un regard, un univers, un ton. Et aussi, déjà, beaucoup de maîtrise, du cadre, du rythme, de la direction d’acteurs. Cette discipline sent encore un peu l’angoisse du débutant soucieux du plus grand contrôle. Le film est logique, tenu, très bouclé. Méthodiquement, il décline les fluides (bains, douches, taches de sang, crachats – d’eau puis de salive). Il rétrécit l’univers au caisson d’obsessions de ses personnages (pas de parents, pas de lycée, aucune extériorité à leur problématique). Au-delà de la cohérence, de l’homogénéité (qui pourrait être une limite), le film touche à une forme d’entêtement fébrile qui le fait exister très fortement.
Jean-
Marc Lalanne, Les Inrocks (14 août 2007).

 

 
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